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— Du tout, pourquoi ?

— Vous arrivez de voyage, m’a-t-on dit ?

— Il y a une heure à peine.

Elle porte un déshabillé qui ne fait pas habillé du tout. D’un geste pudique, elle ajuste les pans du vêtement sur des jambes que je pressens admirables.

— Puis-je vous demander l’objet de ces questions ? murmure-t-elle.

Y a pas : faut l’affranchir. Je lui relate les événements de la nuit passée en omettant, bien entendu, les passages susceptibles d’être interdits aux moins de dix-huit ans. Mme Godemiche m’ouït attentivement, sans broncher. Toute âme moins forte dans un corps moins saint s’exclamerait, lancerait des interjections, des onomatopées… Elle non ! Elle m’écoute silencieusement, les sourcils à l’horizontale, les paluches paisibles comme sur un tableau de Lebrun.

Quand j’ai achevé mon récit, elle se dresse et va appuyer sur un timbre électrique.

— Tout ceci est fantastique, me dit-elle, d’un ton on ne peut plus indifférent.

Répondant à son appel, la bonne paraît. Je suis prêt à vous parier une main de masseur contre un doigt de cour qu’elle se tenait à l’affût dans les parages, la poulette. Cette visite d’un matuche doit lui sembler insolite et sa délicate oreille tramait à proximité des trous de serrures.

— Annette, fait Mme Godemiche, en ouvrant la maison, ce matin, avec Ferdinand, avez-vous remarqué quelque chose d’anormal ?

La môme secoue ses bouclettes.

— Non, Madame.

— Votre personnel ne séjournait pas ici en votre absence ? m’étonné-je.

Elle m’affranchit :

— Je reviens de ma villa du Cap d’Antibes. Mes domestiques sont rentrés par le train afin de rouvrir la maison. Moi, comme d’habitude, je suis revenue par la route…

— Quand êtes-vous arrivés ici ? demandé-je à Annette.

— Il était à peu près six heures, ce matin…

— Vous n’avez vu personne ?

— Absolument personne. La seule chose qui nous a intrigués, c’est cette auto devant la propriété…

— Il s’agit de la mienne.

— Ah ! bon…

Un bref silence se faufile dans notre intimité comme une sœur quêteuse dans un restaurant chic à midi.

— Les portes étaient fermées ? je demande.

— Mais oui, monsieur.

Je me tourne vers la belle rousse.

— Vous ne possédez pas de voiture M.G. ?

— Du tout. J’ai une Chrysler et un coupé Simca Bertone.

Je lui décris la gosse Monique, mais elle m’assure qu’elle n’a jamais rencontré, de près ou de loin, une personne de ce style.

Que voulez-vous, les mecs : il faut que je trouve un moyen de locomotion pour me rendre à l’évidence. J’ai été berluré de première par la pseudo miss de Souvelle. On m’a déjà joué l’acte III de : « Tu n’es qu’une fleur de nave », musique et livret de Bourmoix-Le-Moud, mais jamais avec une telle virtuosité.

— Dois-je porter plainte pour violation de domicile ? s’informe mon hôtesse.

Je hausse les épaules.

— A quoi bon ? On ne vous a rien dérobé, rien détérioré et cela risquerait de perturber mon enquête…

Je me lève et je prends congé de la dame en lui distribuant mes plus belles excuses et en lui promettant de la tenir au courant.

Dehors, je trouve mon taxi et un mécano en grande conversation sous le capot de ma chignole. Le dépanneur m’explique que ma bobine est complètement bousillée.

C’est moi qui en fais une drôle.

CHAPITRE IV

Je finis par commencer

Installez-vous dans votre fauteuil le plus rembourré, prenez un verre de ce que vous voudrez légèrement additionné d’eau, essayez de perdre votre air ahuri qui me fait mal au cœur et mordez mon raisonnement. Pris dans leur ordre chronologique, les événements ont un petit quelque chose d’incroyable qui vous met de la fumée dans le citron.

Primo (infection), je surveille un gars dans un restaurant russe. Deuxio, à la sortie dudit restaurant, je vole au secours d’une ravissante poupée molestée par un vilain-pas-beau. Pendant que je joue les Kid-Vengeur, défenseur de l’opprimé, mon Boris Alliachev se barre.

Troisio, je raccompagne la demoiselle chez elle. Un chez-elle qui n’est pas le sien ! Elle m’accorde ce que la plupart des jeunes filles refusent avant le mariage et, pendant que je lui raconte l’histoire du monsieur qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’os, une main criminelle, mais instruite des choses mécaniques, rend ma bagnole inutilisable…

Vous suivez toujours le convoi, les potes ? D’ac, alors ne prenez pas ces frimes de constipés trahis par leur pharmacien.

Quartio, je prends congé de la gosse Monique, je constate que je suis en panne, je l’en informe et elle, bonne âme, me prête sa calèche, ce qui vous prouve qu’elle n’avait rien à me refuser.

Cinquio, je regagne mon domicile au volant de l’auto prêtée lorsqu’une bande de foies-blancs me donnent l’assaut. Voilà, c’est tout. Si vous avez besoin d’aspirine, dites-le ; par contre, si vous comprenez quelque chose à tout ça, annoncez la couleur, je suis acheteur au prix de l’Argus.

Moi, voyez-vous, avec mon petit cervelet portable et ma vue basse, j’essaie de mettre d’aplomb une théorie. Faut bien que je finisse par commencer mon enquête, non ? Alors je chope ce puzzle à deux mains, je le secoue pour bien mélanger les morcifs et n’être pas accusé de tricherie. Et puis je retrousse mes manches, ce qui est d’autant plus fastoche que ma chemise n’en comporte pas et je me tiens le raisonnement suivant :

« Mon petit San-Antonio chéri (je me prends par les sentiments dans les cas d’urgence), suppose que la bande d’Alliachev se soit aperçue de ta filature… On veut te faire lâcher prise. Pour ça, on use d’un subterfuge (le bon subterfuge Lune). On te fout dans les pattes la môme Monique. Mais comme on te sait malin (vous voyez, je me nourris d’illusions), on te la branche de façon pittoresque. Au lieu qu’elle vienne à toi, c’est toi qui vas à elle pour la protéger… »

Humm ? Jusque-là, ça se tient, non ?

Bon, mais après ?

C’est là que ça se complique vilain. Monique (si Monique il y a) m’emmène dans une maison vide avec un culot qui force l’admiration. Pendant qu’elle se fait expliquer le coup des quatre jambons accrochés au même clou, un complice à elle — peut-être le dur qui la tabassait — bricole ma guinde…

Attendez, j’avance doucement because la végétation qui devient luxurieuse…

Pourquoi m’avoir conduit dans cette maison isolée ? Je réfléchis le quart d’un dixième de seconde et, sans coup férir (que ferais-je d’un coup férir dans ma situation !) je réponds : parce qu’on voulait que j’aie besoin d’une voiture pour regagner Paris. Attendez, je tiens le bon bout. La bagnole ! Voilà l’explication…

On m’a amené progressivement à avoir besoin de cette damnée M.G.

J’allume une cigarette. Je me sens tout à fait O.K. maintenant. C’est à peine si mon aubergine me cuit encore un peu. Ma bagnole réparée roule bien.

Où en étais-je ? Ah ! oui : Monique m’a amené à utiliser la M.G. parce que le type qui se servait de cette auto devait être bousillé.

J’ai été le mouton destiné au sacrifice de bout en bout. Après m’avoir fait sacrifier à Vénus, on m’a sacrifié tout court.

Que dis-je, un mouton ! J’ai plutôt été le pigeon, oui ! Je me cloque en renaud, tout seul, au volant de ma charrue.

Je peux vous dire encore une bonne chose, les gars, ça ne se passera pas comme ça !