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Le porteur me remercie pour le flouze que je lui atrique. A ce train (de marchandises) je vais me ruiner !

Je ressors de la gare sans être bien avancé. J’ai peut-être eu tort de me gonfler la théière tout à l’heure. D’accord je suis chaud, en forme et mes cellules grises distillent de l’électricité d’appellation contrôlée, mais je dois bien avouer que pour la minute l’affaire me glisse un peu des salsifis.

Je suis sur le signe du zéro, ou même dessous.

Les heures s’écoulent et je ne parviens pas à coordonner les morceaux d’éléments.

Avoir parlé de bière m’a donné soif. Je m’installe dans un de ces cafés luisants d’encaustique et confortables qui font le charme de la chère Belgique. Je commande un demi et je rêvasse. J’ai de quoi appuyer ma méditation, non ?

Diamants, fruits confits… Montre, photo… Tout est « truffé » dans cette histoire. Les fruits sont truffés aux diams ; la montre truffée à la photo ; la cage d’ascenseur truffée au cadavre ; la mère Van Boren est truffée par son barbiquet et ma prose est truffée de bons mots ! De quoi dépaver le boulevard Haussmann pour se taper le derrière par terre sans se l’abîmer !

Je compulse mon petit carnuche. Je lis : Georges Ribens, 186, avenue Léopold-Ier.

Si j’allais lui demander l’heure, à ce chérubin ? Après tout il a peut-être propulsé Van Boren dans les profondeurs avec son petit air de ne pas toucher au cadavre ?

De toute façon, je n’ai rien d’autre de prépondérant à faire. Ça, c’est kif-kif la pêche. C’est dans les coins inattendus qu’on réussit les plus bath fritures.

Alors en route ! A moi, Léopold Ier, le king à la barbouze en éventail !

Il pioge dans un immeuble chouïa, le bouillaveur de la petite Van Boren. Un immeuble entièrement neuf qui scintille dans le soleil à cause du granité de ses pierres.

La cerbère me dit que M. Ribens habite le troisième à droite. J’en profite discrètement pour lui demander s’il vit seul et elle répond par l’affirmative.

Je monte. Un monsieur monte !

Nobody ! J’ai beau jouer La Marche turque sur sa sonnette, il ne m’ouvre pas : probable qu’il est au turbin. Au fait, quelle profession pratique-t-il, ce jeune amateur de dame seule ?

Machinalement je tire mon petit Sésame (l’ouvre-boîtes universel) et j’ouvre la porte. Quand je dis machinalement je vous jure que c’est vrai. On fait des trucs, comme ça, sans y penser…

Je pénètre dans un studio moderne, avec grandes baies, stores californiens et tout. Pas de Ribens ! L’appartement est propre, pas mal tenu du tout pour un célibataire. Je commence à fouinasser partout dans le vague espoir de découvrir quelque chose d’intéressant, mais il n’y a rigoureusement rien. L’armoire moderne renferme des costards, du linge, des targettes vernies ou en daim, rien d’autre…

Je poursuis ma perquise avec une bonne volonté et une foi inébranlables mais sans résultat. Les reproductions de tableau de maître (Picasso principalement — c’est ce qui va le mieux avec le chêne cérusé) ne cachent aucun coffre mural. Le matelas repose directement sur un sommier… Rien non plus sur et sous les meubles… Rien dans la potiche moderne. Rien dans les poches des fringues… Rien ! Rien !

Le zéro et l’infini ! C’est moi le zéro et ma déconvenue, c’est l’infini…

Je suis bredouille. Je sais pourtant faire une descente. J’ai le nez assez gros pour renifler rapidos l’insolite et pour découvrir ce qu’il dissimule. Ici, il n’y a rien d’insolite. Et rien n’est dissimulé.

Des raquettes fixées aux murs m’indiquent que Ribens marche sur les traces de M. Chaban-Delmas. Des romans policiers que je feuillette un par un me prouvent que mes éditeurs ont un service de diffusion à la hauteur. Des bouteilles de whisky posées sur une tablette indiquent que Ribens a le gosier en pente. C’est du chouette, donc il a les moyens. Je cramponne un flacon et je m’octroie quelques centilitres de raide.

L’effet produit est instantané. D’un seul coup d’un seul, tout devient radieux, facile, émouvant, bon à vivre.

Je m’allonge sur le divan du zig afin de reprendre mes esprits. Je suis allé un peu fort, quand on boit au goulot, on ne se rend pas compte de la quantité absorbée. Surtout que j’ai une descente dangereuse, faudra qu’un de ces quatre Michelin m’offre un panneau de signalisation.

Je ferme les coquilles et je me laisse bercer par la brise qui a soufflé d’Ecosse (c’était du scotch…). Le flottement dure peu. Je ne suis pas le gars qui se laisse étourdir par un sourire de vamp ou un verre à vin de rye.

Je me remets debout et je tends la main vers une jolie boîte en roseau posée sur le montant du cosy. Elle contient des fruits confits…

J’en puise un prompto et je le croque : pas de diam, ce serait trop beau.

Tout de même la coïncidence est curieuse. Des fruits confits ! Pourquoi s’offre-t-il des chatteries, Ribens ?

J’en prends un autre et je l’étudie : c’est une prune. J’aperçois alors une légère incision sur son flanc. Le sucre la dissimule. Les autres aussi comportent une petite fente. Quand je les ouvre, je devine encore en leur milieu la place d’un noyau. Mais je me doute de quel noyau de prix il s’agissait.

Là, je brûle. Je brûle même tellement que je vais faire roussir mon grimpant.

Ma conscience professionnelle proverbiale me pousse à examiner chacun des fruits (peu nombreux du reste) que contient la boîte. Tous ont servi de réceptacle à un diam.

J’en boulotte plusieurs et je découvre que j’aime ça…

Notez que c’est un peu écœurant, comme tout ce qui est trop sucré. Les femmes aussi vous font cet effet lorsqu’elles vous charment trop longtemps.

Je remets la boîte en place et je m’apprête à mettre les adjas lorsque je perçois comme un frôlement à la lourde.

Voilà mon brave Ribens qui radine. Je m’en réjouis car j’aimerais lui demander l’adresse de son confiseur.

Pour lui colloquer une belle trouille vert pomme je prends mon feu. Sa surprise sera plus complète. Et notez qu’un feu fait plus habillé.

La clé titille la serrure. Puis elle en sort et une autre travaille la clenche.

Je dresse l’oreille. Tiens ! j’ai peut-être bien fait d’attraper mon feu !

CHAPITRE VIII

OH ! LA LA !

Oui, j’ai bien fait… Parce qu’enfin, vous avouerez qu’un gars qui rentre chez lui n’a pas besoin d’essayer plusieurs clés, à moins qu’il soit blindé à mort.

A pas de loup, je me lève et je vais me placer juste derrière la lourde du studio. J’aime bien faire « coucou » dans le dos d’un mec. Ça vous donne l’avantage considérable de le piquer à la surprenante… Et puis comme ça, s’il a le hoquet, ça le lui coupe.

La porte d’entrée s’ouvre enfin. J’entends un glissement, la lourde se referme, un pas furtif se hasarde dans les parages. Quelqu’un pénètre dans le studio et je vois un dos large sous un imperméable mastic. Un chapeau rond couronne cet édifice de bidoche. Le gars que j’ai tant cherché au cours de cet après-midi vient à moi, guidé par son destin.

J’en ai des frissons d’aise dans l’échine.

L’arrivant examine le studio avec circonspection, comme je l’ai fait tout à l’heure. Il est ici avec la même intention que moi. Seulement lui sait ce qu’il cherche… Et moi aussi je le sais… maintenant ! Il veut les diams. Il ne les a pas trouvés dans les bagages de Van Boren. Alors…

Oui, alors il vient chez l’amant de sa femme. Drôle d’idée ! Je ne pige pas le lien qui unissait le voltigeur de l’ascenseur au freluquet-maison… Excepté celui de l’adultère, évidemment.