— Un jour prochain, dis-je avec un rien de solennité.
A tâtons — si l’on peut dire — elle cherche ma bouche.
Aussi sec, elle remettrait le couvert, la petite ouvreuse.
— Tu me plais, assure-t-elle, comme si je pouvais en douter après cette démonstration.
— Toi aussi, assuré-je. Nous sommes quittes. Allez, gosse, montons…
C’est crevant de vouloir « monter » après avoir sacrifié à Vénus.
— Tu es pressé de me quitter ? demande-t-elle, la voix teintée de mélancolie.
— Au contraire, j’aimerais faire ma vie avec toi, seulement si nous nous attardons encore ici les voisins vont se ramener et on finira la nuit au ballon.
— Bon… Attends, je vais actionner le minutier.
Elle l’actionne, ce qui nous permet de constater que nous venons de nous aimer à cinquante centimètres du cadavre de Ribens.
CHAPITRE XI
OH ! PARDON !
Ebloui par la brusque lumière retrouvée, je ne le vois pas tout de suite. C’est le visage pétrifié de la môme feu-au-derche qui attire mon attention. Je suis la direction de son regard et je vois une masse sombre écroulée sur le carrelage du couloir. Je me penche. Un visage blême, exsangue, regarde l’ampoule électrique avec des yeux vitreux. C’est Ribens. Sa tête a été à demi sectionnée par un magistral trait de rasoir. Il a perdu trois litres de sang et, depuis un bout de temps, nous piétinons dans le raisin, la greluche et moi. Nos tatanes en sont couvertes et le bas de nos quilles en est éclaboussé. Du travail de boucherie !
Comme réaction après l’instant d’extase que nous venons de vivre, c’est du soi-soi !
Ma pétroleuse pousse un léger hoquet et titube. Je la biche par une aile au moment où elle va s’écrouler.
Pour parer au plus pressé, je la sors sur le trottoir et l’assieds sur le seuil de la lourde. L’air frais la ravigotera. Cette chose accomplie, je me remue le panier pour donner l’alerte.
La première porte que je rencontre me sert de batterie pour jouer sur son panneau le grand morceau de Lionel Hampton.
Un mec ahuri, coiffé d’un bonnet de coton comme sur les dessins de Daumier, en chemise de nuit et pantoufles, m’ouvre avec des exclamations :
— Qu’est-ce qu’il y a, allez ?
— Un meurtre, téléphonez à la police.
Il en paume son dentier, le pauvre chéri… Il le ramasse, souffle dessus pour chasser les molécules de sciure et se l’enfourne dans le clappoir.
Sa bourgeoise vient à la rescousse avec trente kilos de gélatine sur le devant et des bigoudis dans les crins.
Re-exclamations… Ça se met à remuer vilain dans le secteur. Je laisse ma pin-up qui revient à la vie s’expliquer avec les voisins. Qu’elle se dépatouille, sa version sera la mienne !
Quatre à quatre, je grimpe les trois étages et j’entre chez Ribens. Un spectacle inattendu m’est offert. Tout est saccagé chez lui, tout a été pillé, fouillé…
Je ne perds pas de temps et rapidos, je redescends. Cette fois, y a de la compagnie au rez-de-chaussée !
Le quartier se la radine. La grosse valse des mouches à m… ! Un cadavre à l’horizon par tribord ! Et je te saute dans mon falzard ! Et je te passe ma robe de chambre ! Adieu, veau, vache, épouse, oreiller ! C’est la ruée. Le premier arrivé aura droit à une place de tribune !
Au milieu de la populace, la fille que j’ai travaillée au corps explique comment nous avons découvert le cadavre, sans préciser toutefois à quel exercice particulier nous nous sommes livrés auparavant.
Je l’écoute bavasser en pensant à autre chose car le résumé des chapitres précédents ne m’intéresse pas. Je me dis que le meurtrier est un gars vachement gonflé. Et je me demande s’il s’agit de l’homme au chapeau rond.
Que ce dernier soit revenu dans l’appartement après m’avoir boxé de pareille manière et sachant que je suis un poulardin est un véritable défi à la prudence la plus élémentaire… Or il m’a semblé intelligent, ce mecton. D’autre part, si c’était un tueur, il ne m’aurait pas laissé la vie sauve tout à l’heure car je représente une sérieuse menace pour sa sécurité.
L’arrivée des bourdilles vient apporter une diversion de choix. C’est d’abord police-secours qui s’annonce à toute vibure, suivie peu après de la maison parapluie.
Le commissaire qui dirige les opérations est un gros type sanguin avec un cou de taureau et des chasses sans cils. Sa peau ressemble à du croco de premier choix.
Je le queute en aparté et lui file mon blaze. Il paraît impressionné et contrarié. De toute évidence, il préférerait que je ne sois pas mêlé aux affaires criminelles de son ressort.
— Je suis à l’hôtel des Tropiques, lui dis-je, vous pourrez m’y trouver quand vous voudrez, il faut que je file.
Soulagé, il fait un geste bénisseur. Je me casse après un petit coup de saveur cochon à ma Miss Je-me-retrousse.
La nuit est fraîche. Un peu de brouillard voile la ville, plongeant les immeubles dans une sorte d’univers secret. (Vachement bousculée, cette phrase, non ? Si vous êtes libre demain après-midi, chère madame, passez à mon bureau, je vous en ferai d’autres !)
Je cherche désespérément un taxi, mais à ces heures, ils remplacent leur moteur, les braves. Tant pis, je bombe à pinces, le tout est de forcer un peu l’allure, pas la peine de se biler pour ça.
Un quart d’heure plus tard, j’arrive rue de l’Etuve. Je suis en nage — comment en serait-il autrement dans une rue qui porte un nom pareil ?
Je m’arrête devant l’immeuble des Van Boren. A moi l’ouvre-boîtes ! La serrure de la porte se rend à mes raisons et je m’engouffre dans la strass. Il est plus d’une heure du mat. Tout est calme…
Parvenu devant l’appartement de la belle Huguette je tends l’esgourde. Aucun bruit. Elle doit se payer une partie de roupillon sans se gaffer qu’elle se trouve deux fois veuve. En v’là une qui n’a pas de chance avec ses mâles.
Ou peut-être que ce sont eux qui n’ont pas le bol avec elle. Y a des sœurs comme ça, qui portent la cerise… Des bergères vénéneuses qui tuent le bonhomme par leur seul fluide, comme la femelle de la mante bousille le mâle en l’acceptant. (Mordez un peu l’étendue de ma culture, les mecs !)
Je me demande si je dois carillonner comme l’exigerait la bienséance ou bien si je pénètre par effraction comme on dit en charabia judiciaire… Ce serait farce d’aller réveiller Huguette en sursaut. Elle serait capable de choper la jaunisse, ce qui lui éviterait d’aller se faire bronzer la praline sur la côte. Surtout si je lui apprends de quelle façon est cané son amant. Le mari le matin, le doublard le soir ! C’est vraiment pas les occases de se cloquer en deuil qui lui manquent, à la veuve Machinchouette ! Franchement elle a du mouron à se faire. Tout le monde, du reste, a du mouron à se faire : elle, parce qu’elle n’a plus de mec ; la police, parce que ça se corse (patrie des grands hommes ; voir Tino) ; moi, parce que je n’ai plus que quelques heures pour dénouer tout ça si je ne veux pas faillir à ma réputation, et le gars au chapeau rond, parce que je vous parie un coup de chapeau contre un coup de revolver qu’il n’a toujours pas trouvé ce qu’il cherche.
J’entre donc dans le coquet appartement. J’actionne l’électrac. Tout paraît normal.
Je vais droit à la chambre : personne. Personne ailleurs non plus. C’est pas une veuve, c’est un courant d’air, cette femme-là !
CHAPITRE XII
Ô IRONIE !
Rien n’a été remué dans l’appartement. Tout paraît en ordre…
Je vais à la cuisine et je trouve sur le réchaud à gaz un petit poêlon dans lequel on a fait cuire des œufs au plat. Ceci prouverait que ma mystérieuse Huguette s’est sustentée avant de mettre les bouts.