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— Mon pauvre lapin, je murmure, qu’est-ce qui t’est arrivé ?

Elle bouge les lèvres, un son déchirant s’en échappe. C’est comme un cri :

— Maaaaame !

J’essaie de piger, elle voudrait me faire comprendre… Elle le veut tellement que je pige.

— Madame ?

Battement de cils…

— Ta patronne ?

Re-battement de cils.

— C’est elle qui t’a arrangée comme ça ?

Mutisme… Puis, une fois encore, ses lèvres tentent l’impossible pour extérioriser les sentiments qui palpitent dans ce cerveau en agonie.

Je prête l’oreille, éperdument, réprimant jusqu’aux battements de mon cœur pour percevoir ces ultimes confidences…

— … autre…

— L’autre ?

Son visage brisé dit « oui ».

J’ai un trait de lumière.

— L’Allemand ? Le patron de cette boîte, comment, déjà… Franz Machinchouette ?

« Oui », font les cils harassés de la pauvrette.

Je réfléchis.

— Il est de connivence avec ta patronne ?

« Oui », approuvent toujours les cils…

Je poursuis, sur ma lancée, ne m’interrompant que pour quêter l’approbation muette :

— C’est lui qui t’a téléphoné ce matin ? Il voulait que tu ailles à l’appartement pour réceptionner le paquet ? Il t’a dit de te dépêcher ?

« Oui »…

— Il t’attendait en bas, dans une voiture ? Tu lui as remis le colis, il t’a amenée ici… Ta patronne t’y attendait ? Il t’a assommée ?

« Oui »…

Je pige pas mal de choses…

— Il fréquentait ta patronne et Ribens depuis quelque temps ?

« Oui »…

— C’était Ribens, pour qui tu avais eu des faiblesses, qui t’avait fait entrer chez la Van Boren ?

« Oui »…

— Tous les trois s’entendaient bien ?

Elle ne répond rien… C’est l’inconvénient avec les macchabées. Vous leur parlez et ils regardent ailleurs, fixement, avec l’air de vous emm… jusqu’au Jugement dernier !

C’est tordu pour Germaine… Elle ne se fera plus renverser par les hommes. Renversée, elle l’est de façon totale et définitive.

Je lui ferme les stores car rien n’est plus déprimant qu’un regard de mort. C’est l’au-delà, donc l’ennemi des vivants, qui vous examine.

Je me relève… Il ne me reste plus qu’à tuber à Robierre. Maintenant j’ai assez d’éléments à lui fournir pour qu’il arrive à bon port…

On y voit plus clair : Huguette et son jeune matou s’étaient mis en cheville avec Franz Schinzer et l’homme au chapeau rond pour exploiter le cocu Van Boren… C’est eux qui l’ont tué. Et puis…

J’arrête de gamberger à partir de la première marche. Au haut de l’escalier se tient un gros type chauve au regard mauvais qui me menace de son pétard. Je vais pour porter la main à mon boum-boum, mais il m’arrête d’un mot péremptoire :

— Nein !

Je ne comprends pas l’allemand, mais je pige ce dont il retourne. J’interromps mon mouvement. Il a le doigt sur la détente et, si je me base sur les allongés qui précèdent, il doit avoir une facilité remarquable pour expédier ses contemporains dans un monde qu’on assure meilleur.

Il descend. Derrière lui vient Huguette. Une Huguette un peu pâlotte, au regard moins bête qu’à l’ordinaire…

Je recule dans la cave…

— C’est lui, dit Huguette.

Le Franz a un mauvais sourire.

— Drop gurieux, me dit-il en s’avançant, le pétard pointé — et son Euréka est d’un calibre important.

Il est massif comme la tour Saint-Jacques. C’est un vrai rouleau compresseur.

J’essaie de parler, mais les mots sont cotonneux dans mon clappoir.

— C’est mon métier que de l’être, je fais.

Il a un geste imperceptible qui avance un peu plus sa seringue.

— Voilà pour galmer les gurieux ! Za vait tu pruit, mais abrès on a le zilence !

La situation est tellement tendue que si elle fermait un œil elle serait obligée d’ouvrir autre chose.

Huguette n’y tient plus !

— Tirez ! glapit-elle. Mais tirez donc, qu’on en finisse…

— Foilà ! approuve le chauve.

Il colle son pétard contre sa hanche comme le font les experts ès flingages.

Bonsoir, les amis, vous planterez un saule au cimetière ; signé Musset !

Pour le néant, en voiture, s’il vous plaît !

Je ferme les yeux pour mieux savourer !

CHAPITRE XX

DIS-MOI DEUX MOTS !

La détonation éclate, terrific ! Les tonneaux ici présents contribuent à son ampleur. C’est comme si on avait tiré sur les grandes orgues en appuyant sur la pédale forte.

Je m’attends à être mort, mais le cri d’agonie qui succède — que dis-je ! qui se confond avec la détonation — ça n’est pas bibi qui le pousse. Je me dépêche de rouvrir mes volets et qu’aperçois-je, à mi-hauteur de l’escalier, juste au-dessus de la mère Van Boren ? Mon type au regard bicolore.

Il tient une arquebuse à la main, fumante comme un excrément récent et il regarde le Franz Truquemuche qui se roule dans la poussière, touché en plein bocal par la valda.

Il a son compte, l’Allemand. Il a quelques soubresauts de canard décapité, puis toute sa viande se fige… Cette cave commence à tourner au caveau de famille, on dirait ?

Huguette Van Boren se mord le poignet pour ne pas gueuler. Elle sanglote à sec, la pauvre chérie…

Elle est à cinquante centimètres de la crise de nerfs, mais le gars qui m’a filé l’avoinée la nuit dernière descend trois marches et lui met une paire de tartes sur le museau. Les beignes sont appuyées de telle manière qu’Huguette dévale le reste de l’escadrin et s’affale sur le corps du gros Fritz.

Je la repêche par une aile et, pour ne pas être en reste, lui file ma tournée.

Ensuite je la lâche et m’occupe du gars.

Il est toujours aussi tranquille. Un champion ! Peinard, il remise son automatique et me sourit.

— Je crois que je suis arrivé à temps, me dit-il.

— Je n’ai même jamais vu un type rappliquer aussi à temps, admets-je.

Et c’est tout, on est là à s’examiner comme deux serre-livres avec des yeux en porcelaine…

Il sent que cette tension ne peut s’éterniser et il use d’un dérivatif classique mais qui a toujours eu de bons résultats : il me tend son étui à cigarettes.

— Pas de rancune pour cette nuit ? me demande-t-il.

Je cueille une de ses sèches.

— Faudrait que j’aie la bile en dérangement, après ce petit rodéo que vous venez d’interpréter en ma faveur…

Il opine.

— Qui êtes-vous ? je demande.

Il tire son portefeuille et me montre une carte sur laquelle est agrafée sa photo, mais comme ladite carte est écrite en allemand je n’y entrave que pouic.

Il constate mon ignorance.

— Vous ne parlez pas l’allemand ?

— Non, et qui pis est, je ne le lis pas.

Il rengaine sa carte.

— Je suis directeur d’une agence de police privée importante. Les enquêtes Gleitz, vous avez entendu parler ? J’étais célèbre avant le nazisme… Après, l’Etat lui-même est devenu policier.

J’ai en effet entendu parler de Gleitz.

— C’est vous ?

— C’était mon père… Mais j’ai rouvert la boutique… Depuis quelque temps je m’occupe d’une affaire… heu… délicate.

En pleine inspiration, je demande :

— Oh ! L’affaire de l’objectif Optika ?

Il sursaute.

— Vous savez ?

— Oui.

— Ah ! Vous êtes peut-être sur le coup aussi ?

Je mens :

— Un peu…

Il hausse les épaules, se penche sur le cadavre de Franz et le fouille. Sur l’homme mort, il découvre une enveloppe de papier fort. Il la déchire. Dans sa main en sébile coule une grosse pincée de diamants… Ou plutôt de ce que je prenais pour des diamants.