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— Allez prévenir von Gleiss qu’il commande le peloton ; je veux que cet homme soit fusillé immédiatement.

Gretta quitte la pièce sans un mot.

— Je serai là, dit-elle, et je vous regarderai dégringoler, commissaire. Avez-vous vu fusiller des hommes ? Ils reçoivent une secousse terrible et ont des soubresauts de carpe…

— Gertrude, je murmure, je voudrais que vous me fassiez une promesse, une ultime, vous ne pouvez pas refuser cela à un homme qui va quitter ce monde.

— Ah, ah ! triomphe-t-elle, le lion s’attendrit. Voyons ce que vous désirez…

— Gertrude, en mémoire de moi, promettez-moi d’aller consulter un psychiatre !

Elle pousse un épouvantable juron et me gifle à deux reprises.

— Vous êtes un…, commence-t-elle.

— Je sais, interromps-je. C’est de naissance…

Elle sort en faisant claquer ses talons sur le ciment.

Les soldats radinent, me délient et me grimpent à ma cuisine pour que j’y attende l’heure de ce que les journaleux ont baptisé le « châtiment suprême ».

Je m’affale sur le carrelage, la téterre pleine de sons de cloche. Je pousse un cri, en tombant, quelque chose m’a meurtri la hanche. Je regarde le sol, il n’y a rien. Je mets la main à ma poche, je sais pourtant que je ne puis rien y découvrir car j’ai été fouillé de fond en comble et on ne m’a pas laissé un bouton de col.

Je tire un couteau. Une superbe lame à cran d’arrêt. D’où qu’il sort celui-là ? C’est le petit Jésus qui me l’a glissé dans le sac à morlingue ou bien le père Noël ?

Je le regarde d’un œil rêveur.

Ça ne serait pas plutôt la môme Gretta ?

Deuxième partie

FRANCO DE PORT

CHAPITRE V

Personne n’a jamais gagné la guerre avec un couteau, fût-ce un couteau à cran d’arrêt. Dans ma situation, cette lame m’est à peu près aussi utile qu’une boîte de bouillon Kub.

Une lame contre une compagnie d’Allemands en armes, c’est pas lerche, vous en conviendrez.

Plus j’y songe, plus je comprends que c’est la blonde Gretta qui m’a glissé le couteau dans la poche. J’aurais préféré une mitrailleuse jumelée, mais à cheval donné on ne doit pas regarder les dents, comme se tue à me le répéter Félicie. Gretta doit avoir de la sympathie pour moi. Elle a voulu faire un petit quelque chose et, tandis que l’autre bouillaveuse lui ordonnait de m’embrasser, elle m’a fait ce petit cadeau. C’est gentil… Ceci vous prouve qu’y a des gonzesses qui ont de l’éducation ; et puis, bien que ce gentil couteau manque d’efficacité, dans mon cas il est plus appréciable qu’une entrée au Salon de l’auto…

Je peux toujours le planter dans la viande d’un des factionnaires, histoire de l’utiliser avant de faire le grand voyage…

Le sang coule de mon visage. Je m’en barbouille les mains, puis j’ouvre le couteau et le glisse dans l’échancrure de ma chemise, la pointe reposant entre ma ceinture et mon ventre. Je vais à la porte et j’y balanstique des coups de pied qui ébranlent toute la maison, comme si un quatuor d’éléphants étaient en train d’y faire une partouze.

Un de mes gardiens ouvre, la mine courroucée, sa mitraillette sous le bras.

Je porte mes mains rouges de sang à ma bouche et je réussis un superbe hoquet. Le type croit que j’ai une hémorragie. Très intéressé, il s’approche de moi et me regarde.

— Was ? fait-il.

Je me casse en deux, comme si une douleur extrême me terrassait, en réalité ce mouvement me permet de saisir le couteau sans être remarqué. Prompt comme l’éclair je le dégaine et fonce d’un bond terrible sur le soldat, la lame en avant.

Le cure-dent, c’est pas mon genre de beauté. Mais je n’ai pas le choix. Je sens que la pointe troue le drap de son uniforme et entre dans sa poitrine comme dans du beurre.

J’ai eu du pot de ne pas buter sur une côte. Le gnace pousse un gémissement de vieux pneu victime de la hernie qu’il trimbale depuis un bout de chemin.

Il titube, ouvre la bouche et s’abat en avant.

Je le chope dans mes brandillons pour amortir le bruit de sa chute et je le dépose doucettement sur le carrelage. Puis je prends sa mitraillette.

C’est rudement bon de tenir ce bébé d’acier dans ses bras. À pas de loup, je m’approche du couloir où je coule un œil scrutateur. Pour comble de veine, mon second gardien n’est pas là ; je ne sais pas s’il est allé aux fraises ou quoi, mais je crois qu’il va faire une trompette maison quand il va trouver son copain perforé.

Je m’engage dans le large vestibule. Personne n’est en vue pour l’instant ; j’entends, venant d’une pièce voisine, le clapotement d’une machine à écrire. C’est le moment d’arrêter l’orchestre et de faire le saut de la mort. La mitraillette sous le bras, le doigt posé sur la détente de l’arme, je m’avance dans la boîte comme si je marchais dans un panier d’œufs. Le canif de Gretta a fait des petits, vous le voyez ? C’est l’histoire de Perrette et de son pot de crémeux. Seulement, si je laisse choir la jatte, je ne risque pas un coup de tatane dans le prose, comme la petite fermière. Non, ce sera beaucoup plus brutal comme exercice.

J’arrive à la porte vitrée et j’ai juste le temps de me jeter en arrière. Deux officiers discutent sur le perron.

Au bout de l’allée, près du portail, il y a deux sentinelles… L’issue ne vaut pas grand-chose pour bibi.

Je bats précipitamment en retraite et retraverse le couloir. J’ai remarqué une porte juste à côté de celle de ma cuisine ; elle donne vraisemblablement sur les communs, peut-être y a-t-il plus d’espoir de ce côté-ci ?

Je la pousse et je me trouve nez à nez avec la seconde sentinelle qui se pointe en boutonnant sa braguette.

Il est plus surpris que moi, car il s’attend à rencontrer n’importe qui, y compris Adolf Hitler, plutôt que le gars San-A.

Je ne puis me servir de la mitraillette sans risquer d’alerter toute la garnison. Aussi je lui fonce dans le lard tête la première. Mon rush l’envoie dinguer les quatre fers en l’air. Sans lui laisser le temps de se remettre sur ses tiges, je lui place un de ces coups de savate dans le bocal qui pulvériserait une borne kilométrique. Il ne profère pas un mot et se ratatine sur le plancher. Prompto, je repousse la lourde. À tout hasard je lui pique aussi sa péteuse ; quand je vous disais que c’était, transposée, l’histoire de Perrette… Si ça continue, je vais avoir tellement de seringues que je pourrai ouvrir un magasin. Comme enseigne, je verrais assez quelque chose dans le genre de « À la sulfateuse »…

Je me trouve dans un vaste local qui doit servir de salle de garde. Il y a des tables de bois blanc, des chaises, des portemanteaux… À l’autre bout, une porte-fenêtre donne sur un parc où des soldats verts font la manœuvre.

Je suis coincé dans cette cambuse comme dans un piège à rat. D’une minute à l’autre, l’alerte va être donnée ; vous parlez d’une corrida, mon neveu ! Ce que je voudrais être transformé en courant d’air…

Comme rester debout, les bras ballants, n’a jamais tiré un pauvre mec d’embarras, j’ouvre une autre porte. Elle ne peut guère me donner la clé des champs car c’est celle d’un petit réduit où sont entreposées des caisses. Je la referme avec humeur et mon regard est alors — et alors seulement — attiré par un écriteau fixé à la porte. Comme je ne connais pas l’allemand, je suis bien en peine de savoir ce qu’il bonnit. Pourtant, à bien le regarder, j’ai l’impression d’avoir vu des avis de ce genre dans les trains : « Ne pas fumer ! » Ça y est… J’y suis.

Pourquoi ne pas fumer ? Parce qu’il y a dans le secteur des denrées inflammables ou, qui sait, explosives ?