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— Si, fait Stéphane ; je vais alerter mon équipe. Nous irons ensemble jusqu’au lieu d’envol, ou bien préférez-vous que nous nous y rendions séparément ?

— Vous irez seul, dis-je, je ne pars pas…

— Vous ne partez pas ?

— Non, on m’a envoyé en France pour y accomplir une mission précise. La fatalité a voulu que je fasse un tas de travaux certainement très utiles, mais pas celui qui m’était commandé, je reste pour l’exécution de ma mission.

— Ce n’est pas prudent ; après un cirque pareil, vous devez être salement repéré…

— Sans doute, mais plus la partie est périlleuse, plus la victoire est belle.

Il hoche la tête.

— Comme vous voudrez, murmure-t-il. Comme vous voudrez, San-Antonio. Je vous apporterai toute l’aide qui est en mon pouvoir.

— Merci.

— Bon. Pour commencer, il s’agit de garer votre voiture. Elle est un peu voyante… Et vous aussi, du reste.

Il passe dans son arrière-boutique et revient en brandissant une clé grosse comme ma jambe.

— Vous allez filer d’ici, car, si l’on ne vous voyait pas ressortir, on trouverait ça suspect et je risquerais d’avoir des ennuis. C’est pourri de mouches dans le coin ! Vous allez rouler en direction de Francheville, à la station de trolleybus il y a un carrefour, tournez à gauche, la route conduit à une grande construction. C’est un séminaire. Une partie est occupée par les Allemands. C’est là que se tient le poste de brouillage.

« Avant d’arriver à la grille du séminaire, vous verrez un petit chemin sur la gauche, suivez-le. Il aboutit à un hangar couvert de tôle ondulée. Le hangar m’appartient. En voici la clé. Vous rentrerez la voiture et vous m’attendrez. Il y a des couvertures dans un coin, vous pourrez en écraser un peu. Au crépuscule, j’irai vous chercher, je vous porterai des vêtements civils…

« Attendez !

Il décroche une « musette » pendue à un clou, derrière la porte et ouvre son frigo. Il y colle une bouteille de pouilly, un morceau de cochon gros comme un ballon de rugby, un pain, un quartier de gruyère et des fruits.

— Ça vous fera prendre patience…

— Merci…

C’est un frère, c’t empereur romain-là !

Je n’ai aucune difficulté pour dénicher le hangar. Il se dresse au bord du ravin, loin de tout. Le coin est tranquille, j’ai croisé en venant des Frisés et des curés, mais ni les uns ni les autres n’ont prêté la moindre attention à la voiture militaire que je pilote (avec un rare brio).

J’ouvre la porte du hangar et je rentre mon carrosse. Puis je vais fermer le vantail et je pousse un soupir si profond qu’à Marseille il passerait pour une bourrasque.

Vais-je enfin pouvoir respirer un instant ?

C’est pas une sinécure que d’être agent secret, moi je vous le dis.

J’attrape la musette au combustible et je cherche les couvrantes dont a parlé Stéphane. Je les trouve, sur une brouette. Ouf ! Ce qu’il fait bon s’asseoir !

Brusquement je sursaute et j’empoigne ma mitraillette. Je viens de voir remuer la bâche à l’arrière de ma voiture.

CHAPITRE VI

Au cinéma, dans tous les films policiers à la mords-moi les tifs, y a un type qui biche les chocottes because il voit remuer un rideau ou un truc de ce genre, et c’est toujours un matou qui, total, faisait bouger la tenture. Ici c’est pas du même. S’il y avait eu un greffier dans la calèche, il se serait tout de même manifesté depuis Bourgoin…

Le doigt sur la gâchette, j’attends. Une main soulève la bâche ; hypnotisé je la regarde, et je constate que c’est une main fine, lisse comme du chevreau ; bref, une main de gonzesse.

Voilà la môme Gretta qui apparaît.

Une girafe qui va aux fraises n’est pas plus ahurie que moi. Je la regarde avec des châsses du format soucoupes.

Elle me sourit gentiment, regarde autour d’elle d’un air surpris et murmure :

— Où sommes-nous ?

— Au palais des mirages, je lui fais, d’où sortez-vous ?

— Vous le voyez, de là-dedans.

Voyant que ma surprise est tenace, elle m’explique :

— Je vous ai vu sortir de la villa après l’explosion, je vous ai suivi. J’ai vu que vous preniez place dans une voiture et j’ai couru après, j’ai eu le temps de sauter dedans juste comme elle démarrait.

— Pourquoi avez-vous fait cela ?

— Parce que je me doutais bien qu’avec vous à bord, l’auto n’irait pas au lieu de destination qui lui était assigné.

Elle me regarde, ses yeux bleus ont un je ne sais quoi d’admiratif et d’anxieux à la fois.

— Et je ne me suis pas trompée. J’ai entendu la détonation, en route…

« Vous avez tué le chauffeur, n’est-ce pas ?

— Un peu, oui…

On est là à se branler les cloches en se reluquant d’un air indécis.

— Pourquoi avez-vous faussé compagnie à vos compagnons ? Et d’abord, pourquoi avez-vous glissé le couteau dans ma poche ?

— Parce que, dit-elle, c’est moi la mystérieuse femme au sujet de laquelle vous avez été malmené. Je suis Polonaise et je fais partie du réseau Troïka.

Je pousse une exclamation :

— Oh, crotte arabe ! Vous êtes une fortiche, Gretta.

« Comment vous les avez possédés, les sulfatés ! Ainsi c’est vous qui obteniez les renseignements ?

— La plupart du temps, oui. Mais je servais surtout de relais entre notre groupe d’Italie du Nord et notre centre de Lyon, je travaillais avec les deux hommes à la mort desquels vous avez assisté. L’autre soir, j’ai su que Nicolas était guetté sur la route, avec ses tortues ; je n’ai pu, malheureusement, le prévenir à temps…

Je réfléchis.

— Alors vous allez pouvoir m’éclairer sur le bouzin de Bourgoin. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de bombe téléguidée ?

— Un grand mystère, murmure-t-elle. L’information est arrivée à notre radio — le malheureux qui a été tué par l’explosion de la gare — et il voulait la faire parvenir à ceux de Lyon pour qu’ils préviennent Londres, car nous sommes « cellulés »…

— Je sais tout ça, coupé-je, il m’a affranchi.

— Mais il s’est produit quelque chose, dit Gretta d’une voix sourde.

— Quelque chose ?

Elle pèse bien ses mots.

— Les wagons que vous avez fait sauter étaient vides…

Je fais un saut de dix mètres quatre-vingts.

— Hein ?

— Vides…

— Voyons, fais-je, ça n’est pas sérieux…

— C’était un piège, j’ai appris cela incidemment en surprenant ce matin une conversation entre von Gleiss auquel je servais de secrétaire et Gertrude Kurt. Ils avaient appris — comment ? je l’ignore — que l’information concernant le départ d’Italie du train spécial, via Lyon, avec arrêt de deux heures à Bourgoin, avait été transmise à notre réseau. Von Gleiss en a référé à ses supérieurs, il a été décidé que les wagons voyageraient à vide et que leur contenu serait dirigé vers sa destination par un autre mode de transport. Ils voulaient, ainsi, parer à toutes surprises…

— Les vaches !

Avoir risqué sa peau, avoir bousillé de pauvres mecs pour des clous, vous avouerez que c’est rageant.

Ils m’ont eu, les Frizous. Ils m’ont vachement pris pour un branque ! Si je tenais le von Dugland, je lui ferais bouffer son monocle et je lui arracherais les châsses avec un crochet à bottines…

— Bon, fais-je après un long silence que je mets à profit pour ravaler mon coup de sang, et alors, Gretta, pour quelle raison avez-vous quitté votre poste ? Vous étiez aux premières loges, dans le bureau de von Truc…