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J’attends, toujours braillant. « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ! » que disait la mère Barbe bleue à sa frangine qui se balançait les châssis[3] du haut de la tour. Et elle voyait radiner un cavalier, la souris. Et le cavalier, c’était le gossier de la dame qui venait prendre ses crosses. Ce que c’est bath, les contes de fées ! Y a toujours le beau zigoto qui se la radine en temps utile. Il bigorne le gros-vilain-méchant et il cramponne la belle damoche par un aileron pour la conduire à l’autel ou à l’hôtel…

V’là cette vacherie de scie qui me rejoint. Et je te gueule de plus belle, au point que du fond de l’Australie y a des sourdingues qui se demandent ce qui se passe ! Et je te tire sur tes ficelles, petit gars, en rêvant que mes cordes deviennent aussi malléables que des fils de parmesan. La lame dentelée me mord le bas du cou. En m’étranglant je parviens à dévier un poil de plus ; de cette façon, c’est le col de ma veste qui biche et ça me donne une vingtaine de secondes de répit. Puis, subito, j’ai l’impression qu’il se produit un léger relâchement dans mes liens. Je tire, ça vient de dix centimètres. Je comprends ce qui se passe : la scie a tranché l’une des cordes. Maintenant, j’ai le haut du buste libéré. De cette façon, je vais être découpé en travers au lieu de l’être en long. Ça durera moins longtemps, mais le résultat sera le même.

Je me penche le plus possible. Avec la bouche, je parviens à choper la courroie de transmission. Quelle secousse ! Je reçois l’équivalent d’un coup de sabre en travers du portrait. La tranche de cuir m’a fendu les commissures des lèvres. Je vais avoir le clapet ouvert jusqu’aux oreilles et je pourrai gober des œufs d’autruche avec leur coquille. Je me rends compte que tout ce qui peut m’arriver, si je réitère cette tentative, c’est de voir mes chailles faire la malle. Comme, d’un autre côté, la scie est en train de me mordre sérieusement le haut du dos, je me dis que je peux sans arrière-pensée risquer ma tête. Autant être décapité d’un coup que de se sentir débité en tranches.

J’y vais de mon plongeon. Et, brusquement, c’est le grand vertige, le grand frisson, le fin des fins. Il me semble que ma tête est séparée de mon buste et dévale les escaliers d’un building. Mon cervelet se balade dans mon crâne comme les boules de la loterie dans la sphère pendant le tirage. Ça craque dans ma nuque, la scie me rentre dans la viande ; je suffoque. Puis c’est, tout à coup, comme une espèce d’explosion. J’ai un goût du sang dans la bouche. Et « pluff », good night, plus rien, le néant, la nuit, le cirage… La communication est coupée !

* * *

Quand je reviens à moi, j’entends plus le zonzon du moteur. Simplement y a un rossignol qui fait ses magnes dans un buisson voisin. Il s’égosille à dire que la vie est belle et qu’il va faire voler les plumes de sa rossignolette avant longtemps.

Mes pensées se mettent à l’alignement. Je rassemble tout ce que le Bon Dieu m’a refilé comme intelligence afin d’essayer de piger où j’en suis.

Petit à petit, ça vient. Pour commencer, je constate que j’ai pu faire sauter la courroie. Le moteur a dû s’emballer, puis il s’est arrêté. Ensuite, je m’aperçois que je suis couvert de sang. Si j’avais une main libre je ferais une enquête rapide pour voir ce dont je puis disposer en fait de visage. Je crois bien que je n’ai plus de tarin, que ma bouche est fendue comme celle d’une marionnette, qu’il faudra des années-lumière avant que mes lèvres soient cicatrisées et que je suis partiellement scalpé. À part ça, tout va bien. Si je parviens à intéresser à mon cas un chirurgien esthétique, il pourra acheter un baril de choucroute (c’est ce qui se réchauffe le mieux) et s’enfermer dans la salle d’opération pendant trois ou quatre semaines.

C’est moche tout de même de ressembler à un pain de saindoux. C’est pas qu’on m’ait confondu jamais avec Tyrone Power, mais j’avais la faiblesse de tenir à mon extérieur. Enfin, mieux vaut une bouille ravaudée mais entière, qu’un coquet visage partagé par le mitan.

La nuit est belle. C’est pas le couvre-feu là-haut ! Les étoiles brillent comme dans les romans à dix ronds pour jeune vierge refoulée. Je ne puis pas bouger de mon plateau de bois. Ma seule distraction c’est de bigler la Voie lactée. Seulement une fois que j’ai repéré l’étoile Polaire, le Chariot et la Grande Ourse, je commence à trouver le passe-temps un peu casse-bonbons. Je suis pas du genre bucolique. Moi, j’aime assez parler poésie, mais à condition d’être en compagnie d’une belle môme et qu’il n’y ait pas incompatibilité d’humeur entre ma main et son corsage, vous voyez ce que je veux dire ?

Si vous ne voyez pas, c’est que vous êtes le plus bath ramassis de locdus qui se soient jamais propagés sur cette planète.

J’attends. Le rossignol continue à se prendre pour Caruso. Un petit vent de nuit fait bruire les feuillages (j’ai lu cette phrase dans un roman de Paul Bourget) et les étoiles sont à cent watts. Tout ce qu’il faut pour donner de l’urticaire à un type aussi remuant que moi.

Probable que lorsqu’on me retrouvera je serai couvert de petits champignons verts.

Soudain, il me semble entendre un craquement de brindilles cassées. C’est peut-être un gibier quelconque ?

Je prête l’oreille. Le bruit recommence. Un type débouche du bois proche. En tournant la tête, je l’aperçois sous la lune. Il est grand, vêtu en péquenot et il porte un sac sur ses épaules.

Je fais :

— Hep !

Le mec sursaute comme si on lui prenait sa température avec un tisonnier chauffé à blanc.

Il s’apprête à rebrousser chemin.

— Bon Dieu, vous barrez pas, collègue ! je supplie.

Il hésite.

— Je suis sur la scie, ajouté-je. Des salauds m’ont ligoté là-dessus après m’avoir volé…

Je préfère ne pas parler des Allemands pour l’instant, des fois que le mec serait un sympathisant ?

Il s’approche, d’une démarche hésitante. Il est maigre, rouquin, avec des yeux enfoncés et le nez en bec d’aigle.

— Détachez-moi, fais-je. Je n’en peux plus. Ah ! les vaches ! Qu’est-ce qu’ils m’ont mis dans le portrait !

Il pose son sac. Le sac se met à remuer, par terre. Le gars reviendrait de lever des collets à lapins que je n’en serais pas autrement surpris. Il sort un couteau de sa poche et tranche mes liens. Après quoi il referme son ya et me reluque d’un air niais.

Je me lève. C’est bath de retrouver la verticale. Je fais quelques mouvements d’assouplissement et je m’aperçois tout de suite que ça boume. Je me serais cru plus sonné que je ne le suis en réalité.

— Merci d’être venu, dis-je au terreux, c’est une sacrée idée que vous avez eue, vieux, d’aller à la chasse cette nuit.

Il ne bronche pas ; ce zig, je vous jure, c’est l’incompréhension personnifiée…

Le voilà qui se baisse, prend son sac et fait la malouze en direction de la route. Je lui trotte au panier.

— Eh ! Dites, Toto, vous ne connaissez pas, par hasard, un petit bled, pas trop loin d’ici, où je pourrais trouver à me loger ?

Il ne répond rien. Il est sourd-muet, probable. Y en a des flopées dans les cambrouses ; ça vient de l’hérédité, m’a affirmé un toubib de mes aminches. Les péquenots lichetrognent tellement dans ce coin de France que leurs pilons ont du picrate dans les veines en venant au monde.

Il est là, tout indécis, avec pourtant l’envie de mettre le grand développement. Mon regard tombe sur sa main gauche. Quelque chose y brille à la clarté de la lune, c’est une superbe chevalière en or. Moi ça me fait salement tiquer, je vous le dis, because les bouseux n’ont pas l’habitude de porter des bijoux.

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3

Regardait.