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Quelques secondes s’écoulent. Elle fait fissa, la môme. Du moment qu’elle croit assister à l’hallali, elle se manie la rondelle.

Elle ouvre la porte brusquement. Elle est vêtue d’une robe de chambre en satin vieux rose et un ruban de même couleur est noué autour de sa tête.

— Bonjour, dis-je gentiment.

Elle fronce le sourcil car elle se demande qui je suis. Je fais un geste imperceptible pour lui montrer le revolver. J’aime autant vous dire que ça lui fait de l’effet. En silence nous nous mettons en marche, moi en avant, elle en arrière. Lorsque nous sommes tous les deux dans la cambuse je repousse la lourde avec le pied et, prestement, je mets la targette.

— Alors, Gertrude d’amour !

J’ôte mes lunettes et mon calot.

— San-Antonio…, balbutie-t-elle.

— Soi-même. Il est gonflé, le bonhomme, hein ma mignonne ?

Elle n’en revient pas. De saisissement, elle se laisse choir sur le lit.

— Ne bouge pas, cocotte, fais-je, je n’ai pas mes yeux dans ma poche.

Je m’approche et soulève son traversin. Dessous, il y a un bath pistolet de fort calibre.

— Veine, dis-je en l’empochant, il y a longtemps que je rêvais d’en avoir un de ce calibre. Il est allemand ? C’est de la bonne camelote, faut reconnaître.

— Que me voulez-vous ? grince-t-elle.

— Je suis un type trop solitaire, Gertrude, j’ai besoin de compagnie.

Elle hausse les épaules.

— Évidemment, fait-elle, il faut que vous vous mettiez à jouer les dégourdis.

Elle récupère vite, la poupée…

— Pardonnez-moi, jolie dame, mais je vais vous emmener faire un tour.

— Vraiment ! ironise-t-elle.

— Vraiment ! renchéris-je.

— Comment ?

— À pied, pour commencer, après… nous aviserons.

Je m’assieds sur le lit à ses côtés. Je passe une main autour de son cou. Le contact la fait frissonner.

— S’il n’y avait pas cette saloperie de guerre, on pourrait signer un pacte d’assistance mutuelle tous les deux, non ?

Elle me tend la bouche.

— N’oubliez pas que je tiens un revolver appuyé contre votre hanche, lui dis-je avant de l’embrasser.

C’est dangereux de se mettre à embrasser une fille pareille sur un lit. On sait comment ça commence, mais on ne sait pas comment ça finit.

Rappelez-vous qu’il me faut une sacrée force de caractère pour lui faire le grand jeu sans lâcher mon pétard. Moi j’aime bien jouer au sifflet dans la tirelire avec une louve. Ça donne de l’agrément à la chose.

Au bout d’une demi-heure nous nous retrouvons assis côte à côte comme précédemment.

— Merci pour votre… hospitalité, Gertrude, lui dis-je en lui cloquant un petit bécot dans l’oreille, vous êtes choucarde quand vous ne jouez plus à l’espionne. Maintenant, pensons aux choses sérieuses. Il faut que je me tire les paluches de ce guêpier. Tous vos boy-scouts me trottent après. Évidemment, ils ne se doutent pas une fraction de seconde que je joue à Casanova en votre compagnie, sans quoi ils voudraient me refaire le coup de Waterloo. Seulement, je ne puis demeurer dans ce patelin plus longtemps. Vous allez m’aider à en sortir.

— Vous plaisantez ?

— Ai-je l’air de plaisanter ?

Je fais sauter le revolver dans ma main.

— Gertrude, je crois vous avoir administré en quarante-huit heures plusieurs preuves de mon savoir-faire. Vous voyez que je suis capable de réussir des exploits qui — soit dit sans me balancer des coups de savate dans les gencives — sortent un peu de la normale, non ?

— Pour ça…, murmure-t-elle.

— Voilà ce que j’ai décidé… Puisque j’ai pu pénétrer jusqu’à vous en qualité d’infirmier, je vais vous faire un pansement soigné. Vous vous habillerez et vous m’accompagnerez. Si quelqu’un nous arrête pour vous questionner, vous direz que vous vous êtes sectionné une veine en tombant avec votre verre à dents à la main. J’aurai mon revolver continuellement braqué dans votre dos. Si vous dites un mot de travers ou si vous essayez quoi que soit, je vous dégringole, ma belle. Ce serait ma suprême ressource et je le ferais de grand cœur, n’ayant rien à perdre.

« À vous de décider.

Elle hoche la tête.

— Et si je marche dans votre plan ?

— Vous n’aurez pas à le regretter.

— Hum, c’est vague.

— C’est tout ce que je peux vous promettre. Décidez-vous, Gertrude, c’est ça ou une fève dans le crâne illico…

Elle soupire.

— Bon… Allons-y.

* * *

Il n’y a plus d’officiers dans le hall lorsque nous descendons, décidément j’ai du vase.

Je lance un clin d’œil au gars chauve de la caisse.

— Mademoiselle est plus blessée que nous le supposions, je préfère l’emmener à l’hosto.

Il formule avec obséquiosité des vœux de guérison.

Je hausse les épaules, ce qui le rend vert de frousse et nous sortons. Les factionnaires rectifient la position en voyant paraître Gertrude, je lui ai foutu le bras en écharpe de façon à ce que, non seulement elle ait l’air blessée, mais aussi qu’elle ne puisse se servir de sa main droite.

C’est ce qui s’appelle joindre l’utile à l’agréable.

Nous sortons dans la nuit humide. Au loin, très loin, vers l’horizon, une barre mauve foncé annonce l’aurore.

Je me souviendrai de cette nuit…

Nous faisons quelques pas.

— Vous avez bien une bagnole à votre disposition ? fais-je.

— Évidemment, dit-elle, mais elle est au garage.

— Eh bien, allons la chercher…

Tout en marchant, je réfléchis. Faites confiance à la matière grise du mec, elle est riche en phosphore. Je me dis que les zigs du garage trouveront sans doute un peu fort de café que ce soit un pétezouille d’infirmier français qui pilote le bolide de la poulette.

C’est un petit détail qui risque de faire échouer mes plans.

Lorsque nous sommes parvenus devant la porte du garage, j’appuie sur la sonnette, et, en attendant qu’on vienne m’ouvrir, je colle à Gertrude le marron le plus meû-meû qu’elle ait jamais encaissé de sa vie.

Elle pousse un gentil gloussement du genre jeune pintade et s’écroule dans mes bras.

Un grand type tondu vient ouvrir la lourde. Il a le faciès d’un gorille qui serait issu du croisement d’un bouledogue avec une lampe à souder. Il me demande ce que je veux dans un français petit-nègre.

Je lui désigne Gertrude.

— La Fräulein blessée… Hôpital, loin… Voiture… Automobile. Gut !

Il examine Gertrude, la reconnaît et s’empresse En un temps record, il sort une Opel du garage et se place au volant.

— Où est hôpital ? demande-t-il.

Je m’installe derrière avec Gertrude toujours dans le cirage.

— Nach Lyon, je fais.

Il les met à toute berzingue. Son os cogne le 100 comme une fleur. Pourvu que ce singe habillé ne nous rentre pas dans un arbre. C’est ça qui serait giron ! Il aurait bonne mine, le San-Antonio, de finir incrusté dans un platane entre deux Allemands…

Mais le gars, s’il n’a vraisemblablement jamais remporté de prix de beauté, a dû décrocher des prix automobiles. Le volant, ça le connaît. Il prend de ces virons, le zig, qui sont d’un grand champion.

En trente-cinq minutes, nous atteignons Lyon. Le jour se lève.

Je donne à l’Allemand l’itinéraire à suivre pour aller chez Stéphane.

— Stop ! je crie, lorsque nous parvenons devant le bistro de notre ami.

L’Allemand s’arrête et se retourne.