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— Hôpital ? fait-il, surpris.

Je lui mets un coup de crosse au bas du crâne qui fendrait en deux une boule d’escalier.

Cette sage précaution étant prise, je vais cogner à coups de poing dans la porte du bistro. La tête décoiffée de l’empereur romain ne tarde pas à s’encadrer dans l’une des fenêtres du premier étage.

— Qu’est-ce que c’est ? demande-t-il.

On ne voit pas ses mains, mais je vous parierais la barbe du négus contre un sucre d’orge qu’il tient une mitraillette.

— Bons baisers ! je lui lance.

— À bientôt, fait-il machinalement.

Il descend ouvrir.

— Et alors quoi ! On ne reconnaît plus les aminches ? je lance joyeusement.

— San-Antonio ! Déjà vous ?

— Vous voyez…

— Rien de cassé ?

— Au contraire. Je ramène une nouvelle voiture, plus ma petite espionne pour faire le bon poids…

Un remue-ménage se fait entendre dans sa casbah.

— Qu’est-ce qui se passe, je demande, y a la foire chez vous ?

— Ce sont les amis de l’expédition de tout à l’heure, ils ont couché à la maison.

— Tout a bien marché ?

— Très bien.

Trois types que j’ai déjà vus en début de soirée, puisque j’ai fait un bout de chemin en leur compagnie, apparaissent.

— Tout va bien, les gars, prévient Stéphane, c’est le commissaire.

— Vous tombez bien, je leur fais, aidez-moi à décharger la bagnole, ensuite que l’un de vous aille la mener le plus loin possible de par ici…

Ils ne demandent qu’à s’employer, ces braves petits. En un clin d’œil. Gertrude et le grand tondu sont rentrés dans le bistro et allongés sur deux banquettes.

— Voilà, dis-je, après leur avoir résumé rapidement la situation, je n’ai pas du tout besoin du chauffeur, celui qui lui trouverait un bon vieux caveau de famille d’occasion me rendrait un fier service.

Stéphane désigne un petit rouquin au nez en trompette.

— Jules est tout désigné pour s’occuper de lui, dit-il.

Jules approuve d’un discret hochement de tête. Il s’approche de l’Allemand.

— Minute, fais-je, j’ai une petite démonstration à faire à madame auparavant.

Car je me suis aperçu que Gertrude revenait de sa croisière dans les pommes.

Je biche Stéphane à part.

— Gretta est ici ? lui demandé-je à l’oreille.

— Oui.

— Allez lui dire qu’elle ne se montre pas jusqu’à nouvel ordre. On peut se manifester bruyamment, ici, sans crainte d’être entendu de l’extérieur ?

— Bien sûr, vous avez remarqué que mon café est isolé.

— Votre copain Jules, c’est un dégourdi ?

— Un terrible, il vous bousille son homme sans broncher, son reclassement après guerre posera un problème.

— Nous n’en sommes pas encore là…

Je fais signe à Jules de me rejoindre.

— Écoute, petit gars, je lui dis, j’ai besoin de produire un, mettons un choc psychologique, sur la souris qui est là. Il faut absolument qu’elle me donne un renseignement important. Puisque tu dois liquider l’Allemand, j’aimerais que tu le fasses avec certains raffinements qui donneront à réfléchir à la donzelle, compris ?

— Laissez-moi manœuvrer, patron.

Il va chercher une carafe d’eau et la vide sur le visage de l’Allemand.

Ce dernier toussote et se réveille. Jules l’assied sur la banquette. J’en fais autant de la môme Gertrude.

— Vous avez fait bon voyage, ma chérie ? je lui demande.

Elle pince les lèvres et son regard flamboie.

— Voilà le programme des réjouissances, je fais. Un avion partira ce soir pour Londres. Vous serez peut-être à bord ; si vous y êtes, vous serez en arrivant là-bas internée en forteresse jusqu’à la fin des hostilités.

« Pour être dans l’avion, il vous suffit de nous dire comment le matériel de la bombe téléguidée est expédié et où il se trouve pour l’instant.

« Vous saisissez ?

— Je saisis, mais je ne puis vous renseigner, dit-elle, j’ignore tout de cette affaire.

— Bon. En attendant que vous recouvriez la mémoire, notre ami Jules, ici présent, va vous montrer ce qu’il sait faire.

Je fais un signe à Jules. Il s’avance sur l’Allemand, un couteau à la main et, lui saisissant l’oreille gauche, la tranche d’un geste précis. Le sang coule de la blessure.

Nous sommes tous très pâles et la gonzesse est très pâle également.

— Je n’aime pas beaucoup ce genre d’opération, dis-je ; s’il ne tenait qu’à moi, cet homme recevrait une balle dans le crâne et tout serait dit ; hélas, ça ne tient pas à moi, mais à vous.

« Êtes-vous décidée à parler ?

Elle ne répond rien.

— Continuez, Jules.

Avec le même sang-froid et, je pourrais dire la même délectation, Jules coupe l’autre oreille.

Je me rends compte alors d’une chose, c’est qu’alors que nous suons à grosses gouttes, Gertrude regarde le prisonnier avec une espèce de louche satisfaction. J’oubliais simplement que cette fille est une sadique. On peut découper le gorille en petits morceaux comme pour l’accommoder en macédoine, elle se régalera.

— Ça va comme ça, dis-je à Jules, va liquider ce type et reviens ; madame ne réagit pas devant la souffrance d’autrui, du moins dans le sens que j’espérais, nous verrons si ces mutilations opérées sur sa personne la laisseront insensible…

Jules quitte la salle en poussant le grand Allemand complètement sidéré devant lui. Il revient peu de temps après en essuyant son couteau avec un morceau de papier journal.

— Vous parlez ?

— Non, dit-elle, faites-moi ce que vous voudrez, Heil Hitler !

— C’est ça, ma belle, il te refilera des étiquettes neuves, ton Adolf !

« Bon, eh bien, Jules, reprends ton petit turf, il paraît qu’on travaille dans le cartilage, ce matin.

La gonzesse pousse un cri aigu. Un flot rouge coule sur son épaule. Jules tient sa jolie oreille entre le pouce et l’index.

— Qu’est-ce que j’en fais ? demande-t-il.

— Donne à mademoiselle, il faut rendre à César ce qui appartient à César, tu sais bien…

Il jette l’oreille sur les jupes de Gertrude. Elle fixe le répugnant débris humain d’un air épouvanté.

— Réfléchissez, dis-je. Vous pourrez vous coiffer de côté, une oreille ça n’est pas encore bien grave…

Elle a des larmes plein les yeux et elle serre les dents pour ne pas gémir.

— Vous parlez ?

— Allez vous faire foutre…, grince-t-elle.

— C’est une fille de bon conseil, sourit Stéphane. Si on lui mettait du sel sur sa plaie ? il paraît que ça cicatrise.

Je commence à en avoir ma claque de cette boucherie. Ce sont des méthodes que je réprouve vachement, mais il y a des circonstances où l’enjeu justifie tout. Je me dis que c’est peut-être des milliers de vies humaines, et de vies innocentes qui dépendent du silence de cette garce.

— Faites comme vous voudrez, dis-je.

Je vais au fond de la salle, là où se dresse le comptoir, j’attrape un flacon sur une étagère, c’est du rhum, je m’en verse un grand verre que j’avale.

Gertrude pousse un cri inouï. Elle est blême et ses lèvres sont exsangues.

Maintenant elle n’a plus d’oreille du tout.

Je m’emporte.

— Idiote ! Vous ne voyez donc pas que ce garçon est capable de vous charcuter jusqu’à demain ? Parlez, nom de Dieu.

— San-Antonio, balbutie-t-elle, je possède incomplètement le français, comment est-ce, ce mot que le général Cambronne…

Elle n’a pas le temps d’achever et glisse évanouie sur la banquette.