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Si vous pouviez voir les bouilles qu’ils font, tous, vous prendriez vite des photos pour les exposer dans le hall d’annonces de Paris-Soir.

— Vous nous avez fabriqués, je continue, et, sans la perspicacité de Stéphane, nous serions chocolats.

Je me tourne vers l’empereur romain.

— Pourquoi doutiez-vous d’elle, au fait ?

— Eh bien, dit Stéphane en fronçant les sourcils, j’ai été profondément surpris par deux choses paradoxales. Gretta demeurait chez moi sous prétexte que son réseau était en pleine déconfiture, et voilà que nous avons besoin d’hommes parlant allemand pour notre coup de main et qu’elle nous les trouve…

— Bon Dieu ! m’exclamé-je, vous parlez d’or… Je n’avais pas pris garde à ce détail.

« Alors ? fais-je à Gretta, je crois que l’heure des grandes explications a sonné, non ? Quel jeu jouez-vous, fillette ?

Elle regarde ses truands.

— Nous travaillons pour le compte d’un allié, dit-elle : l’URSS ; mes camarades et moi sommes des Polonais rouges ; nous voulions que la fameuse invention aille de préférence au gouvernement soviétique, voilà pourquoi j’ai usé contre vous de moyens un peu cavaliers…

Elle sourit.

— Mais nous avons tous comploté et risqué nos existences pour rien, San-Antonio ! Les Allemands ont été les plus forts, c’est vous, c’est nous, qui sommes leurs dupes.

Je la bigle attentivement. Elle m’a tout l’air de me monter un patatraque de première, la gosseline.

Pourtant ses yeux sont paisibles. La déception se lit sur sa frimousse comme sur la gueule de ses potes.

— Regardez ce que contient le coffre, dit-elle.

Je m’approche de la boîte oblongue et j’en soulève le couvercle blindé qui vient d’être forcé.

Stéphane et moi ne pouvons réprimer un mouvement de recul : le coffre contient le cadavre d’un vieillard.

* * *

Je remise mon pétard et je pars d’un profond éclat de rire.

— Assez inattendue, la pochette-surprise, hein, les petits ? On cherche du matériel secret, des plans, je ne sais pas quoi de sensationnel, on monte l’opération la plus formidable dans l’histoire des services secrets, ensuite on se tire la bourre pour se faucher le crapaud et que trouvons-nous dans la tirelire ? Un macchab ! Un bath ! C’est du soi-soi comme calembour. Nom de fichtre, je la raconterai aux enfants de mes petits-enfants, celle-là, au lieu du Chaperon rouge

Stéphane et les autres ne partagent pas ma bonne humeur.

— Ben quoi, je leur dis, faites pas ces billes… Faut être beaux joueurs, il ne nous reste plus qu’à nous débarrasser du macchab.

— Vous avez examiné le cercueil, oui ? Il n’a pas de double fond ?

— Non, dit Gretta. Et nous avons fouillé le mort. Youri, qui est médecin (elle désigne un de ses pingouins) a vérifié sa dépouille dans les moindres recoins, il ne contient rien ! Il a même poussé les recherches jusqu’à lui donner un coup de bistouri dans l’estomac. C’est un mort de bon aloi… Je me demande ce qu’il faisait à bord du convoi, et pour quelles raisons les Allemands nous l’ont remis…

— Stéphane, dis-je, allez chercher la voiture, vous la rangerez dans la cour et nous y chargerons le défunt. Je voudrais le faire photographier pour tâcher de savoir qu’il s’agit d’un haut personnage ou quoi…

Je prends la môme Gretta par le menton.

— Tu n’étais qu’une petite rouée comme les autres, ma gosse, mais tu as sur les autres l’avantage d’être gentille. Or, les mômes gentilles jouissent d’un privilège : elles touchent le cœur de San-Antonio… Le cœur et tout, quoi ! Ça me ferait plaisir de te revoir après la guerre. Je t’offrirais un cornet de frites, car j’espère qu’à défaut de l’Alsace et des colonies, la pomme de terre frite nous sera rendue ! Allez, bons baisers… et à bientôt.

CHAPITRE XV

Barthélemy et Stéphane fument béatement.

Nous sommes dans la petite propriété de la route de Bourg.

— Je ne comprends pas pourquoi vous trimbalez ce cadavre, dit Stéphane, voici vingt-quatre heures que nous l’avons et, je ne sais pas si vous avez de la cire dans le nez, mais… D’autant plus que, contrairement à ce que vous aviez annoncé aux Polonais, vous ne l’avez pas photographié…

— À quoi bon, dis-je, puisque je l’ai tout de suite reconnu.

— Hein ?

— C’est le professeur Hossaïnem.

— Connais pas…

Barthélemy ôte sa pipe de sa bouche.

— Le savant iranien qui, à Milan, s’est spécialisé dans les recherches aéronautiques ? J’ai lu des articles sur lui dans différentes revues scientifiques d’avant-guerre.

— C’est cela, dis-je. C’est Hossaïnem qui a inventé la fusée sphérique dont les Allemands font si grand cas. Cette fusée n’a pas été construite parce que Hossaïnem est mort. Son corps est le seul témoignage de son œuvre. Nous nous sommes demandé pourquoi ce coffre de faible dimension était transporté avec un tel déploiement de tralala, de wagons, de bateaux, etc. Certes, il aurait été plus simple de le trimbaler par air, seulement un corps est une denrée périssable, si j’ose dire. Dans un incendie, cela se carbonise. Tombant de haut, cela se brise… C’eût été imprudent. Or, les Allemands sont des gens prudents.

— Voulez-vous dire, s’exclame Stéphane, que l’invention du savant est en la possession de son cadavre ?

— C’est exactement l’expression qui convient, mon petit père.

— Mais son corps a été exploré, disséqué… Ses vêtements mis en pièces… J’en ai du reste encore mal au cœur.

Je souris, heureux de pouvoir ménager mon effet.

— Ce soir, je prends l’avion, et j’emporterai un drôle de colibard, je vous le dis.

Tous deux me regardent attentivement.

— Quoi donc ? finit par questionner Stéphane.

— La tête du mort ! Je la prélèverai sur le cadavre, sale boulot en perspective, il y a même une loi qui punit cette sorte de mutilation, mais je ne vais pas m’embarrasser du corps entier alors que la tête seule m’intéresse.

— Voulez-vous dire…, commence encore Stéphane.

— Que même mort, il a son invention dans la tête ? C’est exact. Hossaïnem, qui pourtant était un homme évolué, a mis au service de son œuvre une vieille coutume persane : il s’est fait raser le crâne à triple zéro, s’est fait tatouer sur la tête les formules de sa découverte et a attendu que ses cheveux repoussent. C’est la plus sensationnelle de toutes les cachettes, n’est-ce pas ? Heureusement que j’ai roulé ma bosse un peu partout et que je sais pas mal de choses…

— Formidable ! murmure Barthélemy.

Barthélemy ne songe plus à sa répugnance. Il va au cercueil remisé dans la pièce voisine et s’applique à écarter les cheveux du professeur.

— Exact, fait-il en revenant, il y a bien des tatouages sur ce crâne.

Il me regarde, perplexe.

— Par exemple, je ne comprends pas pourquoi les Allemands prenaient tant de risques en véhiculant ce cadavre, pourquoi ils mobilisaient tant d’hommes et de matériel alors qu’il leur aurait été si facile, soit de transcrire la formule, soit de la photographier ?

— Cette question m’a beaucoup tracassé, dis-je ; aussi j’ai passé la matinée à la résoudre… Pour cela, j’ai potassé de vieux journaux et des revues scientifiques à la bibliothèque municipale. Hossaïnem travaillait depuis vingt-cinq ans en Italie. Juste avant la guerre, il faisait des recherches pour réaliser une fusée sphérique téléguidée. Je me doute que le premier soin des Allemands, au début de la guerre, a été de mettre le grappin sur Hossaïnem. Seulement, ce dernier ne devait pas vouloir mettre sa science au service des nazis. Il a fait traîner les choses. Il livrait peu à peu son invention, mais le point final, la clé de voûte de l’édifice, il la détenait, et il est mort avec son secret inviolé. Les Allemands ont repris ses travaux en Belgique d’où ils préparent une terrible offensive aérienne avec des engins modernes. L’Italie n’étant plus sûre, tout a été transporté Outre-Quiévrain. C’est le lieu idéal pour lancer une fusée nouvelle sur l’Angleterre.