Ils se croient malins parce qu’ils sont vivants, les vampires en pantoufles ! C’est la seule occasion qu’ils aient de se sentir moins c…
Le gros Béru refoule les charognards, aidé de Pinaud que cet épisode de la guerre de Sécession a ramené dans le coin.
Je cramponne le sac de bain de Diano. À l’intérieur, il y a un gentil petit outillage de bricoleur. Pour un mec qui avait soi-disant dételé, ce n’est pas mal… Tout ça ne devait pas lui servir à réparer des réveille-matin, au Rital !
À part les ustensiles, je ne trouve rien… Je me mets alors à fouiller les profondes du mort… Rien non plus ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Il n’a donc rien chouravé ? Oh ! mais ça tourne de moins en moins rond !
V’là Police-Secours qui se ramène, puis une ambulance… Je donne des instructions à ces messieurs et je vais rejoindre Charvieux au bord de la Seine, après le pont.
Là aussi on refuse du peuple… Ce sont les mariniers qui composent le plus gros du public. Ils font cercle autour d’un second cadavre tout mouillé qu’ils ont allongé sur les pavés ronds de la berge. Je regarde… Quelle surprise : l’ami Grunt !
Charvieux, un peu pâle, le regarde à distance.
— Fallait peut-être pas le farcir ? demande-t-il… Lorsque je vous ai vu tirer j’ai cru que…
Je hausse les épaules.
— Baste ! Tu as bien fait. De toute façon il n’aurait pas parlé…
Il bredouille, Charvieux :
— C’est la première fois que… que je tue un homme, m’sieur le commissaire…
Je comprends ce qu’il éprouve. Je sais pour l’avoir vécu, ce moment-là, que ça fait une sale impression. Tant qu’on s’exerce sur des cibles en liège, ça boume. On est tout fier d’attraper le cœur. Seulement quand on fait un vrai carton, ce n’est plus du kif.
— Te casse pas le chou, mon petit vieux…
Ce mec-là avait plus de chance de claquer d’une balle que des oreillons. Et puis dis-toi qu’il vient d’en flinguer un autre !
Ayant de la sorte sommairement réconforté Charvieux, je fouille itou les poches de l’espion. Comme il fallait s’y attendre, elles sont vides de tous papiers et ne contiennent que du fricotin…
Je me redresse, perplexe… Vous voyez que j’avais raison de redouter quelque chose… Il y a eu un drôle de tabac. Et ce casse-pipe n’a pas duré plus de quatre minutes…
Maintenant, tout le quartier est dans la rue… Y a des gnards qui se régalent avec les nanas en chemise de noye. Ça tourne à la kermesse galante ! Toutes ces bonnes truffes en pyjama ou bannières étoilées ont des mines qui font penser. Ah ! elles sont bath les bergères avec leur valoche diplomatique sous les yeux, leurs bouches décolorées, leur peau soufrée et leurs surplus américains qui font du saut à basse altitude. Drôlement tentantes, ces dames, quand elles se réveillent en sursaut, la frime encore luisante de démaquillant ! Y a de quoi courir se faire inscrire à la Joyeuse pédale des petits marins bretons ! Sous la présidence d’honneur d’André Clavette !
Comme disait un de mes amis de Rennes : « Je l’aime bien parce qu’il est vilaine[25]. »
Je pousse un coup de gueule manière de faire calter les visiteurs du soir.
— Allez vous coucher, mesdames, messieurs, la représentation est terminée… La suite demain, dans votre journal habituel…
Comme on emmène les allongés, les gens retournent se pager. Marrant, l’idiotie de la vie… Y en a qui vont se faire reluire avant de dormir… Des êtres naîtront de ce réveil en sursaut ! Ça ne vous fout pas les jetons, à vous, cet immense malaxage d’individus ?…. Non, bien sûr, vous êtes peinard derrière votre bêtise ; y fait bon dans votre intellect… Air conditionné ; confort moderne, eau courante ! Quand vous essayez de penser, ça fait du bruit dans votre calebasse comme lorsque vous bouffez des cacahuètes !
— Alors, programme ? demande le gros Bérurier…
Son nez est plus énorme, plus violacé que jamais… Il pue comme une grève de la voirie et il a une joue plus grosse que l’autre.
— T’as une joue enceinte, Gros, observé-je… Tu chiques ou quoi ?
Il commence par éternuer, ce qui me donne l’impression de jouer le cinquième principal rôle dans Bourrasque…
— Je fais un début d’abcès, explique-t-il…
— Un début ! Tu veux dire une fin d’abcès ! Toute ta vie a été un apostolat au service de l’abcès. Tu as donné à celui-ci sa forme la plus véhémente et la plus volumineuse…
Il me regarde avec l’air incrédule d’un bœuf qui assisterait à une corrida.
Ses bons yeux me fustigent. Son regard est gluant comme un caramel sucré.
— Comment peux-tu débloquer en un pareil moment ! Soupire-t-il…
— C’est de l’autodéfense…
« Bon, arrivez, les archers, il va y avoir du turbin cette nuit… Je vous promets des divertissements de qualité…
— Où qu’on va ? demande Béru.
— À l’usine Vergament.
— Maintenant !
— Tu sais ce qu’on dit ? Y a pas d’heure pour les braves, à plus forte raison pour des minables de ton espèce !
CHAPITRE III
Le gardien de l’usine est sur le pas de la porte qui regarde avec un intérêt non dissimulé le brouhaha de la chaussée. Cette bonne bille ignore qu’il a reçu une visite il y a un instant.
Je lui fonce dessus.
— Police !
— Je n’ai rien vu, se défend instantanément le pégreleux…
Vous connaissez ce genre de tordu ? Ils vous jouent la muette mordicus. La peur des responsabilités, quoi ! Air connu…
— Je ne vous parle pas de l’attentat qui vient de se produire sur le quai, mais du cambriolage dont vous venez d’être victime dans l’usine !
Alors là, il manque d’oxygène, le M. La-Ronde-de-Nuit ! Faudrait lui souffler dans les trous de trous en lui faisant faire des mouvements des bras.
— Le quoi ? s’égosille-t-il.
— Le cambriolage…
— Vous plaisantez ?
— Ça m’arrive parfois, mais pas en ce moment… Laissez-nous entrer…
Alors v’là ma ganache de veilleur qui se fout en renaud. C’est un type bilieux, très ulcère du pylore… Il a la cinquantaine, un penchant pour le juliénas en général et pour le cru des Capitants en particulier… Et un regard à demander le billet des gens en compagnie de qui il voyage, sans être contrôleur.
— Impossible, messieurs ! Ici c’est un établissement travaillant pour la Défense nationale !
— Je m’en fous, réponds-je fort aimablement. Que vous grattiez pour la Défense nationale ou pour la défense d’afficher, c’est pour moi du pareil au même… Je veux voir le coffre…
— Il se trouve dans le bureau particulier de monsieur le directeur et je n’en ai pas la clé !
— Je vous parie que la porte est ouverte…
Il hausse les épaules.
— Messieurs, je suis obligé d’en référer à monsieur le directeur…
— Eh bien ! Référez-en !
Il nous fait entrer dans son igloo près de la lourde. C’est un poste comprenant deux pièces.
Dans la première, il y a les accessoires indispensables à son office, à savoir : une table, deux chaises, un litre de rouge et un jeu de cartes… Plus une torche électrique et le dernier numéro du Chasseur français. Il y a un téléphone sur une tablette.
Il compose un numéro sans nous lâcher d’un regard lourd comme un sac de sable.
Pinaud et Bérurier louchent sur le kil de rouquin… Je leur fais les gros yeux et ils abandonnent les projets qui brillaient dans leurs prunelles.