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— Cette nuit ! Mais il est deux heures du matin ! larmoie le lacrymal Pinaud…

— Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud, rétorqué-je non sans à-propos.

Sur ce, je demande si le Vieux est en état de me recevoir.

Il l’est.

* * *

Je vous l’ai souvent dit, ce qui m’épate le plus, chez le Vieux, c’est la faculté qu’il a de se trouver toujours dans son burlingue, à toute heure du jour et de la noye dans les cas graves. Je me suis laissé introduire dans le tuyau acoustique que ses appartements se situeraient dans la rue voisine et qu’il aurait fait aménager une issue spéciale afin d’aller de ceux-ci à son atelier lorsqu’il y a urgence. Sa vie privée ressemble à une panne de lumière. Personne ne sait rien d’elle et même on en est à se demander s’il en a une.

Côté gonzesse, nibe ! On ne l’a jamais rencontré avec une pétasse. Bref, c’est pas un homme, c’est un dictaphone ! Y a des moments où je souhaiterais lui amener dans son burlingue Sophia Loren à poil, manière de voir ses réactions en face d’une dame affligée d’hyperplasie mammaire.

Pour l’instant, il n’est question de rien de tel. Hélas ! Parce que, soit dit entre nous et les œuvres complètes du ministère des P. et T., voilà trois jours que j’ai eu le temps de psychanalyser une souris… Pourtant j’en aurais long à lui dire sur le comportement de mon moi second et le dépassement de mon individu.

Trois jours ! Vous mordez la distance sidérale qui me sépare de la volupté…

Le Vieux, cravaté, récuré, boutondemancheté est là, le fignedé contre le radiateur comme toujours lorsqu’il attend quelqu’un.

Je le salue d’un geste mou.

À peine cette position acquise, il me bondit sur le poiluchard.

— Du beau travail, n’est-ce pas, San-Antonio ?

Non, sans charre, le v’là qui cloque ses fausses manœuvres à mon actif ! Elle est chouette, celle-là ! Faudra que je la replace dans un compartiment de fumeurs !

— Oui, dis-je en le biglant droit entre les deux yeux, je pense que vous n’auriez pas dû préconiser l’attentisme.

Il avale ça comme de l’huile de ricin. Puis sa grimace disparaît. Il est honnête et sait par conséquent reconnaître ses erreurs, même s’il ne les a jamais vues.

D’un ton radouci, il tranche :

— Bref, où en sommes-nous ?

Moi, paisible comme la cervelle d’une starlette, je croise mes bonnes mains laborieuses sur mon ventre.

— Le second gardien vient d’avouer sa participation dans le sabotage des signaux…

C’est Grunt qui l’a soudoyé…

— Et ça nous mène à quoi ?

— À rien. Ça éclaircit un point de détail, voilà tout !

— Alors ?

— Faisons le point, chef, si vous le voulez bien… Prenons les choses par le commencement : nous avons un spécialiste des coffres nommé Diano, réfugié en France, sur lequel l’espion Grunt fait pression afin de lui faire commettre un vol à l’usine Vergament.

— Exact, admet le Vieux.

Le contraire prouverait de sa part une drôle de perte de vitesse dans la gamberge.

— Diano essaye (ou feint d’essayer) de se soustraire à l’ultimatum… Peu importe qu’il ait été ou non le complice de Grunt… Puis, sur notre propre conseil, il accepte !

Le patron continue l’édification de ce mur dont chaque moellon serait une idée.

— Grunt savait que nous laisserions faire, parce que c’était le seul moyen de ne pas rompre la chaîne nous conduisant à l’Organisation.

Boum, servez chaud ; le chauve[33] vient de trouver, mine de rien, le moyen indirect de se justifier à mes yeux. Il poursuit :

— Diano fracture le coffre…

— Et ne vole rien, terminé-je, pertinemment.

Il reste avec un sourcil relevé.

— Comment, rien ? Le coffre était vide, m’avez-vous dit ?

— Oui, mais les poches de Diano l’étaient aussi… Or je ne l’ai pas perdu de vue depuis sa sortie de l’usine. Il n’aurait pu se défaire des plans et de la maquette. C’est im-pos-sible.

— Et avec le concours du gardien Bourgès ?

— Non. Ce dernier est un minus, tout juste bon à supprimer l’avertisseur… Il m’a tellement mal joué la comédie de l’homme assommé que je n’ai pas douté un seul instant de sa culpabilité. Jamais un renard comme Grunt n’aurait confié des documents aussi importants à cet individu médiocre !

Le Vieux chasse une poussière de son revers, puis il introduit l’ongle en amande de son médius dans le conduit auditif de son oreille gauche…

— Vous devez avoir raison, reconnaît-il, une fois cette double opération menée à bien.

Il se tait un instant pour admirer le reflet élégant de ses manchettes.

Puis il reprend, de sa voix soyeuse qui fait penser à un ruisselet coulant dans les hautes herbes :

— En somme, pour résumer la situation, on a forcé Diano à ouvrir un coffre vide et on l’a assassiné avant de le revoir. Ce meurtre prouve bien qu’on était certain qu’il ne possédait pas les plans !

— Oui, oui, fais-je, captivé. Et on l’a tué pour qu’il ne puisse pas nous dire que le coffre était vide…

— Exactement.

On joue au tennis, le Vieux et moi. Pour se renvoyer la balle nous sommes de vrais champions. À nous la coupe Davis !

— Mais pourquoi toute cette mise en scène puisque les plans avaient disparu « avant » le cambriolage ? Pourquoi attirer l’attention des services ? Pourquoi tuer gratuitement un homme ! s’exclame le boss en se massant la colline.

Je souris.

— J’ai ma petite idée là-dessus, patron…

— Quelle est-elle ?

— Ceux qui ont pris les plans avaient accès au coffre d’une façon normale. Seulement s’ils s’étaient sucrés carrément du fait qu’ils aient l’accès au coffre, nous les aurions immédiatement soupçonnés. Il leur a donc fallu créer toute une psychose de cambriolage, vous comprenez ?

Il fait claquer ses doigts. Son enthousiasme est très exceptionnel. Le Vieux étant d’ordinaire le genre de mec à qui on peut mettre un pétard allumé dans le calcif sans lui voir froncer les sourcils.

— Vous tenez le bon bout, San-Antonio… En chasse, mon ami !

Son ami ! Alors là il se mouille, le boss ! Bientôt il va me pincer l’oreille, façon Empereur, en me disant qu’il est content de moi.

La vanité est un puissant levier, comme disait Machin[34] ! Je me lève, galvanisé comme du fil de fer.

— J’y vais, patron !

Là, vous pouvez brancher la sonnerie de cors de chasse. Je vais faire cavalier seul !

Taïaut ! Taïaut !

— Vous me tenez au courant, naturellement, grince le Vieux.

— Naturellement, chef.

* * *

Lorsque je suis de retour dans mon burlingue, je trouve le célèbre tandem Pinuche et Béru en train de disputer un marathon de pionçage. Pour la dorme et le gros rouge, ils ne craignent personne. Y a longtemps qu’ils ont obtenu leur licence de professionnels.

Béru est assis dans le fauteuil éventré des interrogatoires. Il a les pieds sur sa table, le chapeau sur ses yeux, la bouche béante et les trous de nez en canon d’escopette. Très jolis trous de nez à la vérité, agrémentés de longs poils roux… Bien entendu, il a posé ses godasses et ses pieds fument comme un bourrin qui vient de se farcir le prix de l’Arc de Triomphe ! Ses chaussettes sont trouées au talon, mais comme elles ont la bonne idée d’être noires, on s’en rend à peine compte.

Quant au Pinaud bien-aimé, il est à califourchon sur une chaise et il en écrase sur ses bras repliés.

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33

N’est pas chauve qui peut ! Toujours du Vermot, bien frais, bien parisien.

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34

Machin : frère de Chose et cousin issu de germain de Truc.