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Et de rire, le San-Antonio… Mais pas longtemps, par exemple. Car c’est pas un mandat qu’il se propose de m’envoyer, ce fumelard, mais de la fumée ! Je plonge sur la carpette. Il était temps. La dragée me décoiffe ! Je fous un coup de rein dans le lit qui nous sépare. Ça le déséquilibre… Pourtant il réussit à ne pas tomber… Je me redresse et roule sur le pageot de manière à me retrouver dans ses quilles. Il tire encore… La seconde prune traverse le pan de ma veste… Il commence à me fatiguer le distributeur.

Je lui saisis le bras et je tire à moi. Nos deux tronches entrent violemment en contact, ce qui nous fait voir à l’un et à l’autre un nombre sensiblement équivalent de bougies allumées. Je fais un effort, je pique mon poing dans le gras de son bide… Cette fois il recule… Je fonce encore, hargneux comme un sanglier blessé. Nouveau coup de boule dans sa boîte à ragoût… Conseil s’écroule. Pas évanoui, mais fou de douleur. Il aurait une vacherie au foie que ça me surprendrait à moitié…

Je lui passe les menottes et il reste affalé sur sa carpette.

— Voilà le travail, dis-je, en me redressant.

Je le hisse sur le lit. Il a droit à une paire de tartes maison pour les frais de stoppage à ma veste…

— Maintenant accouche, gars… Mais auparavant, regarde ça…

Je lui montre ma carte…

Il est sidéré.

— Tu ne t’attendais pas à ce retournement, hein ? Conseil… J’ai bien joué mon rôle… Faudra réformer ton jugement. Un Conseil de réforme, quoi[39] !

Il ne répond pas. Sur ce, un grand fracas se fait entendre en bas.

Ce sont mes deux vaillants camarades qui, alertés par les coups de feu, commencent à enfoncer la porte ouverte.

* * *

— Alors, tu t’étais pas gouré ? questionne le Gros, cette salope a trempé dans le coup !

De confiance, il balance un ramponneau à M. Conseil, qui prend aussitôt des couleurs.

— Bouscule pas ce gentleman, Béru, il a des choses à nous dire…

Mon sac à vin de collègue déboutonne sa veste, nous découvrant ainsi un magnifique pull-over à bandes vertes, rouges et bleues constellé d’accrocs dont certains ont été reprisés avec de la laine blanche. C’est le beau pull-over de cérémonie, avec fermeture-éclair sur le devant afin de dégager la cravate…

— S’il a des choses à nous dire, il va les dire, affirme le Gros.

Pinaud, lui, a trouvé le moyen de s’asseoir au pied du lit et de s’endormir. C’est pas un flic, c’est une marmotte. Une marmotte à marotte, si vous tenez à une rime riche.

J’attaque Conseil. Un peu écroulé le bonhomme. Une vie fichue, ça ne s’accepte pas facilement. Brusquement on pige qu’on n’en a qu’une à sa disposition et ce qu’on éprouve alors doit ressembler à une épidémie dans un clapier…

— Conseil, vous avez été contacté par un nommé Grunt, agent d’une puissance étrangère, pour user d’une formule quasi sacramentelle.

« Cet individu vous a douillé la forte somme pour vous décider à lui livrer les plans… Seulement, pour évacuer ceux-ci, il vous fallait la sécurité, d’où le faux cambriolage, et surtout du temps, c’est pourquoi vous avez essayé d’aiguiller les services spéciaux sur une fausse piste. Voilà qui vous fait comprendre que je suis au courant de tout. Maintenant, je vais vous poser une seule question à laquelle vous allez me faire le plaisir de répondre…

Je prends ma respiration…

— Où sont les plans et la maquette ?

Il se tait. Ils se taisent toujours au début. Et puis on emploie les grands moyens inavouables et… ils avouent.

— On te cause ! affirme Bérurier en cloquant un second rempaluche dans la bouille de notre interlocuteur.

— Je ne parlerai pas… Faites de moi ce que vous voudrez…

— Merci de cet accord de principe, dis-je. Seulement pour parler, vous parlerez… Et qui sait, peut-être chanterez-vous aussi…

— Je vais lui dire ma façon de penser, hein ? sollicite le Gros… Et s’il ne moufte pas, demain ses amis lui diront la leur avec des fleurs…

— Tu deviens poète, ne puis-je m’empêcher d’observer…

— Quand je vois des salingues comme ce bonhomme, oui !

Et le Mahousse, qui décidément est en verve, de soulager sa rancœur.

— Vise-moi ça, brame-t-il. C’est ingénieur en chef, ça gagne du fric gros comme moi ! Ça pioge dans un pavillon de notaire ! Ça n’est même pas marrida, donc pas cocu[40]. Et ça trahit son pays pour se goinfrer davantage ! Alors que nous on se fait crever la paillasse à longueur d’année pour gagner des clopinettes cintrées !

À chaque crescendo, il balanstique un paquet de nougat dans la brioche de Conseil. L’ingénieur tourne au vert pomme.

Je fais un geste pour calmer Béru, mais le Gros ne le voit même pas. Il a quelque chose de dantonesque, ce soir. Son personnage évolue, y a pas…

— Ben parle ! Fesse de rat ! s’époumone mon second…

C’est mon tout, à savoir Pinuchet, fantassin d’élite, dit le Lebel au Bois-Dormant, qui répond par un ronflement à réaction.

Dans les instants les plus solennels, il y a le petit truc rigolo qui vient donner la juste mesure des hommes.

Conseil l’ouvre enfin, après un instant de réflexion.

— Les Français n’ont pas besoin d’avions de guerre, dit-il gravement. Ils s’en moquent pas mal ! Ce qui les intéresse, c’est la bonne chère, l’automobile et l’amour… Nos gouvernants le savent bien, c’est pourquoi ils peuvent tout se permettre…

In petto, je ne veux pas lui donner tort. Pourtant, vous conviendrez que ça n’est pas à lui de donner des leçons de patriotisme.

— C’est pour ça que tu brades le patrimoine, mon salaud !

Il me regarde.

— J’ai travaillé à cette invention… Elle m’appartient dans une certaine mesure !

— Seulement le hic c’est que t’as vendu la part des copains…

« Mais trêve de discussion. On se croirait dans un salon, ma parole ! Béru, demande à monsieur où sont les plans !

Je vais m’asseoir. J’ai les flûtes un peu molles… Il commence à se faire tôt et c’est l’heure indécise où la fatigue vous ramone la moelle épinière.

Le Gros n’attendait que cette invite pour passer à l’action.

— Le grand jeu ? me demande-t-il.

— Si c’est nécessaire, oui ! Je n’ai aucune raison de faire du sentiment avec ce salopard !

Il biche, Béru. C’est pas le mauvais bougre, notez bien, mais il a des instincts à assouvir, faut comprendre. Trente ans cocu, trente ans engueulé par tout un chacun, trente ans révolvérisé, imposé, moqué, reprisé, méprisé, saoulé, engraissé, journalisé, cinématisé, hospitalisé, mobilisé, accidenté, bébé-lunisé, ça compte ! Ça s’accumule, ça enfle, ça croît, ça croasse, ça fermente, ça bouillonne, ça émulsionne, ça émotionne, ça veut sortir, quoi, sortir enfin d’un côté ou d’un autre ! Mais on ne peut pourtant pas déféquer sur l’univers à longueur de vie ! L’intestin a ses limites si la vacherie humaine n’en a pas ! Alors faut que ça s’évade autrement ! Et le plus bel exutoire, croyez-en tous les cocus pas contents, tous les battus endoloris, c’est dans la douleur des autres qu’on le trouve. Car enfin, s’ils sont en viande, les autres, c’est pas seulement pour pourrir un jour ! S’ils sont sensibles à la douleur, s’ils sont capables de gueuler, de pleurer et d’appeler leur mère, faut que ça serve à quelque chose, non ? Tout a une utilité dans la vie ! C’est ça la grande harmonie ! Nous sommes conçus pour nous faire payer aux uns et aux autres le mal que nous nous faisons ! Merveilleuse aventure ! Le coup à la portée de tous les poings ! Les larmes à la portée de tous les yeux ! Les c… à la portée de toutes les bourses !

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39

J’ai failli oublier celui-ci.

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40

Sans être mauvaise langue, rappelons au passage que Bérurier est le flic le plus cocu de France. Il a même une décoration au titre des dommages de guerre.