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— Et alors ?

— Comment, et alors ! On voit que t’es pas marrida !

— J’aime mieux pas ! Seulement écoute, Gros, elle ne va plus y trouver de charme à la bagatelle, pendant ces quinze jours !

— Pourquoi ?

— Parce que justement elle sera peinarde. Ce qu’il y a d’excitant, dans l’adultère, c’est la peur qu’on a d’être surpris… Si tu enlèves cette peur, que reste-t-il ? Une partie de jambonneaux, non ? Tu vas voir qu’elle va te regretter, ta morue ! L’absence embellit, Gros… Quand tu vas radiner à la casba, tu seras le beau chevalier errant ! Pour peu que tu changes de chaussettes avant de rentrer et que tu lui achètes pour trois francs de roses pompon, t’auras droit à la grande extase en Gévacolor…

Il me prend la main. Une larme de brave homme brille dans son regard.

— Merci, San-A. Dans le fond, tu es un chic type…

Il réfléchit, tandis que notre Pinaud, qui ne se sent plus, place sa botte secrète : à savoir, l’ablation des amygdales de son beau-frère.

— Ces barlus, c’est sûr, à ton avis ? demande Bérurier… J’aimerais pas faire naufrage, tu sais comme j’ai horreur de la flotte !

— Je sais… Naturellement que c’est sûr, pourquoi, t’as les jetons ?

— Non, mais ça m’ennuierait que ma bonne femme devienne veuve, qu’est-ce qu’elle ferait ! Son amant est marié, on n’a qu’une fortune impersonnelle…

— Elle se foutrait un crêpe noir sur la frime et elle irait faire des ménages, bougre de Ceci-Cela ! Tu vas pas t’attendrir sur ta bonne femme pendant toute la traversée, des fois ! T’inquiète jamais pour une femme, Béru… Les gonzesses ont plus de ressort qu’une montre de précision…

Je me tais, foudroyé par une image… Je viens de dire : un crêpe noir… Du coup ça me branche sur l’affaire… La femme qui a réceptionné les plans de Bolémieux, au Havre, avait un crêpe noir… Elle était habillée tout en noir… Ces vêtements de deuil, elle ne les a pas foutus en l’air. Elle n’en a pas eu le temps et ç’aurait risqué d’attirer l’attention sur elle. Donc les fringues sont dans ses bagages…

Oh ! oui… Oui, oui, oui… Attendez, ne bougez pas. Vous m’agacez avec votre cure-dents, laissez-moi réfléchir… Je crois que je tiens le bon bout… Oui, oui, oui… Ça y est : ça vient, ça se forme, ça se précise, ça se concrétise, ça… Écoutez ! Posons-nous des questions et répondons-y en nous appuyant des deux mains sur la logique… La fille qui attendait Bolémieux à la gare était l’agent ou une alliée de l’agent chargé du transfert des documents. On peut, sans crainte de se tromper, parier une course à pied contre un pied-à-terre qu’elle n’était pas réellement en grand deuil mais qu’elle s’est attifée ainsi pour ne pas montrer son visage… Donc ces nippes, considérées comme un déguisement, ne correspondent pas au ton de sa garde-robe. Ce qui revient à dire que si je trouvais une robe noire et des voiles de crêpe dans une garde-robe « normale », j’aurais cent chances, virgule deux, sur cent de mettre la paluchette sur l’intéressée.

Le problo reste entier pourtant, car il se ramène à rafouiller dans les bagages des clients. Seulement il doit être plus fastoche d’y trouver un attirail de veuve que des documents secrets.

En tout cas, j’ai mon idée…

Une idée lumineuse comme le ring du Palais des Sports un soir de championnat du monde m’inonde la bouée.

Je me lève et salue bien bas miss Duchnock.

— Où tu vas ? s’inquiète Bérurier…

— Faire une promenade sur le pont… On se retrouvera au bar-fumoir pour le thé…

Je les laisse avec leur victime. La vioque, aux anges en se voyant chambrer par deux French men — et quels French men ! — prend des mines de petite fille à qui on propose une partie de touche-touche !

Pinaud se lisse la moustache, et il en profite pour débarrasser icelle des boulettes de crème Mystère qui en mouchettent les pointes. Quant au gars San-Antonio, l’homme qui remplace Astra et les maris en voyage, il file droit à la recherche du jeune officier détaché à sa personne.

Il a toujours sa merveilleuse petite idée, San-Antonio ! Et il la promène le long des coursives, comme un coureur portant le flambeau !

* * *

Je dégauchis le jeune officier dans sa cabine. C’est un petit coin tout ce qu’il y a de ravissant à l’avant du barlu. Sa cabine est meublée en bois clair, les cloisons sont peintes en vert pâle et il y a fixé des reproductions de tableaux de maîtres, car c’est un jeune homme de goût.

Il me fait asseoir et me demande si j’aime le punch. Je lui réponds que hormis les sirops et l’eau de Javel, je suis assez pour tout ce qui se boit.

Voilà mon barman amateur qui se met en devoir de me préparer un truc carabiné : rhum vieux, quelques gouttes d’eau sucrée, un zeste de citron vert, un cube de glace… C’est sensas ! Rien de commun avec ce qu’on peut écluser à Paname dans les bars spécialisés… Au premier godet on se sent mieux, au second on se sent bien, au troisième on ne se sent plus.

— Alors ? me demande-t-il, votre enquête avance-t-elle, monsieur le commissaire ?

— Chaque tour d’hélice risque de m’éloigner d’elle, fais-je doctement en trempant l’appendice qui me sert à détecter les odeurs dans le verre aux parois embuées[57].

Il voudrait bien savoir, le produit de l’École navale, en quoi consiste ladite enquête, mais San-Antonio, vous le connaissez, hein ? C’est le grand silence blanc ! J’ai un cadenas au bec ! Roger-la-Honte : rien vu, rien entendu !

— Pour mener ma mission à bien, attaqué-je, j’ai besoin du concours de tous les stewards… Enfin des stewards de cabine du moins…

Il fait une petite moue peu rassurante…

— Expliquez-vous.

— Voilà : je cherche une femme ayant dans ses bagages des vêtements de deuil. Il est presque certain que la femme en question est habillée normalement… Par conséquent, ces fringues noires doivent se remarquer dans sa garde-robe !

— Et puis ?

— C’est tout. Les stewards qui s’occupent du service-cabine ont toute facilité pour explorer discrètement les tiroirs et autres penderies… Comprenez-moi bien… Il ne s’agit pas pour eux de perquisitionner, mais simplement de se rendre compte si…

Mon interlocuteur a un léger sourire.

— Vous jouez sur les mots, monsieur le commissaire.

— Non, le distinguo est capital. En faisant les rangements habituels dans les cabines dont ils ont la charge, il leur est facile de constater la présence de cette tenue qui, je le répète, doit être insolite…

Il se passe un doigt nerveux entre le cou et le col de sa chemise. Son regard au bleu océanique est assombri par la réflexion.

— Je vais prévenir les commissaires de chaque classe, dit-il… Eux-mêmes contacteront les intéressés…

— Je vous remercie… Quand aurai-je une réponse ?

— Pas avant demain midi… Les stewards ne peuvent agir qu’au cours de leur service du matin, vous pensez bien… Notez que je ne vous promets rien… Je dois en référer au commandant et il peut très bien ne pas être d’accord…

— Dites-lui que c’est d’un intérêt capital pour la France !

— Vraiment ?

— Oui. Avant l’arrivée à New York, je dois mettre la main sur des documents d’une grande importance, il faut qu’on m’aide !

— Comptez sur moi !

Je refuse un nouveau punch et je prends congé de lui.

* * *

Je trouve le tandem Béru-Pinuche au deck principal.

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57

« L’appendice qui me sert à détecter les odeurs » ! C’est pas élégant comme forme ? Et dire qu’on peut résumer tout ça en trois lettres, comme vous d’ailleurs !