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Je réconforte les deux bêtes de ma voix enchanteresse.

« C’étaient des bons chiens-chiens, ça madame…, etc. »

Le pékinois est réfractaire comme une brique à mon charme. Mais le boxer, bon bougre, se met à battre la mesure avec son moignon de queue… J’ai envie de les caresser. Les animaux sont réconfortants parfois… Lui, malgré ses dents en croc, ses babines dégoulinantes et son énorme collier à clous est très sympathique.

Comme je risque ma main à travers les barres de fer, une ombre se profile dans le chenil.

Je relève la tête et je trouve devant moi une gentille petite fille au regard d’azur…

Elle est mignonnette avec sa poitrine d’adolescente et son air stupide.

Qu’est-ce que je voulais encore vous dire à son sujet ?

Ah ! oui…

Elle est en grand deuil !

CHAPITRE VI

Quel âge peut-elle avoir, cette moukère ? Vingt ans ?

Elle me sourit.

— Le pékinois est à vous ? demande-t-elle.

— Non. Seulement j’aime les chiens, alors je suis venu dire un petit bonjour à ceux-ci. Le boxer vous appartient ?

— Pas à moi : à ma patronne…

— Vous êtes domestique ?

— Oui. Nurse.

Elle m’explique qu’elle vient apporter un remède au toutou. C’est un truc vitaminé, très efficace… Il y a du calcium dedans, et puis du phosphore, des hormones mâles, de l’extrait de foie de gendarme et des testicules de crapauds boliviens… Ça vaut une fortune ! Mais paraît qu’avec ça, les chiens deviennent costauds. Ça les met en appétit… Ils mordent mieux les mendiants. Dame, faut de bonnes dents, car ces gens-là sont plutôt coriaces.

J’embraye la nurse… Elle s’appelle Marlène Poilfout, elle est née à Palpezy-le-Gros (Manche) ; sa mère est morte le mois dernier, son père s’est remarié la semaine d’après, elle a un frère en Afrique du Nord, une sœur en sana et elle s’est engagée comme nurse chez un attaché d’ambassade indou en mission aux USA. En ce moment, elle voyage avec Madame et le petit garçon… Charmant bambin, à ce qu’elle prétend. Il se prénomme Aminoula et le plus drôle c’est que ça s’écrit comme ça se prononce. Le papa est resté à son poste, à New York où les siens le rejoignent afin d’y passer l’hiver… Marlène, c’est la première fois qu’elle voyage… Non, elle ne craint pas le mal de mer… L’Amérique ? Elle sait que ça se trouve juste au-dessous de l’Égypte et que la Volga y coule, mais à part ça, elle n’a aucune idée du patelin. Elle a lu un article dans Mon rêve et ton cœur comme quoi on y fabrique du pétrole et on y cultive du chewing-gum… Voilà tout… Oui, c’est ça, elle aura le plaisir de la découverte… Garibaldi l’a eu avant elle, bien sûr, puisque c’est lui qui a découvert l’Amérique dix mille ans avant Jésus-Christ, mais chacun son tour, hein ?

Vous le voyez, la conversation de cette soubrette est pleine de charme. Comme Marlène n’est pas plus mal carrossée qu’une autre idiote de son âge, je me dis que je pourrais peut-être me la mettre au frais pour le voyage… Ce qu’on appelle des provisions de bouche, quoi !

Je lui raconte que je vais à Hollywood engager Liz Taylor pour tourner un Technicolor intitulé Il mousse et commandité par Monsavon ! Elle est ravie… De prime abord, j’ai tiqué en la voyant dans des vêtements de deuil, mais maintenant, à l’épaisseur de sa bêtise, je me dis que toute ressemblance entre elle et l’agent secrète que je cherche serait purement accidentelle et fortuite, cette douce enfant ayant tout ce qu’il faut pour obtenir son brevet de crétine toute catégorie.

J’essaie de lui filer un rancard, elle n’est pas contre au demeurant, mais il faut régler la délicate question du lieu de rendez-vous… À bord d’un barlu, ce n’est pas facile, croyez-moi. Impossible de pratiquer comme dans la vie civile ; à savoir : pam-pam, ciné, restaurant, solo de jarretelles et partie de golf en deux trous dans la forêt normande ! Non ! Une seule possibilité : le bar, le salon, la cabine… Le bar et le salon étant des endroits publics, les domestiques n’y vont pas, puisque leurs maîtres y font les ânes. Quant à la cabine, Marlène la partage avec le chérubin dont elle a la garde ! Et moi, bien que sachant combien les enfants ont le sommeil profond, je ne m’en ressens pas pour jouer mon solo de flûte à proximité d’un mouflet endormi.

Faudra donc que je goupille une fiesta dans mes propres appartements ; ce sera duraille vu que je partage ceux-ci avec le Bienheureux Pinaud et Sa Majesté Bérurier, roi des Gourdes par la disgrâce de Dieu !

Enfin, j’aviserai…

Comme nous sommes seulâbres dans le chenil — excepté les deux aimables chiens — je lui fais mon numéro de petit-casanova-libéré… Style « Vous êtes troublante… », « Un pas de plus et vous marchez sur mon cœur qui est à vos pieds… », « C’est la Providence qui vous a placée sur mon chemin », etc., etc. Jusqu’à ce que, vaincue par ma faconde, elle me laisse lui choper un de ses flotteurs… Ça fait partie de l’exercice d’alerte. En cas de naufrage, je serais bien content de l’avoir…

Séduite, palpitante, rougissante, elle me file la ranque pour le lendemain dimanche à la messe. Là, au moins, on est certain que sa patronne ne viendra pas nous faire de l’obstruction vu qu’elle est bouddhiste ou un truc comme ça.

Amours, délices et orgues… C’est le cas de le dire !

* * *

Après une fin de journée assez lénifiante à bord : cinoche, thé gambillant, jeux de société, le lendemain radine.

Un lendemain finit toujours par arriver. C’est ce qu’il y a de réconfortant — et d’inquiétant aussi — dans l’existence. Parfois ces lendemains chantent (et tantôt le grand air de L’Acné, tantôt « Tu-m’as-voulu, tu-m’as-eu » sur l’air de Monte là-dessus)… D’autres fois, les lendemains déchantent, et vous aussi par la même occasion.

Il est du reste beaucoup plus fastoche de déchanter que de chanter.

Je tiens à cette précision qui, si elle n’intéresse pas la Défense nationale, fait partie intrinsèque des Beaux-Arts.

Dans mon équipe, l’euphorie est de mise. Pinaud vient de découvrir le punch créole et Bérurier la culbute amerloque. Il ne tarit pas d’éloges sur sa conquête, mistress Lydia Hongant-Gry.

Sans relâche, il nous la raconte… Une personne très bien : son premier mari était marchand de cravates ; son second marcheur-sur-matelas[58] ; son troisième vendait des saucisses chaudes ; son quatrième tenait une épicerie-pharmacie et son tout : Bérurier vend de l’extase.

Il est radieux, rouge comme un homard Thermidor, le Gros, et ce matin-là — croyez-moi ou non — il se lava les pinceaux dans le bidet !

— Y a longtemps que j’ai pas embourbé une personne de cette classe, affirme-t-il. Je voudrais que vous la visiez, une fois à loilpé ! Un corps de princesse…

— Une princesse douairière, dit Pinaud, fielleux…

— Ta gueule, décheté ! Si qu’elle était dans ton page, ma souris, tu voudrais racler du pied ; je te l’annonce ! Brave femme, à part ça… Elle veut que j’y apprenne l’amour à la française, rigole notre éminent camarade…

— Tu parles d’un professeur, re-grince Pinuchet qui n’a pas digéré sa défaite.

— T’occupe pas ! assure Béru, elle aurait pu plus mal tomber ! Je suis p’t-être pas don Juan, mais j’ai de beaux restes !

Du coup, c’est à mon tour de m’esclaffer.

— C’est pas des restes, Gros, tout juste des bas-morcifs !

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58

Authentique !