Elle accepte.
Moi, je vous l’annonce, je suis bien décidé à me l’annexer. Cette souris n’a jamais lu du Cocteau, mais elle a un physique qui respecte la loi des compensations. C’est une riche terre arable (et même à râble) et on doit labourer les terres fécondes.
Tout en lui jouant le deuxième acte du célèbre drame libidino-tactile Le Haut des bas, je me dis qu’il ne faut pas perdre de vue mon véritable objectif, c’est-à-dire sa patronne. Je donnerais gros pour faire une perquise sérieuse dans la carrée de l’indouze ! Seulement, auparavant, faut que je me rancarde sur la personne.
— Quand je pense, fais-je à la petite niaise, que vous quittez la France, j’enrage !
— Pourquoi ?
— Je me fais pas d’illusions, aux États vous allez trouver un beau Ricain plein de dollars, champion de baise-ball par-dessus le marché, et je ne vous reverrai plus !
— On se verra en Amérique, promet la douce amante !
— Pff. Pour le temps que j’y reste. Votre patronne ne vous laissera peut-être pas sortir !
— Manquerait plus que ça !
— Je connais la musique !
— Elle est très gentille, ma patronne… Et puis, j’ai droit à des heures de liberté !
— Ah bon ! Elle ne vous surveille pas trop ?
— Comme ça…
— Vous dînez avec elle à la salle à manger ?
— Non, j’suis t’à la salle à manger z’aux z’enfants !
— Ah oui !… Donc au premier service ?
— Oui !
— Elle, doit déjeuner au second… On pourrait se voir pendant ce temps, non ?
— Non ! Elle mange aussi au premier !
Je réprime un geste d’enthousiasme… C’est pas de chance…
Ensuite, je me tais parce que je suis parvenu dans une région en friche de la terre labourable.
— Vous allez froisser votre belle jupe des dimanches, fais-je… Vous devriez l’enlever…
Elle proteste.
— Ce ne serait pas convenable !
— Pensez-vous ! Ça se fait couramment dans la bonne société, toutes les duchesses vous le diront !
Comme j’ai déjà poussé la chaudière, elle ne rouscaille pas trop. Elle se contente de bigler sa montre.
— Madame va me demander…
— Vous lui direz que la messe était chantée…
Elle quitte sa jupe, son jupon, tout son emballage et me découvre le monument à inaugurer. Très belle sculpture, je vous le garantis. Il est merveilleusement situé ! Ça mériterait un télé-reportage… Ça nous changerait des psychanalystes gâteux de la télé française qui parlent avec leur gencives et sont présidés par une vieille dame ressemblant à un pékinois déguisé en Louis XIV.
Cette môme a tout ce qu’il faut pour se construire un entresol Renaissance au parc Monceau et se constituer une rente ! L’essayer c’est la doter ! Et puis elle est pas compliquée ! Avec elle on se sent tout de suite chez soi. Ça facilite les rapports de bon voisinage.
Comme elle a l’air d’aimer ça et que le tangage est complice, je lui déballe ma panoplie de gala. Je vous l’ai dit d’ailleurs, ça fait plusieurs jours que je n’ai pas présenté mes hommages à une dame et je commence à avoir les boules de naphtaline bouffées aux mites.
Elle a donc droit à une séance exceptionnelle dont la recette est entièrement versée aux œuvres de mer. Je lui fais le Gros-triomphe-d’Eisenhower ; Nous-irons-dans-la-Lune ; puis, sans lui laisser le temps d’atterrir, c’est tour à tour Un-petit-trou-pas-cher ; The-godd-miche[62] ; le Petit-ramoneur sur l’air d’Étoile des Alpes ; et enfin Un-coup-pour-jeter-ma-casquette-un-coup-pour-aller-la-chercher. Une merveille !
Quand j’ai terminé ma botte secrète, la môme semble avoir couru le grand steeple-chase d’Auteuil. Elle a les cannes en anneau de serviette et un regard en forme de vitraux de cathédrale.
C’est titubante (elle a l’excuse du tangage) qu’elle s’évacue. Il ne me reste plus qu’à attendre le retour imminent de mes fervents et dévoués collaborateurs.
Je pionce un petit chouïa, manière de rebecqueter Popaul, puis la porte laisse passer Pinaud.
Le monsieur est d’un beau vert tirant sur le bleu des mers du Sud.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? m’enquiers-je…
— Tu ne sens pas le bateau ?
Je renifle très fort :
— Non, pourquoi, il brûle ?
— Idiot ! Il remue !
— Ben dis, heureusement, jamais on arriverait en Amérique sans cela !
— Oh ! j’ai le cœur qui me remonte dans le gosier, San-A. !
— Bois un godet, ça va se passer…
— J’en ai bu cinq au bar, et ça ne passe pas !
— Alors allonge-toi… Y a un peu de brise ce matin, voilà tout ! Après le déjeuner tu seras en pleine bourre. T’as du nouveau avec la Générale ?
— Rien… J’ai fouillé sa cabine, ses bagages, ses vêtements… Je n’ai… heug…
Il n’en dit pas plus long et se catapulte dans les ouatères.
Moi, je prends le parti le plus sage : celui d’aller écluser un glass en attendant l’heure du premier service…
Quand la gratouillette annonçant la tortore retentit dans les coursives du bateau, je me prends par la main et je m’emmène en promenade du côté de la cabine occupée par Mme Gahrâ-Témische.
Elle a une vaste cabine située tout près des premières. Dans le couloir en face, se trouve celle de Marlène. Ma petite nurse y loge avec le môme confié à sa vigilance.
Une fois chez la femme du diplomate indou, j’entreprends la plus sérieuse inspection à laquelle je me sois jamais livré… Je fouille les placards, les valises, les lits, les plafonniers, la chasse d’eau. Je palpe les cloisons, la moquette, les tuyaux… Bref, j’entreprends une opération de très vaste envergure. Mais le résultat est négatif. Seul fait positif, je déniche en effet une robe noire et un voile de crêpe dans un tiroir de la commode… Qu’en conclure ? Que je fais fausse route ou que je suis sur le bon tapis ?
Je vais reluquer à tout hasard la cabine de ma gentille masseuse de prostate. Elle est plus modeste et plus en désordre. Il y a une valoche pleine de jouets… et un placard également plein de jouets… J’ai idée que le môme Aminouche doit être gâté comme une poire blette !
Pas trace de plan ni de maquette. Zéro, en toutes lettres ! Déçu, battu, consterné, rageur, mauvais… Je retourne au bar pour me téléphoner un bourbon. À bord des barlus, les alcools sont dédouanés et on les paie un prix dérisoire… C’est le moment de faire son plein !
Béru est dans le fond, avec Mrs Hongant-Gry. Tout en faisant un sort à un pastis épais comme du mortier, il lui roucoule des choses délectables dans les étagères à mégot. Il devient galantin, le Gros. Maintenant, quand il est en compagnie d’une dame, il pose son bitos et il arrange ses crayons à la Marlon Brandade[63].
Je m’avance. La mère Chewing-Gum me virgule un sourire, du genre serpentin, qui s’entortille après mes muqueuses.
Je m’incline, cérémonieux comme un prince russe.
— Du nouveau ? je demande de profil à Bérurier.
Il secoue la calbèche.
— Des clous, mec ! Inscrivez : pas de chance…
Je m’assieds à leur table.
— Tu veux que je te dise, déclare le Gros, on s’est laissé avoir. La bonne femme que nous cherchons n’est pas à bord !
Je ne suis pas loin de partager son défaitisme. Oui, on s’est gouré sur toute la ligne[64] !
Je m’abstiens d’aller au restaurant. Les quelques amuse-gueule salés grignotés pendant l’apéritif m’ont enrayé l’appétit. Pinaud, malade comme un chat écrasé, garde la cabine.