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Béru peut donc, à loisir, jouer son grand air pour sa belle.

Je me dirige vers la bibliothèque, l’âme en peine. Si j’ai fait chou-blanc je vais la sentir passer et drôlement me faire tartir à bord… Près de deux semaines à fainéanter sur ce bateau, c’est affligeant. Moi, j’aime les croisières rapides, j’ai le côté spoutnik !

Sur le seuil de la bibli, je vois passer Marlène, tenant un petit garçon-café au lait à la main. Une dame très brune, très belle, très noble, les précède… D’après ce que je pige, il s’agit de la femme du diplomate. Elle aurait assez une allure d’espionne internationale, cette péteuse. Seulement les espionnes ressemblent à n’importe qui, sauf à des espionnes.

La dame dit un mot à Marlène et se dirige vers la salle de lecture… Moi, je me mets à filer le train à mon petit brancard !

J’arrive à sa hauteur dans l’escalier et, sans que le lardon fasse gaffe je lui susurre :

— Cache-le dans la salle de jeux des enfants, comme ça on pourrait se revoir un moment, non ?

Elle est d’accord.

Tout se passe bien. Cinq minutes plus tard, nous sommes dans sa cabine, la mienne étant inutilisable du fait de la présence de Pinuchet malade.

Elle commence à se dessabouler lorsque voilà les haut-jacteurs du barlu qui entrent en fonction. Un mec débite une petite tirade en anglais… D’après ce que j’entrave, c’est l’exercice d’alerte qui va commencer, d’ici à quelques minutes.

— Oh oui ! c’est vrai, fait Marlène, je n’y pensais plus…

Et de décrocher la belle ceinture de sauvetage orange fixée au-dessus de son lit.

À cet instant, le haut-parleur répète la phrase en français, puis en espago et en chleu.

— Ça tombe mal, dit-elle… Il faut que je retourne chercher le petit, j’avais complètement oublié cet exercice d’alerte.

« Filez vite, car Madame va sûrement venir chercher sa ceinture à sa cabine.

Je gagne la porte. Au moment de l’ouvrir, je m’arrête pile. En moi une sonnerie retentit. Cette sonnerie, vous la connaissez si vous avez ligoté mes précédentes œuvres[65], indique que je suis branché sur la force ! Il se passe quelque chose… Quoi ?…. je l’ignore… Mais ça ne tourne pas rond. Et puis ça me vient illico, comme vient la lumière lorsqu’on appuie sur le commutateur quand l’EDF n’est pas en grève.

Je repousse la porte et vais à ma soubrette.

— Dis, Marlène, tu parles l’anglais ?

Elle prend son air le plus glandulard.

— Moi ! Non, hélas !… J’aimerais bien causer des langues… Papa, lui, parle couramment le breton…

Je la visionne bien, très posément, très longuement. Elle a aux lèvres un sourire niais qui peu à peu s’atténue…

Je ne quitte pas ses yeux bêtes. Je les guette comme on surveille du lait sur le point de bouillir.

— Grunt s’est fait descendre, lui dis-je, tu savais ça ?

Elle devient livide et son regard perd brusquement de sa bêtise.

Alors je lui montre ma carte.

— Commissaire San-Antonio, des services spéciaux…

Elle réagit. D’une voix molle elle balbutie :

— Je… Mais je ne comprends pas… Qu’est-ce que vous me racontez ? Pourquoi vous me faites ces yeux-là ? Vous êtes policier ! Je n’ai rien fait de mal… Je… Je suis…

Elle n’achève pas car je lui file une mandale, à la volée… Quand je dis une, c’est façon de parler. Un revers, quoi ! sur sa médaille, comme ça ses deux profils seront à l’équerre. Le premier coup lui fait bouger la tête, le second l’envoie basculer contre la cloison.

— Inutile de chiquer à la gourde, Marlène… Je t’ai démasquée ! Tout à l’heure, quand ils ont annoncé l’exercice d’alerte au micro, contre toute habitude, ils ont commencé l’annonce en anglais… Tu as pigé tout de suite puisque tu as attrapé ta ceinture avant qu’ils ne la répètent en français…

Je poursuis… Mais cette fois, je marche en terrain glissant.

— La première partie du coup a réussi, Bolémieux a pu embarquer les documents et la maquette, mais c’est la seconde qui a mal tourné. Lorsque Grunt a flingué le Rital, nous étions là, et il a pris une rafale de mitraillette dans le baquet… C’est lui qui, avant de canner, nous a craché le morceau… Il t’a donnée, ma vieille… Nous sommes arrivés trop tard pour t’empêcher d’assaisonner l’ingénieur, mais à temps au moins pour prendre le Liberté. Voilà tout…

Elle change brusquement. La transformation est radicale. Ce n’est plus une gourde mais une furie qui se trouve devant moi. La voilà qui me saute dessus, les griffes en avant. Une vraie panthère ! J’ai juste le temps d’esquiver et de lui filer une manchette jab sur la nuque… La môme s’écroule.

Flegmatique, j’appuie sur le bouton d’appel du steward. L’homme à la veste blanche radine.

— Madame s’est trouvée mal ? s’affole-t-il.

— Non, c’est moi qu’elle a trouvé pas mal. Alors elle a eu le coup de foudre !

Je lui ordonne d’aller me chercher d’urgence Désir, l’enseigne de vaisseau.

Cinq broquilles après, mon mentor s’annonce.

— Je suppose qu’il existe une prison à bord ?

— Une prison, non, fait-il… Mais nous avons une cabine pour les gens en défaut…

Voilà qui s’appelle jouer sur les mots. Je reconnais bien là l’élégance maritime.

— On va y conduire cette fille.

— C’est celle que vous cherchiez ?

— Oui… Il me faut un endroit tranquille pour l’interroger à mon aise.

Il doit comprendre le sens caché du verbe « interroger » — la réputation de la police n’étant plus à faire — car un sourire vaguement ironique se dessine sur ses lèvres.

— Suivez-moi.

Je jette un verre de flotte sur le minois de la poulette, elle revient du sirop, le regard acéré comme un pic à glace.

— Suis-nous, ma belle, lui dis-je en l’aidant à se relever. On va t’emmener dans un coin discret où nous pourrons bavarder à notre aise, toi et moi. On a beaucoup de choses à se dire, et le temps de se les dire !

— Je ne sais rien, fait-elle sans lâcher mes yeux.

— Une fille comme toi a toujours quelque chose à raconter ! Surtout quand on sait lui poser les questions. Allez, en route… Je ne te passe pas les menottes afin de ne pas ameuter les voyageurs ; on va défiler comme trois bons petits diables, hein, chérie ?

On dirait soudain un corps sans âme.

Nous sortons et longeons le couloir mine de rien… L’officier nous précède dans un dédale de coursives qui s’entrecroisent… La môme est entre nous deux, c’est-à-dire que je ferme la marche au verrou.

Soudain, comme nous passons devant un couloir perpendiculaire au nôtre, Marlène bondit. Je tends la main pour l’arrimer, mais elle se baisse d’instinct et ma pince à sucre se referme sur nibe. La môme ne perd pas de temps. Elle s’élance dans l’escalier à toute vibure, moi au prose ! J’ai beau mettre le grand développement, je n’arrive pas à remonter mon handicap.

Elle a des ailes, ou alors elle a été élevée dans la poche revolver de Zatopek ! Elle remonte un pont, deux ponts ! Nous voilà au pont supérieur… Elle passe devant le grand salon et bouscule le steward de deck qui défilait avec un plateau. Le plateau se trouve pâle, le steward aussi.

C’est le grand marathon. Les gens se détranchent sur nous, pensant qu’il s’agit d’un nouveau jeu de société ou d’un concours de touche Zibeline. Moi, j’enrage ! Non, mais qu’est-ce qu’elle espère, cette tordue ? Prendre un taxi et disparaître ? Où ça va la mener, cette fuite ?

Elle court à perdre haleine le long des mecquetons vautrés dans leur transatlantique sous le soleil d’automne. Et puis, brusquement, elle s’arrête :

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65

Soit une vingtaine d’ouvrages qui tous ont eu un prix… même qu’il était imprimé au verso de la couverture.