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Pinaud regarde sa montre.

— Huit heures moins dix, annonce-t-il. À quelle heure commence le débarquement ?

— Vers dix heures ! Paraît que ces gabelous, lorsqu’ils arrivent à bord, commencent par aller se cogner la cloche au restaurant[69]. Après le breakfast à la française, ils vont visionner les passeports… Puis ils remettent ça au buffet !

Le prestige de notre cuisine, mon vieux, compense le discrédit de nos gouvernants[70].

— Donc il nous reste deux heures devant nous…

Il médite. Son regard coagulé est immobile.

— On dirait que tu penses, ricané-je.

— Je pense, ratifie le Vioquart !

— À quoi ?…. demande Bérurier.

— Aux documents. La môme les avait planqués de façon supérieure, seulement s’ils débarquent, quelqu’un va les sortir de leur cachette, non ?

Je suis sensible à cette démonstration pertinente. Pinuche c’est ça : il est gâteux, ramolli du bulbe… Ses cellules grises manquent de phosphore, la prostate le guette ; son foie est bouffé aux mites, il a des charançons dans les précieuses, un commencement d’ulcère lui taraude l’estomac, une fin de bronchite lui comprime les soufflets, et pourtant, dans les cas graves il est là, toujours très digne, avec ses yeux chassieux, sa moustache râpée, ses fringues qui sentent le vieux tombeau pas entretenu… Oui, il est là, une parole sensée au coin de la bouche. Tranquille et pertinent ! Justifiant l’enveloppe que l’État français lui remet à la fin de chaque mois.

— Bravo ! Pinuche, m’exclamé-je… Oui, il faut réagir…

— Si on allait vérifier les scellés de la porte ? suggère encore cet aboutissement de la sénilité humaine.

— Allons-y !

Et nous voilà partis, à la queue leu leu vu l’exiguïté des couloirs. Il y a une forte effervescence à bord. L’arrivée colle de l’électrac aux gens. Ça jacte en toutes langues, ça rigole, nerveux… On s’est loqué… Des monceaux de valoches sont entreposées près des portes des cabines… Les stewards ont le sourire. Ils enfouillent les pourliches somptuaires que leur balancent les passagers.

Nous arrivons devant la ci-devant cabine de la môme Marlène. Nous voyons illico que rien n’a été touché à la porte…

Comme nous nous apprêtons à faire demi-tour, la dame indoue se radine, ficelée façon princesse des mille et une noyes.

Elle me connaît, because que je lui ai déjà fait subir molto interrogatoires.

— Messieur commissaire, gazouille la belle brune au regard d’anthracite de la Rhur, pourrais-je reprendre jouets des mon enfante ques estont dans cette cabine ?

Je la zyeute. Elle est grave, avec les sourcils froncés. Pinaud me file un coup de coude cagneux dans le placard.

— Mais certainement, fais-je.

Sans hésiter je fais sauter les scellés. J’ouvre la porte et je m’efface[71] pour laisser entrer la dame indoue !

Elle pénètre dans la cabine exiguë, suivie de nous trois.

Elle pique une valoche de porc dans la penderie.

— Celle valise est à moi !

J’opine, comme un bon cheval.

Alors elle se met à ramasser les jouets épars dans l’étroite pièce. Le bambino ne doit même plus s’en servir car y en a trop. Tous les petits Indous ne clabotent pas au bord du Gange en pensant au lait des vaches sacrées ! Il y a ceux qui ont un papa à la redresse… Ceux qui ont besoin de nurse, de jouets électroniques, de vaccins préventifs… Bon, je m’arrête, car le blabla ne sert pas à grand-chose.

On voit que la femme du diplomate n’a pas l’habitude de faire des valoches, car elle empile les jouets pêle-mêle… Y a des bateaux à moteur avec projecteur qui s’éclaire, y a des autos qui se pilotent à distance, des animaux qui poussent les cris inhérents à leur corporation : un bœuf qui fait meuh ! Un chat qui fait miaou…

— Vous permettez ? dit tout à coup Pinuchet…

Il se baisse et cueille dans la valise un avion peint de couleurs criardes… Les ailes sont rouges, le pucelage[72] est bleu ; la queue violette, etc.

L’Indoue ne prête même pas attention.

Pinaud, le gâteux… Pinaud le nauséeux, Pinaud le cradingue, le chassieux, le malodorant, le flanelleux, le goutteux, l’ulcéreux, l’aqueux, le vieux, le vieux… Pinaud examine l’avion de près…

— Je crois que voilà ce que tu cherches, San-A., murmure-t-il.

Je bondis…

— Montre…

— Tu peux regarder, avertit le digne homme, on a peint ça en vitesse et en amateur ! La peinture est à l’huile, on l’a passée n’importe comment… Elle déborde par endroits… Là il y a un manque… Et tu constateras qu’il n’y a pas de « Made in » comme il est de règle sur les jouets…

Je le serre sur mon cœur. Pas Pinaud, l’avion ! Je l’ai reconnu ! Bien que ne l’ayant jamais vu ! Il a une forme jamais vue auparavant. De plus, ayant gratté la peinture du bout de l’ongle, je constate qu’il est fait d’un métal léger, très curieux…

La dame indoue nous regarde. Elle est à peine surprise. Pas troublée le moins du monde.

— Vous connaissiez ce jouet ? je demande…

Elle hausse les épaules.

— Il en a tellement. Je n’en fais pas le recensement…

Plus j’examine cet avion miniature, plus je suis certain que Pinaud a mis dans le mille.

— Vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que je le garde ?

— Du tout…

Bérurier est maussade. Il vient de se faire souffler la vedette par Pinaud et ça le met dans tous ses états[73].

— Si elle a planqué la maquette dans les jouets du chiare, elle a dû aussi y camoufler les plans, non ?

Du coup je congédie la dame en lui ordonnant de nous laisser carte blanche. Dès qu’elle est sortie, nous voilà à jouer les vandales. Chacun pique un jouet et le détériore pour voir ce qu’il y a dedans… Ça nous rappelle notre belle jeunesse enfuie.

Et je t’ouvre le bide de la poupée, les bosses de polichinelle ! Je te sors les tripes en crin du bourrin ; je te fouille les entrailles du bœuf… Un vrai carnage… Bientôt la cabine ressemble à un magasin de vaisselle où l’on aurait enfermé une famille de singes.

Une heure après nous nous redressons, épuisés, les doigts en sang, les ongles cassés, bredouilles !

— Elle a dû trouver une autre combine pour les plans, soupire le Gros…

— Sûrement…

— Enfin, déclare Pinuche qui n’est pas mécontent de lui, on a tout de même retrouvé la maquette, ça calmera toujours le Vieux… Pour tout dire, ça paie le voyage… J’aime pas dépenser de l’argent pour rien. Tenez, je vois ma femme. Elle souffre du duodénum, eh bien ! chaque fois que quelqu’un lui indique un nouveau remède, faut qu’elle l’achète…

On le vire de la cabine…

L’avion sous le bras, je gagne le pont avec mes deux acolytes. L’instant est émouvant. Nous venons de passer la pointe de Manhattan hérissée de gratte-ciel fantastiques dont les sommets se perdent dans un brouillard ténu. Le soleil sur tout ça sème sa poudre d’or[74]… L’air a comme une odeur nouvelle… Nous doublons une « foultitude » de petits bâtiments, de caboteurs, de cargos battant pavillons multiples.

Le Liberté manœuvre au ralenti. Il s’engage entre les quais de la French line. C’est plein de monde qui attend dans les docks immenses. On voit une armée de porteurs et de douaniers… Ces messieurs du service d’immigration qui ruminent leur gum des grands jours…

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69

Authentique.

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70

Re-authentique !

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71

Pour vous effacer, employez les gommes Farjon !

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72

Comme dit ma rosière.

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73

Comme aurait dit Charles Quint !

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74

Image très poudre aux yeux !