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Le port immense fait un baroud terrible. Partout des sirènes mugissent, hululent ou glapissent[75]

— L’Amérique, fait Pinaud, ses yeux baveux écarquillés.

— L’Amérique, répète le gros Bérurier, en extase… Si je croyais qu’un jour…

Moi aussi, je ne puis m’empêcher de soupirer… L’Amérique… Ça fait quelque chose. C’est un choc, quoi ! Un contact ! Une rencontre ! C’est l’Amérique… Tentaculaire, pharamineuse, incroyable !

Les gens se taisent, émus… Partout les appareils-photo entrent en action. On veut figer cet instant sur du papelard… Oui, plus tard il perdra de sa réalité, ça deviendra comme un rêve improbable plus léger que cette brume…

— Montons tout en haut, suggère Béru, on verra mieux…

Nous grimpons sur le dernier pont avant la passerelle.

En effet, on voit mieux… On a une vue plongeante sur les quais… On voit en enfilade la 48e Rue, avec des taxis jaunes et verts, jaunes et rouges, jaunes et violets… Des gens inconnus, des nègres, des quais jonchés de papiers gras, d’emballages, de gobelets de carton…

Derrière nous, il y a le chenil. Le boxer et le pékinois, affolés par le fracas de toutes ces sirènes, apportent leur contribution personnelle. Ils sentent confusément qu’il se passe quelque chose ; qu’il se passe « l’Amérique »…

— Y a des gailles à bord ? s’étonne Béru…

— Oui, deux, viens, on va les calmer…

Nous entrons dans le chenil. Notre présence en effet réduit les deux bêtes au silence. Moi, j’évoque l’apparition de Marlène le jour de notre embarquement. Ça me paraît très loin…

Et puis, sans que je le veuille, je me mets à gamberger… Je me pose des questions qui ne m’étaient pas encore venues au caberlot. Par exemple, comment se fait-il qu’une fille accomplissant une mission aussi délicate ait eu le courage de s’envoyer en l’air ?

À cette question j’oppose une réponse valable… :

« Parce qu’elle se méfiait de moi. »

O.K.[76] !

Pourquoi se méfiait-elle de moi ? Rien ne pouvait me désigner à l’attention des autres passagers…

Je caresse le brave boxer à travers ses barreaux… Si, je pige. Ce qui a éveillé ses soupçons c’est un fait anodin, accidentel… Un fait du hasard !

Elle a eu peur que je sois un flic en me voyant dans le chenil !

Le chenil ! N’était-ce pas comme une annexe de la cabine de Marlène ! Une annexe que je n’ai pas fouillée !

Je sors mon sésame de ma glaude.

— Qu’est-ce que tu maquilles ! s’inquiète Béru en me voyant délourder la niche du gros Médor.

— Une idée à moi. Tu tiendras le toutou pendant que j’explorerai sa cage…

— Molo, mec ! Et s’il me plante ses ratiches dans le valseur ?

— Tu iras à l’infirmerie, le rassuré-je…

J’ouvre. Je passe la main afin de cueillir le chien par le collier car l’animal, flairant la liberté, veut se précipiter out ! Béru le chope à son tour. Ça me donne à moi la liberté de mes mouvements.

— Regardez-moi ce gentil petit chien, flatte le Gros…

Il a les copeaux, Béru… Son dargeot n’est pas une pièce d’orfèvrerie, mais il y tient quand même.

— Oh ! oui, madame, gazouille-t-il… Ça n’était un toutou gentil, gentil… Un bon toutou à son pépère…

Bon zig, le boxer lui refile un coup de patte-mouille sur le museau.

Béru, mis en confiance, caresse le chien… Pendant ce temps j’explore la vaste niche. Outre l’auge pour la pâtée, l’abreuvoir de zinc et quelques surplus canins, je ne trouve rien…

— Que dalle ? demande Pinaud.

— Oui !

Je m’apprête à remettre le chien dans sa cage. Béru pousse une exclamation.

— Je m’ai piqué la main à cette saleté de collier à clous, rouscaille-t-il. On n’a pas idée de foutre ça à une bête… Il est pourtant pas méchant, ce roquet !

Saisi d’une nouvelle idée[77], j’ôte le collier du chien. Un clair sourire illumine ma face de jeune premier. Le cuir du collier est gonflé de façon anormale… Ça craque sous les doigts et je repère une couture curieuse sur la tranche du collier.

— Passe-moi ton Opinel, gros.

J’incise sur ce point[78].

Il y a des fafs à l’intérieur… Du papier pelure roulé menu et couvert de dessins cabalistiques : les plans !

Je montre ma découverte à mes associés.

— Regardez, mes enfants !

— Les documents ? demande Béru…

— Et aussi la preuve de mon génie !

Le Gros se marre.

— Tu devrais mettre des bandes molletières, dit-il, avec ces coups de latte que tu te balances dans les chevilles, ce serait plus prudent…

— Alors, murmure Pinaud, si je comprends bien, c’est le triomphe sur toute la ligne !

— En tout cas sur la French line, déclaré-je, doctement.

Le Gros ne rit pas. Il pense à sa ricaine qui va aller se faire « répouser » ailleurs. Peut-être aussi à Mme Bérurier, qui doit se faire épouser par intérim à domicile et à l’essai pendant son absence.

— Quelle heure est-il ? demande-t-il.

— Dix plombes.

— Ça fait combien à Paris ?

— Cinq heures, je crois…

Il réfléchit un instant, les yeux fixés sur le boxer.

— Ma femme doit dormir, fait-il brièvement en écrasant une larme, elle en écrase toujours après une nuit d’amour !

FIN
THE END
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75

Je suis réputé pour la variété de mon vocabulaire.

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76

V’là que je subis l’atmosphère !

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77

J’en ai tellement que je suis obligé de leur donner des tickets d’appel.

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78

Quel humour, croyez-vous !