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— Quel intérêt cet homme aurait-il à venir nous avouer qu’il est un assassin recherché par la police italienne ?

— C’est à voir…

— Précisez votre pensée…

— Je me demande si Grunt et son équipe ne préparent pas un coup. Il a vu qu’on le filait, n’oubliez pas que si Clinchet est un spécialiste de la question, Grunt lui, est un orfèvre… Il a voulu nous donner le change, nous aiguiller sur une fausse piste. La preuve ? Son plan a eu un commencement d’exécution puisque Clinchet s’est mis à suivre Diano… Vous ne trouvez pas bizarre, vous, que Grunt ait disparu juste à cet instant ? Moi si !

Je vois bien, à son air constipé, qu’il est ébranlé par mon raisonnement, le père la pelade.

Il finit par hausser les épaules.

— Les dés sont jetés, San-Antonio !

Ça y est ! Revoilà les bonnes vieilles formules toutes faites : les clichés !

« Les dés sont jetés ! » Pourvu qu’on ne les ait pas jetés trop loin !

— Nous n’avons plus qu’à attendre la suite des événements, reprend le boss.

Je vous parie une quinte à trèfle contre une quinte de toux qu’avant de nous séparer il va déballer une dernière vérité première.

Ça ne rate pas.

— L’avenir nous dira si vous avez vu juste !

Comme si l’avenir avait pour l’habitude de faire des confidences de ce genre !

Je me barre. Ces deux jours d’immobilisme dans l’hôtel pouilleux m’ont rendu cafardeux, j’ai besoin de me retrouver at home !

CHAPITRE II

Y a des jours où la chance est allée se faire cuire un œuf. Vous avez beau l’appeler par les noms les plus tendres, elle fait la sourde oreille.

Aujourd’hui, du reste, France-Soir est formel en ce qui concerne mon horoscope : nous autres, les premiers décans du cancer, on est bonnard pour se farcir la pestouille. Rien ne va plus !

De la perturbation dans les affaires, de la mollesse dans le sentiment, une visite qui ne fera pas plaisir et, pour ceux qui n’y prendront pas garde, le pancréas qui va débloquer… Bref, c’est pas le blason des grandes croisades ! De gueule et d’or sur champ d’azur !

Oui, le mieux c’est encore de regagner la cabane pour me faire chouchouter par Félicie, ma brave femme de mère ! Tout les hommes, surtout les forts, ont besoin du giron maternel de temps en temps pour se réchauffer le cœur. C’est quand leur mother a touché son billet d’infini qu’ils sont vraiment sevrés, les hommes. Ils n’ont plus rien à quoi s’accrocher… Alors ils deviennent mauvais. Il y a en eux des cris qui pourrissent et qui fermentent… Un feu qui s’éteint doucement en dégageant une sale fumée ! L’enfance, voyez-vous, c’est un mal dont on ne peut jamais guérir. On nous appelle les hommes, mais nous ne sommes au fond que des petits garçons à gueule de raie, vous comprenez[13] ?

* * *

En arrivant à la maison, je m’aperçois que France-Soir n’a pas menti. La sale visite annoncée est bien là, qui m’attend. Elle a pris la frime de courge du cousin Hector. Y avait longtemps qu’il n’était pas venu nous casser les pieds, ce minable !

Lorsque je pénètre dans la salle à briffer, il est dans le fauteuil favori de Félicie, l’air plus hargneux que jamais, comme s’il nous en voulait de sa tronche à éteindre les candélabres. Il s’est mis sur son trente et un. C’est-à-dire qu’il a sorti de l’armoire aux mites son costar noir, qui le fait ressembler à un veuf chronique. Il porte une cravate en corde, grise et noire, qui vous colle des envies de strangulation et il s’est réussi admirablement sa raie médiane de démocrate chrétien.

Sa bouche sans lèvres se tord pour un sourire…

— Bonjour, Antoine, murmure-t-il, comme si nous nous trouvions dans un confessionnal, toujours en retard, à ce que je vois ?

— Toujours, dis-je, jovial. Bien que fonctionnaire, mon pauvre Hector, je n’ai pas la chance de travailler comme toi dans un ministère où ceux qui partent en avance croisent dans l’escalier ceux qui arrivent en retard.

Il ricane.

— Très drôle !

Félicie arrive, portant une soupière fumante :

— Velouté aux champignons ! annonce-t-elle.

Elle me lance un regard de détresse. Elle sait que je ne peux pas piffer le cousin Hector et elle redoute toujours que ça fasse des étincelles, nous deux.

— Alors, Totor, attaqué-je gaillardement, comme pour justifier ses appréhensions, tu as commencé ton hibernation, à ce que je vois ?….

Il avale de travers sa cuillerée de potage.

— Quoi !

— Ben oui, tu sens la naphtaline, c’est donc que tu as mis tes fringues des mauvais jours…

Et on continue tout en morfilant à se balancer des vannes par-dessus la table. C’est notre sport de société. Ça ressemble au ping-pong, en moins fatigant.

— Tu ne songes toujours pas à te marier ? Demande ce pingouin râpé… Bien sûr, tu préfères courir la gueuse… C’est plus drôle.

Pauv’ mec, va ! Il est sinistre comme une forêt incendiée. Pourquoi certains êtres éprouvent-ils du plaisir à être bilieux ? Hein, vous pouvez me le dire, tas de pétrifiés des glandes ? On dirait que ça les nourrit, de distiller du venin. Ils sont méchants comme on bouffe. C’est presque une fonction naturelle chez eux.

— Question de tempérament, Hector, je lui réponds… Tout le monde peut pas avoir, comme toi, un bulletin d’absence dans le Rasurel !

Il en a le dentier monté sur rail brusquement. Il n’a que le temps de se le ré-enfoncer dans le clapoir avec le bout de sa cuillère.

— Antoine ! glapit-il, dire des horreurs pareilles devant ta mère !

Je lui souris gentiment. Enfin, aussi gentiment que je le peux.

— T’affole pas, Totor, M’man n’est pas pudibonde, elle. C’est pas parce que tu es abonné au bulletin paroissial de ta banlieue qu’il faut…

Tel Louis XVI sur la bécane à Charlot, je ne termine pas ma phrase. La sonnerie du bignou retentit, stridente. Félicie blêmit. Elle sait bien que lorsque je suis à la maison et que ce carillon se fait entendre, je ne vais plus y demeurer longtemps.

— Veux-tu que j’aille répondre ? demande-t-elle de sa petite voix anxieuse.

— Mais non, penses-tu.

Je la laisse avec Hector et le velouté de champignon.

Le bignou se trouve dans le hall. Je décroche, recevant à bout portant un éternuement dans le tympan.

— Que Dieu vous bénisse ! fais-je, en guise d’allô.

— Je viens de choper un rhume carabiné, m’avertit la voix de Bérurier.

Comme preuve de ses dires, il procède à un reniflage qui n’est pas sans évoquer l’embrayage défectueux d’un vieux tacot.

— C’est pour me dire ça que tu m’appelles, crème d’andouille ? Y a donc pas de pharmagos dans le quartier où tu te trouves ?

— Si tu crois que j’ai le temps de me soigner… Je te tube rapport à notre mec…

— Qu’est-ce qui se passe ?

— C’est pour ce soir, la castagne…

— Quoi ?

— Je vais te dire… Je lui ai filé le train comme prévu. Le gars habite près de la place Voltaire, anciennement Léon-Blum…

— C’est le contraire !

— Qu’est-ce que tu dis ?

— C’est avant que la place s’appelait Voltaire. Maintenant elle s’appelle Blum, on évolue, faut comprendre !

— Écoute, San-Antonouille de mes deux Nios, c’est pas le moment de charrier, je te jure !

Venant d’un homme plutôt porté sur le gros rouge et la contrepèterie, cette exhortation me ramène au sérieux en vigueur dans la police[14].

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13

Si vous ne comprenez pas, c’est que vous, vous êtes peut-être devenus des hommes pour de bon ! Y a pas de mal à ça, il faut de tout pour défaire un monde.

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14

Non, rien !