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— J’espère que vous cherchez pas à me doubler, Henri ?… Car si jamais j’apprends qu’il lui est arrivé un pépin…

Et, brusquement, sans rien ajouter, elle démarra. Il n’eut que le temps d’ôter sa main de la poignée. Déjà la Ford dévalait la rue du Cirque que les lettres de Ration K n’éclairaient plus. Vicky stoppa devant sa boîte, étonnée du filet de lumière qui passait sous la porte. Pourquoi les filles n’avaient-elles pas carrément ouvert, comme convenu ? Avaient-elles eu le trac des Napos ? Qu’est-ce qu’elles fabriquaient à l’intérieur ? Et qu’est-ce que c’était que cette affiche : « Fermé pour cause de transformations » ?

Elle poussa. Ça résista. Elle cogna à tout hasard en cherchant sa clef. La lourde s’ouvrit sur Quinze-Grammes. Vicky pénétra dans sa taule, plongée à demi dans l’obscurité et écarta le rideau de perles.

— Qu’est-ce que… commença-t-elle.

Une silhouette s’interposa entre elle et la porte qui claqua sèchement. Elle se retourna. Le Bug la fixait de ses yeux glauques. Rejeté en arrière, un Borsalino noir laissait voir ses cheveux plantés bas. La poche de son manteau clair formait un angle dangereux qui expliquait la docilité de Quinze-Grammes. Vicky eut un réflexe vers son sac, vers le 7,65 de Berthe.

— Teut ! Teut ! Vicky ! reprocha une voix sur sa gauche. Pas l’heure de se poudrer !

Vicky de Berlin pivota en cette direction. Installé devant la table basse, Louis le Napo se faisait une réussite. Un Corona fumait à ses lèvres charnues. Ses cheveux noirs luisaient de brillantine. Il était en smoking. Un foulard de soie blanche lui tombait du cou. Son pardessus était jeté sur un fauteuil, près d’un manteau de fourrure.

Assise à même le comptoir, Yoko, jambes haut croisées, laissait couler sur Vicky un regard haineux. Une robe de satin noir, très échancrée, la saboulait, plaquait à ses formes lourdes. De sa main gauche, elle frottait l’autre, la droite, celle qui avait été mordue. Elle jubilait, la Jap ! La revanche n’était pas loin. À côté d’elle s’alignaient des verres à dégustation et une rouille de Marie Brizard presque vide. Preuve qu’ils avaient trouvés la planque aux liqueurs et fouillé un peu partout.

Ignorant tout ce qu’il y avait de menace dans la présence du trio, Vicky se tourna vers Quinze-Grammes.

— James ?

La gosse secoua la tête.

— Pas vu depuis ton départ.

— Véra ?

La main de la gosse désigna les Napos.

— Ils l’ont virée tout à l’heure. On a pu ouvrir hier, mais ce soir…

— Ce soir on a bouclé ! coupa la voix sur la gauche. On vous attendait, Vicky. Vous avez eu tort de revenir. C’est courageux… mais imprudent.

Un nuage opaque s’évada du Corona.

— Vous n’aurez pas assez de votre vie pour le regretter.

Le nuage monta au plafond, dégageant la face du Napo. Le truand semblait amical. Ses mains grasses tripotaient les cartes.

— Quand j’ai appris que vous étiez barrée en voyage en laissant votre bagnole devant la gare, j’me suis gouré que vous reviendriez par ce train-là. Il nous restait plus qu’à attendre… Simple, hein ?

Un autre nuage grimpa à l’assaut du plafond.

— Mon frère croyait que vous laisseriez tomber, que vous chercheriez à nous fourguer votre boîte par un intermédiaire. Moi pas. C’est moi qu’avais raison.

Il contempla les cartes, eut un geste brusque de sa main qui tenait l’As de Cœur. Au signal, Yoko se laissa glisser du comptoir. Sa robe de satin noir se retroussa sur ses jarretières rouges, sur ses cuisses musclées à la peau ocrée. Allongeant le bras derrière elle, elle rafla un objet sur le comptoir et marcha sur Vicky. Elle détendit le poignet. L’objet se déroula, se transformant en un serpent de cuir. Rapide, la paluche de Vicky descendit vers son sac. Elle gronda :

— À ta place j’ferais pas ça ! Si jamais tu oses…

Le Bug se déplaça d’un bond, la heurta de sa poche où était le Colt.

— Du calme, beauté ! dit-il.

Son autre main ouvrit le sac, l’explora, en ramena le 7,65. Il se recula, s’adossa au mur, ajouta :

— Enlève ton manteau !

Elle lui décrocha un regard mortel ! Il répéta :

— Enlève ! Ou sinon, j’te jure…

Il appuya son ordre d’un mouvement brutal de la poche. Un éclair jaillit de ses yeux rapprochés. Dans la face de Vicky, le sang se retira. Ses lèvres parurent plus rouges dans son visage blême. Ses cheveux blonds balayèrent le col de son manteau sport dans un refus. Elle rauqua vers l’aîné des Napos :

— Si vous croyez que vous me foutez le trac ? J’aime mieux me faire repasser sur place que de céder à vos menaces de petites terreurs !

Les dents de Yoko étincelèrent. Elle leva son fouet. Un léger déclic, presque imperceptible, s’évada de la poche du Bug. Sur sa gâchette, son doigt avait dépassé la marge de sécurité. Encore un souffle et…

— Attendez ! cria Louis le Napo, se dressant brusquement. Rengrâciez !

Des cartes tombèrent, virevoltèrent dans la lumière. Il mit le pied sur le 10 de Pique. Son regard alla de l’un à l’autre, se posa sur Quinze-Grammes. Le sourire revint sur sa bouille ronde. Il dit en se rasseyant :

— C’est bon, Vicky. Mais vous allez y venir. Et c’est pas seulement votre manteau que vous allez enlever. Mais votre robe. Tout ! À poil que j’veux vous voir.

Il échangea un clin d’œil avec Yoko et, du menton, lui indiqua Quinze-Grammes qui se trouvait derrière elle :

— Vas-y !

La Jap repéra la môme dans une glace, vira sur elle-même et détendit son fouet. Vachement. Le cuir cueillit la gosse en plein travers des nichons. Elle hurla, sauta en arrière. Le fouet la rechopa dans un aller et retour foudroyant. Des boutons cédèrent. Son corsage s’ouvrit. Jaillissant du soutien-gorge, l’un de ses roberts mit le nez à la fenêtre. Zébré de rouge qu’il était ! Elle voulut s’enfuir. Clic ! Clac ! La lanière lui cisailla les mollets. Elle brailla de douleur, trébucha, tomba en avant. D’un bond, la Jap fut sur elle.

— Non, non ! implora la môme, en se protégeant de ses bras. Vicky !

La Jap leva le bras. Vicky fit un pas en avant. Le Bug se détacha du mur.

— Assez ! jeta Vicky.

Tous s’immobilisèrent. Le silence s’abattit, rompu par les sanglots de Quinze-Grammes. Sans un mot, Vicky laissa couler son manteau à ses pieds, dégrafa sa robe, la laissa glisser, l’enjamba. Son corps superbe apparut dans la lumière tamisée. Un soupçon de lingerie mauve voilait ses seins orgueilleux. Un jupon de même couleur, incrusté de dentelle dans le bas, ondula autour de ses longues jambes lorsqu’elle se tourna vers Louis le Napo.

— Me faites pas de cadeaux, Napo. À votre place, j’en ferais pas. Si vous me tuez pas… moi j’vous buterai… tous les trois.

Elle refit face à Yoko.

— Vas-y, salope !

La Jap aspira une goulée d’air. Un grondement de joie s’évada de sa gorge. Son bras partit loin en arrière à la recherche d’élan et retomba. Sauvagement. Frappant de biais, la lanière balafra une épaule et, dans sa course, emporta le soupçon de lingerie. Vicky encaissa en voyou. Sans broncher. Dénudée jusqu’à l’élastique du jupon, sa chair laiteuse, s’offrait dans la lumière. Une bouffée de sensualité, faite de la sueur et du parfum des femmes, envahit le bar.

Louis le Napo tira sur son Corona. Ses mains tripotèrent l’As de Cœur, le déchirèrent.

De la langue, le Bug s’humecta les lèvres. Son œil était braqué sur les seins de Vicky. Il le laissa descendre, l’attarda sur le jupon à travers lequel on voyait les bas montant haut et le slip en dentelle épousant le valseur. Dans sa fouille droite, sa main sur le Colt frémit doucement. Sa gauche, elle, s’ouvrit et se referma à deux, trois reprises.