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— Parce que je cherche toujours mon vieux camarade Pinaud. Un pressentiment me dit que ce putain de music-hall a joué un rôle déterminant dans sa disparition, aussi ai-je tenu à discuter du problème avec son propriétaire. Logique ?

— Que vous en a-t-il dit ?

— Il a prétendu tout ignorer de la question et je l’ai pensé sincère. Il a mandé le directeur de l’établissement, un certain Weston. Mais à cause de la putain de langouste, ces deux messieurs ont explosé avant de parler.

Il réfléchit, réprimant de légers mouvements de tête.

— Si on buvait un baccardi ? suggère mon hôte.

— Je n’ai rien contre.

Pendant qu’il barmane, j’appelle l’hôtel Gamma et réclame la chambre de Bérurier. Ça sonne, mais personne ne répond. Me rabats alors sur celle de Jérémie (ex-Pinuche). Le Noirpiot émerge depuis peu des vapes.

— Ma fatigue était si grande que je n’arrivais pas à trouver le sommeil ; alors j’ai éclusé une demi-bouteille de gin et je suis devenu plus insensible qu’un minéral. Où es-tu ?

— Chez le chef de la Police.

— Pépins ?

— Non. Au contraire, ça baigne !

— Salami est avec toi ? s’inquiète-t-il.

— Oui, dis-je inconsidérément car, en fait, je ne l’ai plus revu depuis mon arrivée dans cette maison.

— Quel est le programme ?

— M’attendre.

— Je vais me plumer.

— Paie-toi un rab de dorme ou visionne la téloche.

— Elle n’est pas regardable ici, et je n’ai plus sommeil.

— Alors va faire de la musculation au gymnase de l’hôtel.

Je raccroche. Pourquoi suis-je angoissé brusquement, comme si le ciel devenait tout noir ?

Ah oui ! Salami. Par Saint Médor, il est bel et bien monté avec moi dans la tire du grand Royco !

— Je me demande où est passé mon chien, fais-je à mon hôte qui revient avec deux baccardis tassés.

Il rit :

— Ne vous tracassez pas ; mon voisin possède une paire de levrettes, l’une des deux doit avoir ses chasses.

Des levrettes ! Pas tellement son genre, à mon traversin. La baise sur échasses n’est pas son blaud.

— Si vous le permettez, je vais tout de même essayer de l’appeler, m’obstiné-je en me dirigeant vers la porte-fenêtre.

À cet instant s’opère un fait peu ordinaire. Un grondement, un bris de vitres et de bois. Faut que je te raconte presto, sinon tu vas t’étrangler avec le manche de ton esquimau.

Sais-tu ce qui vient d’intrusionner dans ce bath living ? Un motard, mon drôle. Authentique chevalier des enfers. Non ! Erreur, je dis faux dans ma précipitance : deux motards. Bolides et combinaisons noirs, casques rouges !

Déglingue générale ! En dix secondes, la pièce est obscurcie par les gaz d’échappement. Les « anges de la mort » foncent à travers le salon, escaladent les sièges, percutent les meubles, brisent les objets, font éclater les miroirs. C’est du vandalisme poussé jusqu’au délire ! Véritables acrobates, ils décrochent les tableaux des murs et les crèvent sur la pointe de leurs bottes.

La déjambée hurle. Son vieux, toujours en bermuda, saisit le goulot presque inexistant d’un flacon de gin pour en faire une matraque, mais l’un des attaquants lui fait éclater la tronche d’une bastos au calibre exceptionnel.

Le même se rue sur moi. Je plonge, mais trop tard : une locomotive me percute. Je suis soulevé du sol et catapulté dans l’âtre, heureusement éteint. Ma théière file à la rencontre du néant.

Je m’y engouffre.

21

Une sensation de chaleur ; de cruelles lancées dans le carafon. Putain ce que j’encaisse ! Comme si l’on m’avait posé une scie circulaire sur la nuque en guise de compresse.

Et puis une nouvelle odeur, reconnaissable entre toutes : ça pue le chien mouillé.

Achève de cohérer du bulbe. Je me dis : Salami ! Essaie d’avancer la main en direction de ma rotonde. Vsoum ! Un coup de panoche sur le dos de ma dextre ! Tu penses qu’il leur met le raminagrobis en folie avec une bavarde de cette superficie ! Quand il gloupe une gonzesse, lui couvre toutes les perforations sud d’une seule lampée !

Mon mouvement prouvant ma réanimerie, il jappe d’aise.

— Brave toutou ! soupiré-je-t-il.

La turbine emballée sous ma coiffe tourne avec plus de mesure. J’efforce de m’asseoir. Y parviens sans trop de mal. La tête du cador est contre la mienne. Il sent l’ouverture de la chasse et la course au lièvre à travers champs.

Je clos mes yeux d’archange. Le son des luths faiblit.

Second exercice périlleux : m’agenouiller.

J’avise le cadavre de Kesselring sur le tapis réalisé d’après un carton de Miró (Bolant de son nom de code). « Ils » se sont acharnés sur sa dépouille et ont achevé de le dévaster, passant et repassant sur lui avec leurs engins. Complètement disloqué, tuméfié de la tronche aux papattes. Fallait-il qu’ils le haïssassent pour le broyer ainsi !

Tout est serein à présent. Les oiseaux pépient, les insectes font entendre leur bruit d’élytres. Les levrettes de la propriété voisine émettent de brefs hurlements. Sentent-elles la proximité de la mort ou celle de mon chien à la bistougnette traînante ? Les deux, peut-être.

Et si je prenais des nouvelles de ma moitié d’hôtesse ?

En me déplaçant, je passe devant un miroir vénitien. Il n’a pas échappé au vandalisme des motards, mais un lambeau de glace est resté fiché dans le cadre. J’y mire le ci-devant beau gosse nommé San-Antonio. Ce déchet ! Vache déperdition au plan sex-appeal ! Déjà, la bombe, chez Manzoni, avait passablement bricolé mon physique avantageux, mais alors là, je ressemble davantage à un vieux chaudron cabossé dans une décharge publique, qu’à un séducteur semi-professionnel. Une coupure traverse ma gueule de l’oreille gauche au tarbouif. Ma lèvre supérieure est violette, plus dilatée que les testicules d’un frimeur s’offrant une orchite double, et l’une de mes paupières pend comme un store lyonnais aux ficelles emmêlées.

Informé de mon nouveau look, je vais à l’éjambée. Pas clamsée, mais tu dirais un petit mammifère traqué. Sa poitrine se soulève et s’abaisse à une vitesse folle. Son regard plein d’horreur est exorbité. Elle tremble de la tête aux moignons.

— Vous ont-ils tiré dessus ? je lui demande tout bas.

Ne répond pas. Cette gonzesse semble avoir perdu les pédales. Mais qu’en ferait-elle, dans son état ?

— Madame Kesselring, balbutié-je… Laissez-moi vous examiner, je voudrais voir si vous êtes blessée.

Son hébétude a quelque chose de désespérant. Un être humain pareillement « diminué », si tu me passes l’expression, qui, prise à la lettre (je ne puis dire au pied de la lettre) pourrait passer pour l’une de mes incessantes calembredaines, est insoutenable.

M’accroupis, moi tout sanglant, devant elle, toute égarée.

Non : rien ! Les deux vandales l’ont épargnée.

Ils en avaient seulement à son mec. Par contre, elle est traumatisée. Tu penses qu’une ravissante fille qui va se faire volontairement sectionner les guibolles par un train, est fragilisée du bulbe, non ? Alors, ce sac[9] de son salon et le meurtre horrible de son époux, ont dû lui tournebouler complètement les méninges, à la jolie chérie !

Terrible, comme il y a des êtres marqués par le destin ! Des maudits, des pas-de-bol, des forçats de la scoumoune.

Je prends ses mains dans les miennes, lui transmettre un peu de mon énergie. Mais elle ne réagit pas. Elle est dolente. Pire : ailleurs.

Allons, Tonio, ne te laisse pas terrasser par la misère d’autrui. Tu as toujours été un homme fort, tu te dois, et tu dois à des millions de lecteurs, de le rester.

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9

De l’expression « mettre à sac ».