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Question du lecteur (excellente) :

— Pourquoi te trouves-tu chez cette désaxée en compagnie de ton clébard ?

Réponse de l’interpellé :

— Parce que je viens de voir une certaine photo dans le journal.

Interrogation légitime du lecteur, beaucoup moins con qu’il n’en a l’air :

— De quoi s’agit-il ?

La franchise postale et proverbiale de l’illustre moi-même est spontanée.

— D’un article à la une sur la reprise du trust Manzoni par Jo Morton, dit Lucky Love, le principal propriétaire des jeux de Las Vegas. Voilà une succession rudement menée ! Bien digne des States.

Tout était préparé d’avance ; on n’attendait plus que le décès de l’Italo-Ricain pour signer la cession. Cela s’appelle passer des actes à l’acte (notarié).

Je laisse l’étrange couple se pourlécher et pars en quête de l’aimable femme de chambre qui m’accueillit si divinement lors de ma précédente visite.

Ne la trouve point.

Mon musardage me conduit dans une pièce chichement meublée comme l’est une chambre de malade : un lit à une place, dûment « appareillé » et un fauteuil chromé. L’unique fenêtre est pourvue de rideaux hermétiques.

Dans le plumard gît un homme terriblement âgé, équipé d’un goutte-à-goutte. Il ne possède plus que des touffes disparates de cheveux blancs, ses rides font songer à une vue aérienne de la Beauce au moment des labours, son regard proéminent ressemble à une boule blanche de billard sciée en deux.

M’approche.

— Hello ! je lui lance en grande allégresse.

Il pousse un vagissement.

Interloqué, je le visionne au plus près et une abasourdisance m’envahit.

Ce fossile, tu sais quoi, Benoît ?

C’est Jo Morton dont je viens de voir la gueule dans le baveux. Oui : le papa de la future épouse de Salami !

Pour piger ce bigntz, crois-moi, faut pas avoir de la sécrétion de gastéropodes à la place du bulbe !

Les cannes molles, je dépose le bas de mon dos dans le fauteuil. Je savais qu’aux U.S.A. il se passait des choses extravagantes, mais là je suis prêt à donner ma langue à la première chatte proprette rencontrée.

De quoi s’épiler le sous-bras pour se confectionner une brosse à dents !

Comment ! Nello Manzoni, l’un des manitous de la haute pègre est tué d’une langouste piégée apportée par son collaborateur et, illico, l’empereur du jeu de Vegas accapare son héritage !

Je décide d’interviewer le mec en question, vais voir sa fille (qui est un peu ma bru) pour lui demander de m’organiser une rencontre avec lui. Tout d’un coup, le ciel me choit sur la cafetière ! Je trouve le potentat gâteux, incapable d’acheter un paquet de Camel au tabac du coin !

Bien ! songé-je en me remettant sur pied d’une détente. J’en ai vu d’autres ; j’en verrai de pires ! Alors, comme le hurlent les réalisateurs hollywoodiens au moment de tourner :

— Action !

* * *

Permettez-moi maintenant de vous narrer une scène très pénible que les esprits chagrins supporteront probablement très mal. Si je vous la livre, c’est parce que, inscrit sur les listes du Voyage Sans Retour, j’opte de plus en plus résolument pour la vie foiridondeuse. Le sang est plus épais que l’eau, prétendait mon confrère William Shakespeare, je compléterai en assurant que le foutre est plus épais que le sang (le mien, du moins).

Or donc, après cette manière de préambule déambulateur, te révélerai-je un fait outrancier. Rejoignant mon hôtesse et mon chien au salon, je les trouve emmêlés d’étrange façon. Tu as dû « visionner », dans des films « X » dont la télévision régale les miséreux instincts de ses clients, une dame agenouillée en train d’endosser un chibre au porteur plus gros qu’une matraque de C.R.S. ?

La position impliquée est appelée « levrette » par les catéchèses et les grands veneurs. Dans le cas présent, elle ne saurait être mieux indiquée.

J’ai déjà mentionné avec force, ma répugnance pour ces étreintes contre nature ; je tourne résolument le dos au monstrueux couple et me dirige vers le téléphone.

Lorsqu’il apprend que son french pote le biniouse, il lâche tout pour répondre, B.B. Fricotein. Un gentil, dans le fond !

Je tiens à sa dispose une affaire nouvelle, lui expliqué-je, laquelle, à n’en pas douter, va faire un boucan du diable. S’ajoutant au cas de son auxiliaire félon, il n’a pas fini d’être sous les flashes de l’actualité. Il aura droit aux plus hautes récompenses, ce rénovateur de la Rousse lasvéguienne, c’est couru d’avance.

Je l’entends boucler son ceinturon et se ruer à l’extérieur.

Dans sa précipitation, il lâche une louise, ou alors c’est le cuir de son baudrier qui craque.

32

Il se pointe (d’asperge)[11] à notre hôtel quatorze minutes plus tard, suivi d’un seul hussard qu’il aime entre tous.

Je l’attendais dans l’antichambre en fumant une cigarette, chose rarissime chez moi car je n’ai jamais été tenté par le cancer du fumeur. Lorsqu’il m’arrive d’en griller une, c’est une seule, et j’attends des semaines avant de récidiver.

Fricotein est dans tous ses états, kif Charles Quint. Il a réalisé que je suis l’homme providentiel, celui par qui l’honneur, la gloire et la fortune allaient choir sur son destin.

— Du diable si j’ai déjà rencontré un être comme vous ! me déclare-t-il avec un bel accent de sincérité.

D’un regard je lui fais comprendre que je veux l’entretenir sans témoin, alors il envoie son sbire monter la garde dans le couloir.

Au moment où je m’apprête à prendre le crachoir, il annonce :

— J’ai élucidé le meurtre de Dolores, la secrétaire de « Gueule Cassée », notre regretté chef.

— Mes compliments ! Vous allez vite en besogne, cher Fricotein. Puis-je savoir le nom de son assassin ?

— Stevenson ! Le membre gangrené de notre police. La fille comptait au nombre de ses conquêtes. Grâce à elle, il connaissait toutes les activités privées du boss ; seulement, elle savait également sur lui des histoires qu’il n’aurait pas aimé voir dévoilées. Apprenant qu’elle vous avait fixé rendez-vous, il a pris les devants et l’a rendue muette en espérant vous faire porter le chapeau. C’est votre interrogatoire en nos bureaux qui lui a donné l’idée de vous impliquer dans ses desseins criminels.

— On ne fait pas dans la dentelle chez vous. Suivez-moi ! dis-je, en le saisissant familièrement par le bras, comme le font deux Italiens, les soirs d’été, pour s’aller draguer les touristes suédoises aux chattes si blondes.

L’emporte dans la chambre du « papa ».

Mon compagnon manque (ou faillit, au choix) tomber à la renverse à la vue du gisant.

— Oh ! My God ! soupire-t-il en anglais dans le texte. C’est Jo Morton !

En entendant proférer son blase, le vieux « Lucky Love » sursaille.

— Je rêve ! s’écrie B.B. Fricotein. Mais ce gars vient de reprendre les affaires de Manzoni !

— En effet. Cela dit, l’avez-vous vu à la télé ou à la une des journaux, mon cher confrère ?

— Heu… Oui… Ce matin encore…

Je dénégate :

— Vous avez aperçu des extraits d’actualités datant de plusieurs mois, entendu des déclarations de sa fille. Mais lui, hein, my dear ? Lui, rien ! Il était là par personne interposée. On a lu des textes signés de sa main ; mais quant à sa présence physique : zob ! comme nous disons dans l’aristocratie française.

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11

Pourquoi d’aussi piteux calembours émaillent-ils la prose d’un écrivain pareillement doué et raffiné ?

Par goût de la mortification. À force de franchir « des points de non-retour », San-A aurait mieux fait de rester chez lui.