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— Et il t’a répondu ?

— Un ami…

J’opine.

— Ça boume, fiston. Je vais te ficher la paix pour le moment. Tu veux que je te ramène en ville ?

— S’il vous plaît…

Evidemment, je ne le vois guère déambuler dans les rues grouillantes de Juan, pas rasé et en smok, à onze plombes du mat’.

On se casse. Le maître d’hôtel nous boude et s’abstient de répondre à notre salut.

— La taule est bonne ? m’enquiers-je.

— Pas mal, admet Alonzo.

— Le patron, pas trop râleur ?

— Non. D’ailleurs, il est rarement là.

— Quel est son nom ?

— J’en sais seulement rien. Tout le monde l’appelle M. Alfred…

Nous voici de retour dans le centre ville. Une curieuse humanité s’y presse. Des messieurs en shorts multicolores, torse nu — hélas ! — coiffés de ridicules chapeaux de paille à ruban… Des dames en bikini-bokono et cellulite… Des athlètes complets… Des incomplets. Des en complet ! Des touristes… américains, avec leurs appareils photographiques ; anglais, avec leurs dents ; allemands, avec leurs Mercedes transformables en char d’assaut ; suédois, avec leurs femmes ; espagnols, avec la permission de Franco… Ça grouille ; ça gesticule ; ça bronze ; ça s’évertue ; ça essaie de s’amuser ; ça se baigne ; ça se sèche ; ça s’interpelle ; ça suce des glaces ; ça fredonne ; ça klaxonne ; ça trépide ; ça trépigne ; ça s’embrasse ; ça se côtoie ; ça s’humecte ; ça se mêle ; ça se mélange ; ça pastille ; ça pâtisse ; ça tire à la carabine ; ça tire à conséquence ; ça tire les yeux ; ça s’attire ; ça satyre ; ça juke-box ; ça boxe ; ça caresse ; ça existe !

Alonzo Gogueno murmure :

— Me voici arrivé.

Il désigne une maison modeste.

— Tu es en meublé ?

— Je loue une chambre chez une vieille dame.

— Bon. A bientôt. Naturlich, je te demande de ne pas quitter la contrée sans ma permission.

— Vous en faites pas !

Il hésite. Je lui tends la pogne. Il la serre.

— Merci, fait-il, conscient de ce qu’il me doit.

Je poursuis mon chemin. Un peu plus loin, je tombe en arrêt devant un hôtel guilleret, d’aspect confortable : La Voile au Vent. Il me revient alors en mémoire que c’est là qu’habitait Amédée Gueulasse.

Par chance, une puissante voiture américaine déhotte ; la place est toute chaude. Je range mon tréteau et m’engouffre dans l’établissement. Le patron, un monsieur du Nord à en juger à son accent dauphinois (il fait partie du gratin) discute avec un client britannique natif d’Angleterre. Il essaie de lui expliquer que sa taule est complète, que lui-même couche sur la chasse d’eau des waters. L’Anglais ne parlant qu’anglais et le Français ne parlant pas anglais, le dialogue manque de spontanéité.

Enfin le British s’éloigne et le marchand de sommeil se tourne vers moi avec un reliquat d’agacement dans son orbite.

— Vous désirez ?

— M. Gueulasse, c’est bien ici ?

— Oui, mais il n’est pas là. L’est même pas rentré de la nuit. On refuse du populo à longueur de journée et ceux qu’ont des chambres découchent ; c’est la vie !

Encore un philosophe !

— M. Gueulasse ne rentrera plus…

Du coup, le loueur de sommiers dresse ses manettes.

— Comment ça ?

— Personne ne vous a prévenu ?

— Non.

— Il est mort hier soir à son piano, comme Molière, en somme !

— Connais pas Molière, fait l’hôtelier. Vous m’en apprenez de belles ! Mort ! Et de quoi ?

— On ne sait pas encore… Je peux visiter sa chambre ?

Je lui fais voir ma carte pour pallier ses objections. Il décroche du tableau une clef portant le numéro 18 et me la tend en soupirant :

— Il me devait une semaine. J’ai pas de chance…

J’en conviens et je monte.

Dans le couloir du first étage, une femme de piaule conduit un Electrolux comme s’il s’agissait d’un hors-bord. Faut que la poussière soit de bonne composition pour se laisser gober.

Je plante la clef dans la serrure du 18. La môme, une quadragénaire à la poitrine mal empaquetée, se précipite. En voilà une, quand elle rompt les amarres de son soutien-loloches, qui doit se meurtrir les genoux.

— Vous vous trompez ! fait-elle… Cette chambre…

Je lui fais voir la clef.

— Alors c’est en bas qu’on…

— Non, princesse, dis-je, c’est pas en bas qu’on : je suis un ami de M. Gueulasse…

— Vous m’en direz tant !

Ces échanges de vues terminés, je pénètre dans la chambre. Celle-ci est en ordre. C’est de la piaule honnête, propre et bien meublée. Je vais ouvrir l’armoire parce que lorsqu’on se livre à une perquise c’est toujours par là qu’il convient de commencer (voir le manuel du parfait petit poulet, page 22).

Le meuble recèle trois costards, un imper, un chapeau de paille cabossé et du linge de corps. Je fouille les complets et l’imperméable : zéro !

Sur le sommet de l’armoire, il y a deux valises constellées d’étiquettes. Elles sont vides itou. Ballepeau dans la table de chevet ! Jamais une opération de ce genre n’a été aussi négative… Déçu, je quitte la piaule du défunt.

L’aspirante est encore dans le couloir, à faire sa culture physique. Elle arrête le moulin en m’apercevant. M’est avis que je serais assez son genre.

— M. Gueulasse ne va pas plus mal ? me demande la traqueuse de poussière.

Je tique sec du tac au tac.

— Pourquoi me demandez-vous ça ?

— Ben, bée-t-elle, pour savoir. Il est si gentil que ça m’ennuie de le savoir avec une jambe cassée…

— Qui est-ce qui vous a dit ça ?

— Le monsieur de cette nuit…

Elle commence à m’intéresser prodigieusement.

Un mec à tronche de militaire colonial en retraite sort de sa turne et nous considère sans aménité car il a bonne vue.

— Marinette ! qu’il lui dit, le rescapé. Au lieu de bavarder, vous feriez mieux de repasser mon pantalon !

Je coule sur le quidam un œil gélatineux à force de mépris et j’ouvre la lourde du 18.

— Entrons là pour causer loin des oreilles indiscrètes ! dis-je.

Marinette obtempère et le grincheux part dans des litanies virulentes comme quoi il n’y a plus de personnel.

Elle est émoustillée, la glaneuse de miettes. Elle se figure peut-être que je l’ai fait entrer ici pour lui jouer « Deux sur une balançoire ». La moustache vibrante et l’œil langoureux comme une carte postale italienne, elle espère des choses.

— Vous m’avez parlé du monsieur de cette nuit… Donnez-moi des détails, trésor…

— Cette nuit, dit-elle, j’ai fait la nuit.

— Ça vous honore !

— Oui, en remplacement de Lucien qui était au mariage de son fils aîné.

— Alors ?

— Ben alors, un monsieur est venu. Il m’a dit comme ça qu’il était un copain de m’sieur Gueulasse ; que m’sieur Gueulasse venait de se casser la jambe en tombant de l’estrade et qu’on le couchait à la Pinède… Il fallait du linge de rechange… J’y ai donné la clef de la chambre…

— Comment était-il, le monsieur en question ?

— Il portait un imperméable blanc…

— Pourtant il ne pleuvait pas ?

— Il semblait tenir un rhume.

— Décrivez-le moi.

— Il était petit, avec de la moustache. Il portait un béret.

— Il est resté longtemps en haut ?

— Un petit quart d’heure. Il est redescendu…

— Avec des bagages ?

— Un sac de plage…