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Je la scrute.

— Vous avez parlé de cette visite au patron ?

— Non, on se cause pas, lui et moi… On est en froid.

— Ah oui ?

— Vous pensez… Un homme tellement peloteur qu’on dirait qu’il a trente-six mains… si encore il était aussi beau gosse que vous !

J’évite de lui dire que s’il était aussi beau que moi, il choisirait un terrain de chasse plus excitant. Je refile cinq francs à mon interlocutrice et je me brise.

On dirait que ça se corse, non ?

Il est midi pile lorsque je franchis le seuil du commissariat. Pistouflet est en train de pérorer au milieu de ses sbires.

Il est plus animé qu’un dessin de Walt Disney et sa chemise sans manches dont le motif représente la recette de la bouillabaisse est trempée de sueur.

En m’apercevant il s’étrangle.

— Oh ! Commissaire ! Eh ben ! on peut dire qu’on ne chôme pas, hé ?

— Pourquoi ? m’enquiers-je.

— Comment, s’époumone l’aimable gorille, vous ne connaissez pas la nouvelle ?

— Allez-y !

— Nikos Bitakis, le célèbre armateur, s’est suicidé cette nuit parce qu’il est arrivé un accident à sa fille !

CHAPITRE V

JE FAIS APPEL À LA MAIN-D’ŒUVRE EXTÉRIEURE

Si Pistouflet a espéré m’épater, il peut rentrer chez lui et s’offrir une tournée générale d’hydromel car il a pleinement réussi.

Il me faut douze secondes, montre en main, pour assimiler cette stupéfiante nouvelle. Nez-cassé se gondole comme un Vénitien ; deux autres matuches du genre « Je connais la vie et je la pratique », mis en confiance, lui emboîtent le rire.

— Des détails ! fais-je à mon collègue en m’asseyant sur une chaise éventrée.

— Figurez-vous que, depuis hier, sa fille avait disparu. Elle était partie se baigner de bonne heure et personne ne l’avait revue…

Je ne lui dis pas que je connaissais ce détail. Inutile de m’étendre sur mes accointances avec le Grec ; c’est bien assez de s’être étendu sur (et sous) le pageot de sa maîtresse.

— Et puis, à la piquette du jour, vers les quatre heures, la mer a rejeté son corps sur la plage où un pêcheur l’a découvert. Il a reconnu la demoiselle et a prévenu son vieux. Bitakis est venu reconnaître le corps. Il n’a rien dit, mais il est rentré chez lui et s’est filé une balle dans le cigare ! Vous parlez d’une tragédie…

— Tragédie grecque ! terminé-je.

Rire tonitruant du collègue.

— La môme est morte comment ? Noyée ?

— Non, c’est pire… Elle a eu la gorge déchiquetée par l’hélice d’un hors-bord…

— Drôle de mort !

— Assez fréquente, affirme Pistouflet, chaque année y en a qui se font rétamer ! Avec les vagues, les pilotes des bateaux ne les voient pas et ne s’aperçoivent de rien… L’hélice patine un peu, c’est tout !

Je songe à la môme Julia qui vient de paumer son gagne-pain. Va falloir qu’elle se mette en quête d’une autre machine à signer des chèques.

— Et de votre côté, demande Pistouflet, comment ça va avec l’empoisonné ? Paraît que vous avez relâché l’Espago ?

— Oui, je crois à son innocence.

— Vous êtes crédule !

— Merci.

Il se mord les lèvres.

— Je disais ça pour causer. Du moment que vous avez jugé bon…

Je gamberge, sous les quadruples regards de la gent poulardière. Les quatre royco me fixent comme si j’étais une huître pas fraîche.

Ce que je viens d’apprendre au sujet de Bitakis m’a secoué la rotonde… En voilà un pastaga !

Soudain je fais claquer mes doigts, ce qui chez tout individu normalement constitué marque la détermination.

— Mme Bitakis était absente, n’est-ce pas ? fais-je.

— Comment que vous savez ça ? bavoche Pistouflet.

— Mon petit doigt !

Rire comique du gorille policé.

— On a dû la prévenir ?

— Bien sûr…

— A quel hôtel était-elle descendue, à Paris ?

— J’ sais pas.

— Vérifiez !

Il tubophone à la villa de feu l’armateur. Renseignement pris, c’est au George V.

— Vous permettez, dis-je, il faut que j’appelle Pantruche.

— Faites donc…

Et toujours les huit yeux des Contredanse’s brothers rivés à mes gestes.

J’ai l’impression de tricoter des combinaisons de scaphandrier dans une vitrine des Galeries.

J’appelle mon bureau. Et, le hasard faisant admirablement les choses, j’obtiens la voix désirée de Bérurier.

— Tiens, c’est toi, commissaire de mes… Ça boume, ces vacances ?

— Ça pète le feu, tu veux dire.

— Eh bien, ici, c’est mou. Je m’ennuie. Ma grosse est en vacances chez notre ami le coiffeur…

— Je viens t’extraire de l’uniformité nauséeuse dans laquelle tu t’enlises, Béru.

— Qu’est-ce que tu déconnes ?

— Prends un crayon, une feuille de papier… C’est fait ?

— C’est pour un concours télévisé ?

— Ta bouche, Ruminant ! Tu vas aller à l’hôtel George V. Une dame Bitakis y est descendue ; elle en est repartie, du reste. Je veux son emploi du temps à Paris pendant les quelques heures qu’elle y a passées.

— D’ac’. C’est la femme de l’armateur ?

— T’es au courant de la gentry, toi ! Pendant ce temps, tu vas demander à Magnin de me trouver le maximum de tuyaux sur un dénommé Amédée Gueulasse qui s’est expatrié voici une dizaine d’années.

— Celui du bar de la rue Fontaine ?

— Bravo, Gros. Celui-là même. Lorsque tu auras la documentation complète sur les deux personnages, tu sauteras dans le premier avion pour Nice et tu fréteras un tacot pour Juan-les-Pins. Au commissariat, on te dira où je me trouve. Ne lambine pas, je vais avoir besoin de toi dès ce soir. Allez, tchao !

Je raccroche avant que Béru ne se lance dans de véhémentes protestations.

— Je peux vous demander quelque chose ? murmure Pistouflet.

— Oui.

— Pourquoi faites-vous prendre des renseignements sur Mme Bitakis ?

Je lui frappe sur l’épaule.

— Parce que, lui dis-je, dans notre job, il faut toujours commencer par s’occuper des gens qui ne sont pas là !

Rire jaune du commissaire.

— On a les résultats de l’analyse ?

— Quelle analyse ?

— Celle du verre de vin blanc, voyons !

Le gorille blêmit.

— N. de D., dit-il (mais en entier).

— Qu’est-ce qui vous arrive ?

— Je l’ai oublié hier dans le bureau de m’sieur Alfred !

— Compliment ! Essayez de le récupérer. Et, de toute urgence, réclamez une autopsie !

Comme j’ai besoin de me mettre de l’ordre dans mes pensées, je moule les archers et je vais dans un petit restaurant sympa où la bouillabaisse est plus appétissante que sur la chemise de Pistouflet.

J’en commande une ainsi qu’une boutanche de rosé de Provence et, mon regard romantique perdu dans l’immensité marine, j’essaie de classer ma provision de faits divers.

Il y a à boire et à manger. Pas seulement sur ma table, mais dans ma moisson de sensationnel. Tout ça ressemble à un écheveau de laine avec lequel un jeune chat se serait amusé pendant quinze jours.

D’un côté, un pianiste qui veut me parler et qu’on empoisonne. D’un autre, un riche armateur qui se fait sauter le bol parce que sa fille a eu un accident en se baignant.

Aucun rapport entre ces deux affaires. Juste un trait d’union ravissant : Julia Delange. Car, en somme, c’est elle qui m’a fixé rencart à La Pinède brûlée. Il faut se garder d’y voir un rapprochement quelconque, ça n’est qu’un symbole. Mais j’aime les symboles : ils poétisent la vie.