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— Esbigne-toi sans te faire remarquer, si tu le peux. J’aimerais que les musiciens qui me connaissent ne nous voient pas ensemble…

— Compris, fait l’Enflure qui n’a rien pigé du tout.

Il se lève et, de sa démarche éléphantesque, va m’attendre au parkinge.

Lorsque nous sommes côte à côte dans la chignole, je me relaxe un chouïa.

— En somme, questionne l’Ignoble, tu es sur quelle affaire ? Le pianiste ou l’armateur ?

— Le pianiste ! choisis-je.

Je fonce chez un photographe et lui cloque mon appareil en lui demandant de me développer illico les photos que je viens de prendre.

— Vous aurez ça demain soir, promet-il.

— Pas du tout, je viendrai les chercher dans une heure !

— Vous rigolez ! Je ferme.

Je lui montre ma carte.

— C’est très important !

C’est un petit bougre avec un nez recourbé, des yeux clignotants et du poil dans les oreilles. Il porte un béret sur le sommet du crâne, avec une petite queue agressive comme celle d’une poire.

— Dans ces conditions, fait le champion de l’hyposulfite, je vais vous servir.

Pendant qu’il s’affaire, nous allons au commissariat, lequel se trouve non loin de là. Pistouflet vient d’y arriver. Il est nerveux et engueule ses hommes pour se rassurer.

Nez-cassé, entre autres, semble en prendre pour son absence de grade.

— Tiens ! Quel plaisir ! s’égosille mon honorable confrère en nous voyant entrer…

Notre visite lui cause autant de joie que la chute d’une cheminée sur le capot de sa voiture. Néanmoins, il nous serre la pince avec élan.

— Je passais rapport à l’autopsie. dis-je. Vous avez les résultats ?

— Xactement ce que vous pensiez : empoisonnement.

— A quoi ?

— Cyanure. C’est à cause qu’il est tombé raide mort ! Vous n’ignorez pas que c’est un poison foudroyant…

— Donc ça urgeait !

Le Gros déboutonne le haut de sa chemise et se gratte la poitrine à travers une brèche de son maillot de corps. Celui-ci ressemble à un vieux filet de pêche déchiqueté.

— Tu as des poux ? fais-je, sévère, car il la fiche mal.

— Non, c’est des miettes. Dans l’avion on nous a servi des toastes.

Il se reboutonne avec dignité.

— On pourrait p’t’être aller écluser un gorgeon ? suggère-t-il.

Pistouflet n’est pas contre. Nous voilà partis pour le bistrot voisin. La douceur de cette fin d’après-midi est indicible, comme dirait la marquise de Rabutin-Chantal. Les palmiers agitent leurs palmes — ce qui est leur droit le plus indiscutable — dans le vent léger soufflant du large.

Une fine poussière dorée saupoudre la ville aux toits décolorés par le soleil. Il y a dans les rues cette éternelle liesse, ce flux et ce reflux bariolés des estivants, cette odeur lourde de sueur et d’ambre solaire qui vous picote le nez…

— Si tu biglais Pantruche, comme c’est mort en ce moment ! dit Bérurier. C’est bien simple, y a plus que des Amerlocks !

Nous nous abattons comme un vol de condors à la terrasse de chez Tintin.

— Pastis pour tout le monde !

La présence du Gros me met dans l’ambiance boulot. Drôle de vacances. J’étais là, bien peinard, à me sélectionner des nanas et voilà que la fatalité s’est mise contre moi et a chamboulé ma quiétude. C’est tout de même malheureux, vous ne pensez pas ? J’appelle le drame comme un poussin perdu appelle sa mère !

Nous buvons. Je rêvasse. Béru a entrepris Pistouflet et lui raconte sa partie de pêche dans l’Eure. Il s’est fait contacter par une truite d’au moins huit cents grammes. « Je l’amène jusque z’à la rive. Et voilà que mon moulinet se bloque. Elle ruait comme une jument, cette vache ! Alors… »

Pistouflet ne connaîtra jamais la fin de ce passionnant récit à moins qu’il ne ligote la suite sur le Chasseur Français. Le chaudron cabossé qui lui sert de secrétaire s’annonce en courant.

Il est surexcité, Nez-cassé. Lui qui renifle en zigzag, il n’est pas à la fête, croyez-le.

— M’sieur le commissaire ! Venez vite !

— Quoi z’encore ! grogne Pistouflet qui venait juste de mettre le groin dans son anisss !

— Un nouveau suicide, m’sieur le commissaire !

Mon collègue émet un gémissement avec provision d’oxygène et branchement automatique sur nourrice de réserve.

— C’est pas possible ! Mais qu’est-ce que j’ai donc fait au Bon Dieu pour avoir une pommade pareille en ce moming !

Je biche la manche élimée du musculeux secrétaire.

— Qui ? fais-je, le cœur, le gosier et les lacets noués par un sombre pressentiment.

— M’en parlez pas ! Il s’agit de l’Espago qu’on a gardé cette nuit dans la volière !

Si j’étais moins réservé et si je ne portais pas un pantalon neuf, je me distribuerais cent un coups de pied dans les fesses.

Quelque chose me chuchotait que je commettais une connerie en restituant ce type à la vie civile.

Nous nous levons d’un commun accord.

— Où s’est-il détruit ? demandé-je.

— Chez lui, fait Nez-cassé.

— Tu as l’adresse ? demande Pistouflet à son subordonné.

— Je sais où c’est ! coupé-je.

— Vous savez tout ! trouve le temps de complimenter le Sherlock de la Côte.

C’est un bath cortège qui se carapate jusqu’à la petite maison d’un blanc immaculé, aux fenêtres ornées de tuiles creuses où le serveur espanche avait sa carrée.

Nous sommes accueillis par une vieille dame à cheveux blancs, vêtue de noir, qui se lamente avé l’accent.

— Misère ! Ce povre ! Quand je suis entrée dans sa chimbre et que je me le suis vu allongé sur son lit… Boudiou ! J’ai eu une brave frayeur…

Tout en s’exclamant, elle nous fait grimper un escadrin de bois verni. Naturellement, le Béru se fiche la hure en l’air et dévale six marches sur son usine à boustifaille. Nous atteignons enfin le premier. La porte d’Alonzo n’est pas fermée. La vioque nous la désigne du doigt.

— Intrez ! Moi je n’ose pas ! Jamais plus je ne voudrai pénétrer dans cette chimbre !

Nous pénétrons dans la pièce. Celle-ci est proprette et bien en ordre. Décidément, dans cette affure, tout est gentiment arrangé. Alonzo Gogueno, en manches de chemise, est allongé sur son pucier. Il est dans une attitude très recueillie. Sa pâleur est — vous admettrez le qualificatif — mortelle.

J’avise sur la table un verre et un petit flacon. Je hume les deux et je retrouve cette odeur bizarre que dégageait le verre d’Amédée. Il y a en outre une feuille de papier sur laquelle on a tracé en hâte quelques lignes d’une écriture maladroite.

Je lis.

C’est moi le coupable. Je préfère me donner la mort.

A. Gogueno.

— Pas d’erreur, murmure Pistouflet, il s’agit bien d’un suicide. Eh bien, voilà qui résout notre problème, n’est-ce pas ?

Le jour où les connards éliront leur président, il pourra poser sa candidature.

— C’est un meurtre ! déclaré-je.

— Enfin, voyons, bredouille Pistouflet en rougissant.

Béru qui snobe la province lui tapote la poitrine.

— Si San-A. l’affirme, vous pouvez être tranquille.

Or, il n’est rien moins que tranquille, le pauvre bougre. Il commence à trouver son poste pénible.

— Qu’est-ce qui vous fait croire…

— Deux choses. La première, la moins certaine d’ailleurs, ce garçon ne savait pas lire le français, à plus forte raison il était incapable de l’écrire… Mais j’admets qu’il ait pu me bidonner sur ce point. En tout cas, mon second argument est absolument sans réplique…