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— Vraiment ?

— Vraiment !

— Eh ben ! accouche, bordel de Dieu ! hurle le Gros qui défaille de curiosité.

— Inspecteur Bérurier, je vous rappelle aux convenances ! dis-je froidement.

Le Mahousse hausse les épaules.

— Mon cher Pistouflet, cet homme est mort pour avoir absorbé du cyanure, vous êtes bien d’accord. L’odeur est caractéristique ?

— Oui, et alors ?

— Le cyanure est un poison foudroyant, nous l’avons vu. En ce cas, comment Alonzo aurait-il pu l’absorber, poser son verre sur la table et aller s’étendre sur son lit ?

— Merde ! fait Béru qui aime condenser ses pensées en un mot.

— Je m’incline, bredouille Pistouflet.

— Le ou les meurtriers n’ont pas pensé à ce détail capital. A mon avis, ils devaient être deux. L’un maintenait Alonzo sur le lit, et l’autre le forçait à avaler le breuvage fatal en lui pinçant le nez. Ils ont déposé ensuite le verre sur la table, grave erreur !

Je sors de la turne pour rejoindre la vieille dame.

Elle voudrait bien chialer pour faire vrai, mais elle ne s’en sent pas le courage. Elle est trop excitée par l’événement. Elle dresse mentalement la liste de tous les gens auxquels elle va pouvoir raconter ça ! Elle se dit aussi qu’elle aura son blaze dans le baveux local. Comme elle n’escomptait pas la chose avant son avis de décès, elle est dans tous ses états, comme Charles Quint.

— Vous êtes sortie faire des courses ?

— Je suis allée acheter des petits rougets pour ce soir.

— Quelle heure était-il lorsque vous êtes partie ?

— Quatre heures !

— Alonzo était là ?

— Té, oui ! Bien vivant, le povre ! Je lui ai crié : « Je sors, monsieur Alonzo. » Et il m’a répondu : « Intindu, madame Bouftafigue ! » Sa radio marchait.

— Vous êtes restée longtemps partie ?

— Deux povres petites heures ; j’ai rencontré une amie, Mme Barbiquiou, qu’est bien seulette depuis que son povre mari est mort, et nous avons cosé d’une chôse et d’une otre…

— Ensuite, vous êtes rentrée chez vous ?

— Té ! Naturellement !

— Vous n’avez rien remarqué d’insolite ?

— Hé non !

— Vous aviez fermé votre porte à clé en partant ?

— Pour quoi faire, puisqu’il y avait quelqu’un dans la maison ?

— Quand vous êtes-vous aperçue de… du drame ?

— Eh, té ! exulte la vioque, vous l’avez bien dit : c’est un vrai drame, peuchère ! Quand je m’in suis aperçue ? Boudi, tout de suite ! Je me pose mes rougets dans la cuisine, et je crie à M. Alonzo : « Ho ! Monsieur Alonzo, vos rougets, vous préférez vous les minger en friture ou pochés avé une soce au beurre ? » Et voilà qu’il me répond rien ! Moi ça me surprend, je monte… Je disais tout le long des marches : « Vous êtes là, monsieur Alonzo ? » Et vé, il était bien là, le povre, mais mort que c’en était un grand malheur…

Mes équipiers, qui m’ont rejoint en silence, écoutent les explications de la vieille dame.

— C’est très clair, affirme Bérurier, les assassins sont venus pendant votre absence !

Elle s’égosille, la mère Bouftafigue :

— Les assassins ! Qu’est-ce que vous me dites, peuchère ?

Et de pousser ce que Béru appelle « des cris d’or vrai » et Pinaud « des cris d’orfèvre ». Pistouflet la calme, lui promet de faire enlever la marchandise et de lui envoyer un de ses hommes pour lui tenir compagnie en attendant.

Nous retrouvons le soleil du midi. Il se fait pâlichon car l’heure a tourné.

— Il s’en passe des baths dans votre patelin ! ironise Béru à l’adresse télégraphique de Pistouflet.

— Les autres années, affirme le digne homme, on n’a que des procès-verbaux ou des accidents… De temps en temps un suicide à cause du casino, mais c’est tout…

Comme nous déambulons, je suis hélé par le photographe zélé dont auquel à propos de qui je ne pensais plus.

— C’est prêt ! me dit-il…

J’entre dans son antre à reproduire la bêtise et il me remet deux agrandissements 13 ? 18 de mes clichés. Bien que je ne sois pas Isis, j’ai le sens de l’instantané et mes cinq musicos sont très visibles… Satisfait, je douille le souilleur de plaques sensibles et je rejoins mes aminches.

— Cher Pistouflet, dis-je, on vous quitte pour aujourd’hui.

— Il faut que je prévienne la Sûreté, dit-il…

— Vous la préviendrez demain… Faisons comme si toutes ces morts étaient vraiment des suicides ou des accidents !

— Mais, le pianiste ! Avec le rapport du toubib, je suis bien obligé de conclure…

— Officiellement, le docteur ne vous aura remis ses conclusions que demain, vu ?

— Entendu.

— Toi, ronchonne le Gros, t’as une idée derrière la tronche !

— J’en ai même plusieurs !

— Ça promet ! Je parie qu’on va faire équipe de nuit, non ?

— T’as mis dans le mille, bonhomme Lalune !

— M’étonne pas. Et moi que je comptais m’offrir un bain. Un caleçon formide que je me suis acheté. Il était en solde à la Saint Maritaine…

« Tu veux le voir ? »

— Plus tard !

— D’ici que tu me donnes campo, il sera été bouffé aux mites.

— Attends-moi ici !

Nous sommes devant l’hôtel de La Voile au Vent qu’habitait feu Gueulasse. J’entre et je demande après Marinette, la servante moustachue.

Le taulier, pas content, l’appelle après m’avoir exprimé par une mimique appropriée son peu d’estime pour la police.

J’attire la donzelle à l’abri d’une plante verte dont les feuilles ressemblent à des couvercles de lessiveuses. Elle a le capot en effervescence. Je la trouble comme la flotte trouble le pastis.

— Ça me fait plaisir de vous revoir ! chuchote-t-elle en approchant sa moustache de la peau de mon lobe.

— Moi aussi, encouragé-je ; ça crée une intimité.

Je lui propose la photo de l’orchestre.

— Dites-moi, belle enfant, reconnaîtriez-vous, par hasard, le monsieur qui a visité cette nuit la chambre de M. Gueulasse ?

Elle approche l’image de son regard charbonneux. Il y a du suspense en suspens. J’attends, avec le palpitant qui me grimpe dans la gorge comme une grenouille grimpe à l’échelle de son bocal quand le temps va changer.

— Non, dit-elle, je reconnais pas.

— Vous êtes certaine ?

Nouvel examen attentif. Elle est formelle.

— C’est pas un de ces messieurs.

Je donne une chiquenaude friponne à ses bajoues.

— A bientôt, petite Suédoise !

— Vous reviendrez ?

— C’est promis.

L’oreille basse, le moral bas, tout bas, je retrouve le Béru des familles sur le trottoir. Il est en admiration devant un moulinet pour la pêche en mer, exposé dans une vitrine d’armurier.

— Tu te rends compte, fait-il, de ce qu’on pourrait ramener avec un machin pareil ?

— Il me le faudrait bien pour ramener quelque chose dans cette saloperie d’affaire ! glapis-je. Tu parles d’un lac de goudron ! Tout ce qu’on trouve, ce sont des cadavres ! Juan-les-Pins va devenir l’annexe de la morgue, au train où ça va.

Je rengaine les photos, mais j’en fais tomber une et c’est the Big qui, nonobstant son embonpoint, se baisse pour la ramasser.

Il jette un coup d’œil.

— Qué zaco ? Tu deviens imprésario ?

— Non, je m’étais dit, dans ma petite tête de don Juan diplômé, qu’un des musicos avait peut-être poivré son pote au cyanure. Excepté Alonzo, eux seuls ont eu la possibilité de le faire…