— C’est à toi, ça ? dit-elle.
— Non, dis-je, c’est à toi.
Elle fronce les sourcils.
— Qui l’a apporté ?
— Moi.
— Du diable si…
— Ouvre !
Elle déplie le colis et considère la combinaison d’un œil chargé jusqu’aux sourcils d’incompréhension.
— Où as-tu pris ça ?
— Dans ta cabine…
— Ça t’ennuierait de m’expliquer ?
Elle est sincèrement étonnée. J’ai pitié d’elle et lui fais une relation précise de mon empoignade avec le zigoto de la plage.
— Mon pauvre chou, s’apitoie-t-elle, c’est pour cela que tu as les yeux rouges ?
— Tu n’as aucune idée sur la signification de ce vol raté ?
— Aucune. Ça me paraît ahurissant, voilà tout. Pour moi, c’est un type qui a voulu se payer à bon compte une combinaison sousmarine. Comment était-il ?
— Je l’ai mal vu. De dos seulement… Il m’a paru assez mince… Et à la façon dont il court, il doit être jeune…
— Un campeur fauché, dit-elle…
— Probablement.
Elle dépose la combinaison sur son lit et jette le papier qui l’enveloppait dans une corbeille.
— Merci, mon amour chéri. Sans toi, j’aurais été obligée de m’en acheter une autre. C’est fantastique, tout de même, que tu te sois trouvé là à cet instant, hein ?
— Oui, dis-je, fantastique…
Je contemple, rêveur, la combine. Puis, réagissant, je saisis ma conquête par la taille.
— On y va, beauté ?
CHAPITRE IX
Monte-Carlo étincelle dans son écrin de lumières. Point à la ligne. Le palais princier, virgule, illuminé par des projecteurs, revirgule, ressemble sur son rocher à un conte de fées. Point.
— C’est beau, murmure Julia…
— C’est touristique, rectifié-je. Mais je n’aimerais pas y habiter. La vie doit y sembler factice et vaine.
Je pense à ces vains du rocher (le velours de l’estomac) qui vivent en vitrine devant l’univers émerveillé. Ils font des gosses pour concours, se mouchent en technicolor et ne cueillent jamais une fleur sans que les caméras soient en batterie.
La vie de famille, quoi !
Je connais une boîte bien dans le secteur et c’est là que j’emmène Julia. Il y a de la musique, de la bonne bouffe et des grognaces faciles à regarder.
Comme il est tard, outre du sable j’ai aussi l’estomac dans mes souliers. Aussi je compose un menu admirable : caviar pressé, poulet à l’estragon, soufflé au Big Marnier. Le tout arrosé de blanc très convenable.
Ayant consommé ces différents ingrédients, je me sens nettement reconstitué. Je tourne vers ma conquête un visage reposé.
— Tu as l’air songeuse, Julia très belle ?
— Je pense à ce voleur de cabines, c’est tout de même étrange qu’il ait jeté son dévolu sur la mienne et non sur une autre.
— Bast, ç’a été le hasard, mens-je afin de la réconforter.
Et moi aussi de mon côté je pense ferme. Mais pas aux mêmes choses que Julia, du moins ça m’étonnerait.
Je gamberge à la combinaison que je lui ai ramenée et qu’elle portait — avec quelle grâce ! — lorsque je l’ai vue sortir de l’onde l’autre jour… Je pense au vaillant Bérurier sans lequel la police française ne serait que ce qu’elle est… Où en est-il de la mission psychologique que je lui ai confiée ? Dans les cas graves, malgré son intelligence sous-jacente, ses pieds pas propres et sa vue basse, il se débrouille admirablement. Un sixième sens, quoi, car Béru, selon moi, n’en possède vraiment qu’un : le sixième.
La nuit enchanteresse tissée de lumières (si d’après vous je force trop dans la métaphore, allez dans une gare de triage et demandez des échantillons de sémaphores) tissée de lumières, disais-je, rutile au bord de la plus belle des mers.
A une table voisine de la nôtre, un couple d’amoureux se savoure les muqueuses en produisant des bruits de pansements arrachés. Le maître d’hôtel, qui ressemble davantage à Ray Ventura qu’à Sacha Distel, m’apporte la note. Est-ce la proximité de la ligne Nice-Ajaccio ? Toujours est-il qu’elle est corsée ; Julia, tandis que je répands mon bel osier dans la sébile, prend cet air gentiment absent des nanas en pareil cas. Elle se file un petit nuage de poussière de céréales sur le minois et rectifie le dessin de ses lèvres.
— Où allons-nous, chéri ? demande la belle enfant.
— Un petit tour au casino, non ?
— Pourquoi pas…
Et nous voilà partis pour la propriété de rapport des Grimaldi.
Il y a un trèpe fantastique autour des tapis verts. On peut pas se figurer le nombre de zigs qui aiment ce genre de pelouses… Des pelouses qui les ratissent !
— Vous êtes joueur ? demande ma compagne.
— Mes moyens et mes fonctions ne me permettent pas de l’être beaucoup, heureusement. Néanmoins, exceptionnellement je peux flamber un grand format. Et vous ?
— J’adore jouer…
Une place assise se trouvant libre, Julia l’adopte illico. Elle a fait l’emplette d’un paquet de jetons et en balance une pincée sur le 14 plein.
Comme de bien entendu, c’est le 29 qui sort. Stoïque, Julia cloque une chouette plaque de dix lacsés à cheval sur le 12 et le 15 ; cette fois la chance lui fait risette car le 15 s’annonce comme une fleur. Julia a un mouvement de triomphe et tourne vers moi un regard triomphant. Pendant qu’elle me montre son visage épanoui, le croupier questionne dans le brouhaha ambiant :
— A qui le cheval du 12–15 ?
— Ici ! fait une voix.
Or cette voix n’est pas du tout celle de Julia. Je bigle le pèlerin culotté qui a poussé cette imprudente exclamation et j’avise un petit zigoto déplumé, en smok un peu naphtaliné. Il a une tronche à imprimer des faire-part ou à les distribuer. Julia a à peine le temps de réaliser que déjà l’homme au râteau dirige l’artiche vers le petit tordu.
— Mais ce n’est pas vrai ! clame Julia, cet argent me revient ; c’est moi qui avais joué le 12–15 à cheval !
Je précise au passage que ce genre d’incident est fréquent dans les salles de jeu. Si le gagnant ne réclame pas sa mise illico, il se trouve toujours un foie blanc pour la réclamer ; or il est difficile d’ergoter ensuite car tout va très vite et les croupiers ne peuvent avoir l’œil partout. Le zig au râteau regarde Julia avec consternation. Dans son œil, je lis le doute, l’ennui et un tas d’autres trucs qui ne plaident guère en faveur de la jeune femme. Visiblement il la prend pour une aventurière. D’autant plus que le petit escogriffe a un air surpris et malheureux qui lui vaudrait les félicitations du jury au concours du plus bel hypocrite. Il chique au monsieur galant, navré d’un tel incident.
— Vous faites erreur, mademoiselle, murmure-t-il, c’est moi qui avais joué ce cheval…
Julia va pour rouscailler selon son cœur, mais je la calme d’une pression de main.
— A quoi bon faire du suif ici ? C’est très mal vu et ça n’arrangerait rien.
Les plaques sont déjà empilées devant l’arnaqueur et les graves personnes qui cernent la table de jeu ont hâte de voir se poursuivre la partie. Elles sont là pour paumer leur auber et ça urge. Déjà trois minutes de perdues ! Trois broquilles pendant lesquelles elles transpirent sur leurs jetons.
— Continue de jouer, soufflé-je à Julia.
Et le gars moi-même se retire sous sa tente pour s’offrir un calumet de la paix bourré par la Régie Nationale des Tabacs. A distance, vautré dans un confortable fauteuil doré, j’observe le mec qui vient de blouser Julia.