— O.K. ! A la revoyure, mon pote…
Je descends de sa tire et m’apprête à regagner le casino. Mais il passe sa pauvre gueule par la portière et me hèle timidement :
— Monsieur le commissaire…
— Mon bel Evariste ?
— Je… Vous…
— Accouche ! Tu veux que j’appelle une sage-femme ?
— L’argent… Celui que vous m’avez pris…
— Eh bien ?
— Il y avait cinq cents francs à moi dans le portefeuille… Et je… je suis sans un !
Magnanime, je lui colloque ses cinquante laxatifs. Il paraît content. Pour une fois, ses rapports avec les emplumés auront été empreints de la plus franche cordialité, comme on dit dans les comptes rendus des rencontres diplomatiques.
Je m’esbigne dans la nuit odorante où une brise capiteuse berce les palmes des palmiers.
Avant de rentrer au casino, j’achète à un étalage une bath carte de la Principauté représentant Madame Grace Kelly avec le père de ses enfants. Leurs portraits sont entourés d’un cadre doré magnifique, ce qui vaut une bonne renommée.
Je poste l’image à ma brave Félicie afin de lui dire que mes vacances sont idéales, calmes, sereines et tout et tout. Ça va lui faire plaisir, la famille princière. On ne peut pas se figurer ce que les binettes couronnées font bien sur la vitre d’un buffet de cuisine…
La môme Julia a quitté la table de jeu après s’être fait éponger son blé. Morose et anxieuse elle m’attend à l’écart. Elle ne me voit pas et je puis, à loisir et à l’œil nu, l’admirer tout à mon aise. C’est un beau sujet, les gars. Il a été frappadingue, Bitakis, de s’envoyer dehors en ayant un pareil lot de consolation à sa disposition. Ça pouvait lui fournir des instants d’oubli très convenables, ce ravissant bipède ; j’en sais quelque chose…
— Coucou, fais-je, car je parle toutes les langues, y compris celle des fleurs et des oiseaux.
Elle tressaille.
— Oh ! Amour… Je commençais à m’inquiéter à ton sujet. Où étais-tu ?
Je lui présente la liasse de bifs.
— Service de la Récupération !
— Quoi ! Tu es parvenu à lui faire rendre gorge !
— Sans grand mal. C’était un tout petit aigrefin de bas étage, il suffisait de lui montrer ma carte en lui faisant les gros yeux pour qu’aussitôt il flageole. Le filou cardiaque, une espèce en voie de disparition.
— Si je m’attendais à récupérer cet argent ! Tu es un type absolument fantastique !
— Merci, dis-je ; pour te prouver à quel point je le suis, fantastique, rentrons nous coucher.
Elle a un sourire qui pourrait se traduire par « yes » en anglais.
Allons, tout va bien, les potes, je crois que le hasard m’a filé un bon petit coup de paluche et m’a permis de marquer un but.
Je vais essayer d’en marquer d’autres sur le terrain de sport de la chambre numéro 4 à l’hôtel Bel-Azur.
CHAPITRE X
QUI NE FAIT QUE PRÉCÉDER LE CHAPITRE XI
En cours de route, je sursois à ce projet et je décide d’améliorer le score une autre fois car j’ai une hâte compréhensible d’interviewer le contrebassiste suspect. Entre nous et le square Louis XV, les potes, vous conviendrez que le fameux San-Antonio a le nez aussi creux que le corsage d’une vieille fille. J’avais reniflé au départ que les trafiquants de vent devaient être tenus à l’œil. M’est avis que bien m’en a pris de brancher le fougueux Béru sur cette piste.
Il est une heure du mat’ plus quelques poussières lorsque je stoppe ma troïka devant l’hôtel de Julia.
— Tu viens, mon amour ? gazouille la mignonne en me roulant un regard à rayons infrarouges.
— Je passerai demain, fais-je, humilié de me démettre (si j’ose cette image hardie).
— Tu es fatigué ? s’étonne la pépée.
C’est le genre de réflexion qui me porte à l’incandescence plus vite que ne le ferait un chalumeau oxhydrique.
— Y a de ça, rigolé-je.
Je lui mets la claque de l’amitié sur le porte-bagages et je défile sans épiloguer.
A mon hôtel, j’apprends que le sieur Bérurier, poulet de profession et tas d’immondices par vocation, n’est pas encore rentré. Ce brave ami est encore par les chemins fangeux de la gloire et de l’honneur.
Je fonce donc en direction de la Pinède brûlée dans l’espoir de l’y dénicher. Le populo s’est clairsemé. Il ne reste plus qu’une douzaine de clients schlass. Une table de jeunes où l’on chahute ferme, puis un couple démarrant une grande passion au whisky en se regardant le blanc de l’œil jusqu’à ce qu’ils aient des étourdissements.
De Béru, point ! Du moins à première vue.
Les musicographes sont à leur poste. Ils semblent avoir sommeil et jouent sur leur lancée un succès d’avant la prochaine guerre intitulé « Houx, squelette, amer » ce qui, au refrain, donne un truc à double sens et signifie « Où c’ qu’elle est ta mère ? », vous avez mordu l’astuce ?
Je m’assieds à ma table dorénavant habituelle et le non moins habituel pingouin chauve s’annonce. Je lui dis que ce sera encore du Haig’s et il hoche la tête en faisant craquer ses vertèbres cervicales.
Près de moi, à la tablée voisine, il y a une douairière pleine de rides et de bijoux qui fait des mignardises à un jeune bœuf athlétique. Beau couple. Elle, c’est lady Tumbross ou sa cousine germaine ; lui, il a joué avant-centre dans l’équipe de Bécon-les-Bruyères avant de se faire une situation façon castor. Il donne ses vingt ans et les accessoires à la dame qui, elle, donne son flouze (la plus tarderie des vioques ayant ceci de commun avec la plus belle fille du monde qu’elle ne peut donner que ce qu’elle a).
Je suis abîmé dans des réflexions moroses concernant l’humanité et ceux qui la constituent lorsque la table des jeunes bruyants s’évacue. Le maître d’hôtel commence à diminuer les lumières pour faire comprendre à son aimable reliquat de clientèle qu’il a hâte d’aller foutre sa viande dans les torchons et que « ces messieurs dames » seraient bien bons de douiller leurs boissons fermentées et de s’emmener promener sur leur matelas Simmons.
Ce qu’ils font. Du coup l’orchestre qui interprétait « Ferme-la, je crains les courants d’air », extrait du film « La garde-barrière frileuse » (Avec Jacques Dufilho dans le rôle de la garde-barrière) ; du coup l’orchestre, disais-je, plie bagage. Je balance des images tarifées au chef loufiat et je vais griller une cousue dans l’ombre odoriférante de la campagne côte-d’azuréenne.
Au bout d’une vingtaine de minutes, les musicos se pointent, en costard de ville. Ils s’empilent dans la calèche de la flûte, une M.G. lumière familiale à autosuggestion instantanée, freins à tambour (c’est l’auto d’un musicien, ne l’oublions point) et suspension renouvelable par tacite reconduction.
Il ne me reste plus qu’à leur emboîter le pneu, ce que je ne manque pas de faire avec le brio dont auquel vous savez que je suis costumier.
Ils s’arrêtent devant le casino pour larguer la batterie, puis au carrefour de la gare pour mouler le saxo. Un peu plus loin, dans l’avenue du vice-sous-président Chprountz (administrateur des cafés-comptoirs des Indes de 1900 jusqu’à plus ample informé) c’est enfin mon contrebassiste qui est éjecté de la bagnole.
J’attends que la tire du collègue ait démarré et je stoppe mon quatre-roues enveloppé de tôle à la hauteur du musicien.
— Mais je ne me trompe pas, fais-je avec un brin d’humour à la boutonnière et des réserves d’esprit dans le tiroir du haut de ma cravate ; c’est bien la contrebasse à cordes de la Pinède !