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J’abandonne.

— Terminé ? fait le copain.

— Oui. Il s’en est fallu de cinq minutes, il est tout chaud.

— Vous croyez que c’est vraiment un suicide ? doute mon compagnon.

Je bigle autour de moi. Je suis sensible aux impondérables. A la qualité de l’air, je suis à même de déterminer si je suis dans une affaire criminelle ou dans un simple fait divers. D’accord, quelquefois j’ai le nez bouché, mais en général ça rend.

— Oui, mon gars, c’est bel et bien un suicide…

Sur la table, il y a trois mots écrits. Très brefs, très vrais. Trois mots qui ne trompent pas ; trois mots qui expriment toute la détresse du désespéré, toute sa détermination :

Pardon, Maman.

Finfin.

Il en a eu classe, le flûtiste. Il s’était trop mouillé et il a compris que ça allait craquer, alors dans un dernier sursaut d’énergie…

— Bon, caltons, on n’a plus rien à fiche ici, décidé-je.

Je sors après avoir lourdé à clé et je dépose mon contrebassiste devant sa porte, après je vais alerter mes aminches du commissariat. L’homme de barre est un nouveau, un pète-sec corse au regard chafouin. Je me fait connaître et lui explique qu’on continue de défunter de façon peu banale à Juan-les-Pins cette année. Je lui donne l’adresse et la clé du flûtiste Dubois (du bois dont on fait les flûtes ; vous pensez bien que je n’allais pas le laisser passer, celui-là) et je fonce à mon hôtel pour y déguster un sommeil amplement mérité.

Cette fois, le gros Béru est rentré. Je l’entends ronfler depuis l’extrémité du couloir. Il n’y a que lui pour émettre ce bruit de quadrimoteur en difficulté. Je joue Ramplanplan sur sa porte jusqu’à ce qu’il s’éveille après un ultime gargouillis évoquant le vidage d’une chasse d’eau mal réglée.

Il m’ouvre, hirsute, barbu, les yeux collés.

D’instinct, il a coiffé son bitos pour être plus présentable. Avec son pyjama découpé dans de la toile à matelas, il fait croquignolet. Vous le verriez, vous en retiendriez un de la prochaine couvée à n’importe quel prix.

— C’est toi ! bougonne-t-il. Tu pourrais le dire.

— C’est moi, dis-je.

J’entre et vais m’asseoir dans un fauteuil pelucheux. Le Gros se gratte tour à tour le front et la raie des fesses, après quoi il s’extirpe d’une dent creuse une parcelle d’aliment non identifiable qu’il dépose avec soin sur son traversin.

— Qu’est-ce que t’as maquillé jusqu’à ces heures induses ? questionné-je.

— Parle-moi z’en pas, jubile l’Enflure, pour un coup de pot, j’ai eu un coup de pot. Est-ce que je me suis pas fait une Anglaise ?

— Toi !

— Ça te la coupe, hein ? A la terrasse d’un troquet. Elle était à une table à côté. Une personne bien : la soixantaine, mais réparée par un crack. Elle m’a souri. On a engagé la conversation. Moi, c’est pas que je cause couramment l’english, mais avec les dames j’en sais assez pour me faire comprendre.

« Brèfle, je te me la suis embarquée en quarante minutes de baratin : mon record ! Je m’ai proposé de la raccompagner à son hôtel. Là, elle m’a payé le champagne, mon vieux : textuel ! et alors on a polissonné. Une affaire. Quand elle a commencé d’ôter son râtelier, ses lunettes, sa perruque, ses faux seins et ses bas à varices j’ai cru qu’il allait plus en rester. Mais il en est resté assez pour que je lui joue mon concerto en si bémol galvanisé ! »

— Bravo, ça te réussit, les enquêtes sur la Côte. Mais à propos de concerto, tu t’es occupé des musicos ?

— J’ai commencé, fait le Gros. J’ai déjà vu le batteur et le flûtiste et je leur ai fait le baratin convenu. Le batteur voulait me fout’ sur la gueule : dame, la batterie !

Il rigole très fort ; tellement fort qu’un locataire de l’hôtel se met à martyriser la cloison avec ses godasses.

— Et le flûtiste, Grosse Pomme ? Comment a-t-il réagi, lui ?

Le Mahousse hausse ses épaules de lutteur de foire sous son ignoble pyjama.

— Pff, mec, c’est le genre pâlichon. Il était sans nerfs. Il m’a dit qu’il ne comprenait rien à ce que je lui bonnissais et que si j’arrêtais pas mes charres il allait prévenir la Poule. J’ai tout de suite pigé qu’il était blanc comme neige…

La perspicacité de l’Enflure me fait ricaner.

— La neige, en effet, ça le connaissait… Il était tellement blanc, ton petit camarade, qu’il vient de se pendre.

Béru émet un de ces cris qui tiennent à la fois du barrissement de l’éléphant, du rugissement du lion et du curage d’une fosse d’aisances…

— Pendu ! récite le Gravos.

— Il a trouvé qu’il était plus décoratif que sa suspension…

— Alors tu crois qu’il s’est buté pour échapper à la justice ?

— Sinon à la justice, du moins au maître chanteur qu’il croyait voir en toi. Au fait, quel genre de baratin lui avais-tu balancé ?

Fatty se recueille. Il passe deux doigts par un accroc de sa jambe de pyjama, se fait craquer un bouton blanc qui lui décorait la brioche, examine le produit de l’éclatement et s’essuie les doigts dans ses cheveux…

— Je lui ai dit comme ça que j’en avais long à bonnir sur la mort de son collègue. Que j’avais surpris certaines choses… Et que s’il m’aboulait pas deux cents tickets aujourd’hui je crachais le morceau aux poulets…

— C’est tout ?

— Tu trouves que c’est pas suffisant ?

Je secoue la tête.

— Triste, Gros. Je m’attendais pas à une réaction de ce genre. Je pensais que le meurtrier de Gueulasse était un type plus endurci. Maintenant on est marron pour ce qui est de découvrir les mobiles…

Messire Béru au fier visage s’arrache un poil du nez et le jette sur le plancher où il tombe avec un bruit mat.

— Ecoute, San-A. Mon english m’a fiché sur les roulements, ça t’ennuierait de me laisser pioncer ? Le sommeil, c’est la santé ! Moi quand j’ai pas mon taf de ronflette, je suis juste bon à faire des mots écrasés.

— Alors, repose en paix, brave homme.

Je le quitte et gagne ma chambre.

Moi aussi, j’ai besoin de dormir.

CHAPITRE XI

QUI ME DONNE À RÉFLÉCHIR

Je me réveille dans une forme époustouflante le lendemain. Rien n’est plus agréable que de trouver le mahomet sur sa descente de lit en ouvrant les carreaux. Il est là, bien doré, pétillant, lové comme un matou d’or et prometteur de joies éternelles.

Je sonne la valetaille et réclame un confortable petit déjeuner, des cigarettes et le journal.

Je ne sais pas pourquoi je me sens du goût pour le farniente ce matin.

La femme de chambre s’annonce avec un plateau bien garni. C’est une nouvelle. Elle est petite, mais roulée comme une gitane, blonde, avec un sourire qui vous promet des choses.

Elle dépose le plateau sur mes genoux et va ouvrir les rideaux entièrement.

— Monsieur a bien dormi ? demande-t-elle comme si, de ma réponse, dépendait l’harmonie de sa journée.

— Une splendeur, réponds-je. Il me semble que j’ai rêvé de vous…

— Mais monsieur ne me connaît pas, je suis en service de ce matin.

— Simple prémonition, mon enfant ; vous vous appelez comment ?

— Thérèse, monsieur.