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— Vous avez trouvé celui-ci comment ?

— Par le bureau de placement des musiciens…

— Je vois, merci…

Poignée de phalangettes, sourires cordiaux… Je me taille.

Dehors, la nuit est enchanteresse. Des étoiles miroitent au-dessus des lampions. Le grondement de la mer sert de fond sonore à l’orchestre. Je constate que le flûtiste a remplacé Gueulasse au clavier. Ils sont cinq maintenant à musiquer tandis que la gentry se frotte le bide sur la piste.

Ces messieurs jouent « tes yeux ont des bras pour m’aimer », cette mélodie qui fit le succès de moitié altérée, la fameuse cantatrice de show.

CHAPITRE III

OÙ IL EST PROUVÉ QU’IL EXISTE UNE HEURE POUR LES BRAVES

Je récupère ma charrette dans le parking que surveille un vieillard cacochyme et je me dirige tout doucettement vers la résidence de ma belle Utéro. La nuit est propice aux amours et à la méditation. En attendant les unes, je me livre à l’autre.

Cette histoire d’empoisonnement m’empoisonne. Vous savez à quel point je suis sagace (salace aussi à mes heures, et la vôtre sera la mienne). Je me dis que la mort d’Amédée Gueulasse est un mystère. Le gars avait quelque chose d’important à me dire ; et parce qu’il en savait trop on l’a liquidé… Est-ce Alonzo Gogueno le coupable ? Je sens que l’avenir nous l’apprendra, car jamais mystère, aussi mystérieux fût-il, ne le demeurera longtemps pour San-Antonio.

En attendant, je vais m’offrir une partie de régalade en compagnie de Julia. Cette petite me porte à l’épiderme. Je connais l’hôtel Bel-Azur pour être passé souventes fois devant. C’est un établissement sélect, à un étage, de style provençal, qui s’élève dans un jardin où foisonnent lauriers-roses, orangers et pins parasols… Il comporte un vaste patio avec pièce d’eau et une tonnelle fleurie qui embaume. Je gare ma tire à quelques encablures et contourne le bâtiment, comme indiqué par la môme.

La porte de service est ouverte. Je m’insinère à l’intérieur des locaux. M’est avis que cette porte de service est surtout au service des clients clandestins. Une veilleuse veille dans le couloir, diffusant une lumière laiteuse qui vous colle sommeil. Je m’engage dans l’escalier, ce qui me permet d’accéder au premier étage et, ce faisant, à la plus complète félicité.

Un rai de lumière filtre sous une porte. Je m’assure du numéro : c’est bien le 4. Je grattouille le panneau pour m’annoncer et ma conquête (la plus noble que puisse faire un homme, après le cheval) entrouvre l’huis.

En m’attendant, elle n’a pas perdu son temps ! Elle a troqué sa robe de dentelle contre un déshabillé transparent, dans les tons fumés, qui fait grimper ma température à tout berzingue.

— Comment ça s’est terminé ? s’informe-t-elle en donnant un tour de clé à la porte.

— Ça ne s’est pas terminé, l’enquête se poursuit.

— C’est vous qui vous en chargez ?

— Grand Dieu, non ! Je suis en vacances ! Et si vous le voulez bien, adorable Julia, dorénavant et à partir d’immédiatement nous allons parler d’autre chose…

Comme pour me donner raison, le clocher le plus proche égrène trois coups dans la nuit méditerranéenne. Juan-les-Pins commence à se calmer. La foule se disperse, les boîtes se vident… Les lumières s’éteignent.

J’avance un bras préhensible vers la taille de ma belle hôtesse. Elle se laisse cueillir sans résistance. Je l’oriente en direction d’un pucier carrossé par Lévitan, avec amortisseurs télescopiques et freins à tambour. D’ordinaire, les nanas rechignent dans ces circonstances, pour la forme. Elles croient que leur honneur serait bon à mettre à la poubelle si elles ne protestaient pas. Aussi sais-je gré à Julia de me dispenser des « Que dirait maman ? », en usage dans le monde civilisé.

Je projette de débuter la séance par le coup du tampon encreur et la couronne impériale lorsqu’une sonnerie menue se fait entendre.

Julia me refoule et se met sur son séant.

— Le téléphone ! dit-elle, un peu abasourdie sur les bords.

— A ces heures ! m’exclamé-je, car j’ai de la conversation et l’esprit d’à-propos.

Elle opte pour la solution qui s’impose, à savoir qu’elle décroche et susurre « Allô ! » dans la passoire d’ébonite.

Son visage se transforme comme un décor des Folies-Bergère. Elle pâlit, dit trois fois « oui » et raccroche tellement vite que le combiné pend sur sa fourche comme un mégot sur l’oreille d’un livreur.

— Vite ! Vite ! glapit-elle.

Elle est bouleversée et regarde autour d’elle avec affolement, comme un naufragé dérivant sur une banquise jusqu’à l’Equateur.

— Il y a le feu ?

— Il arrive ! Il monte ! croasse ma pin-up. Qui ?

— Nikos !

Vous parlez d’un manque de bol, les gars ! C’est bien ma veine. Au moment où j’allais pousser la porte du septième ciel, voilà Vasco de Gama (le bêta) qui radine ! En pleine noye ! Et son cœur, alors !

Je cavale jusqu’à la porte, mais elle me cramponne par le bras.

— C’est trop tard, souffle-t-elle ; il est déjà dans l’escalier et te verrait sortir d’ici.

— Alors, quoi ?

Je m’approche de la fenêtre. Elle est située juste au-dessus de l’entrée principale. Si je sautais, je risquerais d’atterrir dans les bras du chauffeur de Bitakis…

— Sous le lit ! dit Julia.

A cet instant on toque à la porte.

La planque est classique, ridicule et vaudevillesque, mais je n’ai pas d’autre solution. Me voilà à plat ventre ! Je rampe sous le pageot, ce qui me permet de constater que le ménage n’est pas fait en profondeur dans cet hôtel apparemment sélect.

— Voilà ! fait Julia en délourdant.

Je retiens mon souffle en me traitant in petto de pauvre cloche. Ah ! il est bath, San-A., sous un pageot d’hôtel ! Si mes potes me voyaient, ils se taperaient sur les cuisses, je vous le garantis !

Bitakis vient d’entrer. Je ne vois de lui que ses nougats d’armateur. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il n’a pas les pieds marins, le Grec.

— Mon gros lapin chéri, gazouille Julia, comment se fait-il que…

Son gros lapin chéri ! Je vous demande un peu. Ça me fout en rogne quand j’entends des trucs pareils ! Son gros lapin, un vieux ramolli qui couperait l’appétit à un chacal affamé ! Faut-il que les hommes soient noix pour mordre à des vannes pareilles ! Plus ils sont vioques et tartes, plus ils sont crédules. Ils se figurent que les belles gosses roulées façon déesse sont dingues de leurs rides, de leurs varices et de leur bandage herniaire !

Ils croient, ces pauvres tordus, qu’un râtelier à changement de vitesse c’est le fin du fin dans l’art de la séduction, que les bergères n’y résistent pas. D’après eux, quelques plaques de psoriasis ajoutent même à leur côté ensorceleur. Vous ne croyez pas qu’il y a de quoi se faire tatouer les nouveaux tarifs postaux autour du nombril quand on voit des trucs pareils ? Dans le fond, c’est réconfortant. Ça aide à vieillir. C’est quand on est jeune et beau qu’on doute. Lorsqu’on est décrépit, tout s’arrange, on vit dans une heureuse certitude.

Le dabuche s’effondre sur le paddock et le sommier vient à ma rencontre.

— Mon pauvre amour, sanglote-t-il, je suis effondré…

— Parle, chéri !

— Ma fille n’a pas reparu à la maison…

— Mon Dieu !

— J’espérais qu’elle donnerait signe de vie. Rien ! Rien…

Julia lui roule un patin, ce qui est téméraire, car si le dentier du Grec se bloque, elle ne pourra plus jamais s’acheter de cornet de glace.