Paul se dressa sur la pointe des pieds pour détendre ses muscles. Il comprenait soudain que son existence était maintenant soumise à de brusques changements et cela le rendait grave. Il marcha jusqu’au mannequin, pressa le contact du bout de sa rapière et, immédiatement, il sentit l’effet de répulsion du bouclier sur son arme.
« En garde ! » lança Halleck, et le mannequin attaqua.
Paul activa son bouclier, para le premier coup et contre-attaqua.
Halleck le surveillait tandis qu’il manipulait les contrôles. Son esprit était divisé en deux parties égales : l’une était pleinement attentive à l’exercice alors que l’autre dérivait librement.
Je suis l’arbre fruitier bien soigné, disait cette partie libre. Je suis chargé de sentiments bien formés et de capacités. Et, comme des fruits, on peut cueillir sur moi, chacun de ces sentiments, chacune de ces capacités.
Et, pour quelque raison, il se souvint de sa jeune sœur. Son jeune visage était parfaitement clair dans son esprit. Elle était morte. Dans une maison de plaisir pour soldats Harkonnens. Elle aimait les pensées… A moins que ce ne fût les marguerites… Il ne parvenait pas à se rappeler. Et cela le troublait.
Paul contra une attaque lente du mannequin et, de la main gauche, porta un entretisser.
Petit démon rusé ! songea Halleck en observant avec attention les passes complexes de Paul. Il a étudié et s’est entraîné de son côté. Ca n’est pas là le style de Duncan et je ne lui ai certainement rien appris de semblable !
Cette pensée ne fit qu’ajouter à sa tristesse. Moi non plus, je n’ai plus le cœur à rien, se dit-il. Ses pensées revinrent à Paul et il se demanda soudain si, certaines nuits, le garçon ne guettait pas avec angoisse les bruits de son oreiller.
« Si les vœux étaient des poissons, murmura-t-il, nous lancerions tous des filets. »
C’était une expression de sa mère qu’il se répétait lorsqu’il sentait sur lui la noirceur des lendemains. En cet instant, il se prit à songer qu’elle était bien étrange à propos d’une planète qui jamais n’avait connu la moindre mer ni le moindre poisson.
YUEH, Wellington, surtout connu pour avoir trahi le duc Leto Atréides
Bien qu’il eût entendu le docteur Yueh pénétrer dans la salle et noté la lenteur calculée de sa démarche, Paul ne fit pas un mouvement et demeura étendu la visage contre la table, dans la position où l’avait laissé la masseuse. Il se sentait délicieusement épuisé après ce combat contre Gurney Halleck.
« Vous semblez en bonne forme », dit Yueh de sa voix tranquille et aigüe.
Paul leva enfin la tête. La raide silhouette du docteur n’était qu’à quelques pas de la table. Habit noir plissé, tête massive, carrée, aux lèvres rouges, à la moustache tombante, tatouage en diamant du Conditionnement Impérial sur le front. La longue chevelure noire retombait sur l’épaule gauche, prise dans l’anneau d’argent de l’Ecole Suk.
« Sans doute serez-vous heureux d’apprendre qu’il ne nous reste plus assez de temps pour nos leçons, aujourd’hui, dit Yueh, votre père arrive. »
Paul s’assit.
« Cependant, reprit le docteur, je me suis arrangé pour que vous disposiez d’une visionneuse et de plusieurs leçons enregistrées durant le voyage vers Arrakis. »
« Oh ! »
Paul commença à se rhabiller. Il se sentait soudain très excité à l’idée de la visite de son père. Ils avaient passé si peu de temps ensemble depuis qu’était arrivé l’ordre de l’Empereur de reprendre le fief d’Arrakis.
Yueh s’approcha de la table tout en songeant : Comme il a mûri ces derniers mois ! Quel gâchis ! Quel triste gâchis ! Puis il se souvint : Je ne dois pas faillir. Ce que je fais, je le fais afin d’être sûr que ma Wanna n’aura plus à souffrir des monstres d’Harkonnen.
Paul le rejoignit près de la table, tout en boutonnant son pourpoint. « Qu’aurais-je à étudier pendant le voyage ? »
« Ahhh… les formes de vie terranoïdes d’Arrakis. Il semble que certaines se soient adaptées à la planète. Comment, on ne le sait pas encore clairement. Lorsque nous serons arrivés, il faudra que je contacte le Dr Kynes, l’écologiste plan étaire, afin de l’aider dans ses recherches.
Que suis-je en train de dire ? pensa Yueh. Je suis hypocrite avec moi-même,à présent.
« Aurais-je quelque chose à apprendre sur les Fremens ? » demanda Paul.
« Les Fremens ? » Yueh se mit à tambouriner des doigts sur la table puis, devant le regard de Paul, retira sa main.
« Peut-être pouvez-vous me parler de toute la population d’Arrakis ? » dit Paul.
« Oui, bien sûr. Il y a deux groups principaux. Les Fremens forment le peuple. Quand au second, il est constitué du peuple des creux et des sillons. Mais, l’on m’a dit que les mariages étaient possibles entre les deux. Les femmes du peuple des creux préfèrent les maris Fremens alors que les hommes recherchent des épouses Fremens. Ils ont un adage : Le vernis vient des cités, la sagesse du désert. »
« Avez-vous des photos ? »
« Je vais voir ce que je peux vous trouver. Les yeux sont leur trait caractéristique le plus intéressant. Ils sont bleus, complètement bleus, sans le moindre blanc. »
« Une mutation ? »
« Non. Cela tient au Mélange, dont leur sang est saturé. »
« Les Fremens doivent être braves pour vivre à la limite du désert. »
« Chacun le dit. Ils composent des poèmes pour leurs couteaux. Et leurs femmes sont aussi redoutables que leurs hommes. Même leurs enfants sont dangereux, violents. Je pense que l’on ne vous autorisera pas à vous mêler à eux. »
Le regard de Paul se fixa sur Yueh. Ces quelques mots sur les Fremens avaient totalement captivé son attention. Quels alliés ne feraient-ils pas ! songeait-il.
« Et les vers ? »
« Quoi ? »
« J’aimerais en connaître plus à propos des vers de sable. »
« Ah, mais bien sûr. J’ai justement une bobine sur un petit spécimen. Il ne dépassait guère les cent dix mètres de long. Elle a été faite dans le nord d’Arrakis. Mais, selon certains témoins dignes de foi, il existerait des vers de sable dépassant quatre cents mètres. On peut même penser qu’ily en a de plus grands encore sur la planète. »
Le regard de Paul se posa sur une carte des régions septentrionales d’Arrakis, déployée sur la table. « La ceinture désertique et les régions avoisinant le pôle boréal sont qualifiées d’inhabitables. Est-ce à cause des vers ? »
« Et à cause des tempêtes. »
« Mais je croyais que l’on pouvait rendre n’importe quel territoire habitable ? »
« Oui, si toutefois cela est possible économiquement. Et les périls d’Arra sont nombreux et coûteux. (Yueh lissa sa moustache tombante et reprit : ) Votre père sera bientôt là. Avant de vous quitter, je dois vous donner un présent que j’ai là, quelque chose que j’ai trouvé en faisant mes bagages. » Et il posa devant Paul un objet noir, rectangulaire, guère plus large que l’extrémité de pour de Paul.
Paul le regarda sans esquisser un geste. Et Yueh pensa : Comme il est méfiant !