Il existait une plante locale à racine, très rare, qui poussait dans la zone tempérée nord au-dessus de 2 500 mètres. Sa racine tubéreuse de deux mètres contenait près d’un demi-litre d’eau. Il y avait aussi les plantes désertiques terraformées dont certaines, dans les dépressions où l’on avait installé des précipitateurs de rosée, croissaient mieux que les autres.
C’est alors que Kynes découvrit la cuvette de sel.
Il se rendait d’une station à une autre en orni quand une tempête l’obligea à dévier de son cap. C’est ainsi qu’il découvrit la grande cuvette de sel, une immense dépression ovale de quelque trois cents kilomètres de long qui brillait d’un éclat aveuglant en plein désert.
Kynes atterrit, toucha la surface lisse et blanche et porta son doigt à ses lèvres.
Du sel.
Maintenant, il avait une certitude.
Autrefois, il y avait eu de l’eau sur Arrakis. Il repensa alors à ces puits asséchés où un filet d’eau était apparu, une fois, pour s’évanouir ensuite et ne plus revenir.
Kynes mit au travail sur la question ses limnologistes fremen nouvellement formés. Leur indice principal : des traces d’une matière semblable à du cuir que l’on retrouvait dans la masse d’épice après son explosion. Dans les contes folkloriques fremen, on attribuait cela à une mythique « truite des sables ». Les faits, en s’accumulant, dessinaient le portrait d’une créature qui pouvait effectivement être à l’origine de cette matière pareille à du cuir, une créature qui « nageait » dans le sable et qui isolait l’eau dans des poches fertiles, à l’intérieur de la couche poreuse inférieure, en dessous de la limite des 280° (absolus).
Dans chaque explosion de masse d’épice, ces « voleurs d’eau » mouraient par millions. Une variation de température de cinq degrés pouvait les tuer. Les quelques survivants entraient alors dans une phase de cysohibernation dont ils émergeaient six ans après sous la forme de petits vers de sable, longs d’environ trois mètres. Seuls quelques-uns réussissaient alors à échapper à leurs grands frères et aux poches d’eau de l’épice en gestation pour devenir avec le temps de gigantesques shai-hulud. (L’eau est un poison pour le shai-hulud. Les Fremen l’avaient appris depuis longtemps en noyant le « petit ver » de l’Erg Mineur pour produire le narcotique appelé Eau-de-Vie qui accroissait leur perception. Le « petit ver » de l’Erg Mineur est une variété primitive de shai-hulud qui ne dépasse jamais neuf mètres de long.).
A présent, ils avaient tout le cycle : du Petit Faiseur à la masse d’épice en gestation ; du petit faiseur au shai-hulud ; le shai-hulud dispersant l’épice qui nourrissait les microscopiques créatures appelées « plancton des sables » ; le plancton des sables, nourriture du shai-hulud, croissant et s’enfouissant pour devenir petit faiseur.
Se détournant alors des rapports, Kynes et les siens se concentrèrent sur la micro-écologie. Et tout d’abord sur le climat. La surface de sable atteignait souvent des températures de 344 à 350° absolus. A moins de cinquante centimètres de profondeur, la température s’abaissait de 55°. A cinquante centimètres au-dessus du sol, elle s’abaissait également de 25°. Des feuilles de matériau noir pouvaient permettre de gagner encore 18°. Les agents de nutrition, ensuite. Le sable d’Arrakis est en grande partie le produit de la digestion du ver. La poussière (le problème omniprésent) est produite, elle, par le balayage constant de la surface, le mouvement de « saltation » du sable. Les grains les plus grossiers se trouvent sur le versant opposé au vent, dans les dunes. Ceux qui se trouvent face au vent sont plus lisses et plus durs. Les plus vieilles dunes sont jaunes à cause de l’oxydation alors que les plus jeunes ont encore la coloration grise de la roche originelle.
Les versants opposés au vent des plus vieilles dunes constituèrent la première zone de plantation. Les Fremen commencèrent avec une herbe pour terrains pauvres qui comportait des fibrilles entrelacées pareilles à celles de la tourbe. L’objectif était de tasser et de fixer les dunes en privant le vent de son arme principale : les grains mobiles.
Des zones d’acclimatation furent développées loin des observateurs harkonnens dans le sud. Les herbes mutantes furent tout d’abord plantées sur les dunes situées sur le parcours des vents d’ouest dominants. Une fois que le versant opposé au vent était ancré, celui qui était offert au vent devenait de plus en plus haut et l’herbe était déplacée pour permettre l’édification de sifs géants (de longues dunes à la crête sinueuse) dont la hauteur dépassait parfois 1500 mètres.
Lorsque les dunes-barrières avaient atteint une altitude suffisante, le versant au vent recevait de nouvelles herbes, plus coriaces. Chaque structure était ainsi fixée sur une base ancrée.
On passa ensuite aux plantes à racines plus longues. Les éphémères d’abord (chénopodes, ansérine, amaranthe), puis genêt d’Écosse, lupin, eucalyptus (de la variété adaptée aux territoires nordiques de Caladan), tamaris nain, pin méditerranéen. Ensuite, les véritables plantes désertiques : castus candélabres, saguaro, cactus-tonneau. Et enfin, quand leur croissance était possible : la sauge, l’herbe de Gobi, l’avoine à froment, l’alfalfa sauvage, la verveine des sables, l’onagre, l’encens, le créosote, le fustet.
Puis ils introduisirent la vie animale nécessaire à l’aération du sol, des espèces fouisseuses : renard, rat-kangourou, lièvre du désert, terrapène… et des prédateurs pour l’équilibre : faucon du désert, hibou nain, aigle et chouette du désert. Des insectes, aussi, pour habiter les petits creux : scorpion, mille-pattes, araignée piégeuse, guêpe, mouche… et la chauve-souris du désert pour les surveiller.
L’épreuve cruciale, enfin : les dattiers, les cotonniers, les melons, le café, les plantes médicinales… Plus de deux cents variétés qui devaient être essayées, adaptées.
« Ce que ne comprend pas celui qui ignore tout de l’écologie, c’est qu’il s’agit d’un système », disait Kynes. « Un système ! Un système qui maintient une certaine stabilité qui peut être rompue par une seule erreur. Un système qui obéit à un ordre, à un processus d’écoulement d’un point à un autre. Si quelque chose vient à interrompre cet écoulement, l’ordre est rompu. Et celui qui ignore l’écologie peut ne pas intervenir avant qu’il soit trop tard. C’est pour cela que la plus haute fonction de l’écologie est la compréhension des conséquences. »
Avaient-ils construit un système ?
Ils attendirent, observèrent. Les Fremen, maintenant, comprenaient pourquoi Kynes avait prévu cinq cents ans de patience.
Un premier rapport arriva des palmeraies :
A la limite du désert, le plancton des sables est empoisonné par l’interaction avec les nouvelles formes de vie. Raison : incompatibilité des protéines. Il se formait là de l’eau empoisonnée que la vie d’Arrakis ne pouvait approcher. Une zone désolée se formait donc autour des plantations et Shai-hulud lui-même ne pourrait la franchir.
Kynes se rendit lui-même jusqu’aux palmeraies. C’était un voyage de vingt marteleurs (en palanquin, comme un malade ou une Révérende Mère, car jamais Kynes n’avait chevauché un faiseur). Il explora la zone désolée (et puante) et en revint avec une prime, un cadeau d’Arrakis.
L’addition de soufre et d’azote pouvait convertir la zone en un terrain particulièrement favorable à la vie terraformée. Les plantations pouvaient être étendues à volonté !