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La Bible C.O. fut dénoncée comme une œuvre produite par « le nombril de la raison ». On déclara que ses pages étaient imprégnées d’un intérêt pour la logique très racoleur et des révisions commencèrent d’apparaître, qui avaient leur origine dans la bigoterie populaire. Elles s’appuyaient surtout sur les symboles acceptés depuis longtemps (la Croix, le Croissant, la Plume, les Douze Saints, le Bouddha d’ascèse…) et il devint vite évident que les superstitions anciennes n’avaient pas du tout été absorbées par le nouvel œcuménisme.

Halloway avait qualifié les sept années de travail de la C.I.O.E. de « galacto-phase déterministe ». Pour des milliards de personnes, les initiales G.D. prirent le sens de « gare à Dieu ! ».

Le Président de la C.I.O.E., Toure Bomoko, Ulema des Zensunnis qui faisait partie des quatorze délégués qui ne s’étaient encore jamais désavoués (« Les Quatorze Sages », selon la tradition populaire) admit finalement que la C.I.O.E. avait été une erreur. « Nous n’aurions pas dû essayer de créer de nouveaux symboles, dit-il. Nous aurions dû comprendre que notre rôle n’était pas d’introduire des incertitudes dans la croyance acceptée, d’éveiller la curiosité à l’égard de Dieu. Chaque jour nous sommes témoins de la terrifiante instabilité des choses humaines, et pourtant nous laissons nos religions devenir de plus en plus rigides et contrôlées, de plus en plus conformistes et oppressantes. Quelle est cette ombre sur le chemin du Commandement Divin ? C’est l’avertissement que portent les institutions puis les symboles quand le sens des institutions s’est perdu, un avertissement qui dit que la Somme de toutes les connaissances n’existe pas. »

Le double sens amer de cet « aveu » n’échappa point aux adversaires de Bomoko et, peu après, il fut obligé de fuir en exil, ne devant la vie sauve qu’au serment de silence de la Guilde. On dit plus tard qu’il avait trouvé la mort sur Tupile, honoré et adoré, et que ses dernières paroles avaient été : « La religion doit demeurer un moyen qui permette aux gens de se dire : Je ne suis pas tel que je voudrais être. En aucun cas, elle ne doit conduire à l’union des auto-satisfactions. »

On se plaît à penser que Bomoko comprenait le sens prophétique des mots : « Que portent les institutions. » Quatre-vingt-dix générations plus tard, la Bible C.O. et les Commentaires s’étaient répandus dans tout l’univers religieux.

Lorsque Paul-Muad’Dib posa la main droite sur le mausolée de pierre abritant le crâne de son père (la main droite de celui qui est béni et non la main gauche du damné) les paroles qu’il prononça provenaient directement du « Legs de Bomoko » :

« Vous qui nous avez défaits, dites-vous que Babylone fut abattue et ses œuvres dispersées. Pourtant, je vous le dis : l’homme est encore en jugement, chaque homme est une petite guerre. »

Les Fremen disaient de Muad’Dib qu’il était pareil à Abu Zide dont la frégate défiait la Guilde et pouvait aller là-bas puis revenir. Là-bas, dans la mythologie fremen, est le pays de l’esprit-ruh, l’alam al-mithal où toute limitation disparaît.

On voit évidemment le rapport avec le Kwisatz Haderach. Le Kwisatz Haderach qui était l’aboutissement du programme de sélection de la Communauté Bene Gesserit représentait « le court chemin » ou « celui qui peut être en deux endroits simultanément ».

Mais ces deux interprétations sont directement issues des Commentaires : « Quand la loi et le devoir religieux ne font qu’un, le moi enferme l’univers. »

De lui-même, Muad’Dib disait : « Je suis un filet dans la mer du temps, entre le passé et l’avenir. Je suis une membrane mobile à laquelle aucune possibilité ne peut échapper. » Ces pensées n’expriment qu’une seule et même chose que l’on retrouve dans le kalima 22 de la Bible C.O. qui dit : « Qu’une pensée soit ou non exprimée, elle demeure une chose réelle et elle en a les pouvoirs. »

Mais ce sont les propres commentaires de Muad’Dib, dans « Les Piliers de l’Univers » tels qu’ils furent interprétés par ses fidèles du Qizara Tafwid qui révèlent ses dettes à l’endroit de la C.I.O.E. et des Fremen-Zensunni.

Muad’Dib : « La loi et le devoir ne font qu’un ; qu’il en soit donc ainsi. Mais souvenez-vous de ces limitationsCar vous n’êtes jamais pleinement conscients. Car vous demeurez immergés dans le tau commun. Car vous êtes toujours moins qu’un individu. »

Bible C.O. : Formulation identique (Révélations 61.)

Muad’Dib : « La religion participe souvent du mythe du progrès qui nous protège des terreurs de l’avenir incertain. »

Commentaires de la C.I.O.E. : Formulation identique. (Le Livre d’Azhar attribue cette sentence à l’écrivain du 1er siècle, Neshou.)

Muad’Dib : « Si un enfant, une personne non éduquée, ignorante ou folle provoque des troubles, la faute en incombe à l’autorité qui n’a pas su prévoir et prévenir ces troubles. »

Bible C.O. : « Tout péché peut être expliqué, au moins en partie, par une mauvaise tendance naturelle qui est une circonstance atténuante acceptable par Dieu. » (Le Livre d’Azhar fait remonter l’origine de cette sentence à l’ancienne Taurah.)

Muad’Dib : « Tends ta main et prends ce que Dieu te donne ; et quand tu seras rassasié, remercie le Seigneur. »

Bible C.O. : Paraphrase de sens identique. (Attribuée sous une forme légèrement différente au Premier Islam par le Livre d’Azhar.)

Muad’Dib : « La tendresse est le début de la cruauté. »

Kitab al-Ibar des Fremen : « Le poids d’un Dieu de douceur est effrayant. Dieu ne nous a-t-il pas donné le soleil brûlant ? (Al-Lat) Dieu ne nous a-t-il pas donné les Mères d’Humidité ? (les Révérendes Mères) Dieu ne nous a-t-il pas donné Shaitan ? (Satan, Iblis) Et, de Shaitan, n’avons-nous point reçu la souffrance de la vitesse ? »

(Ceci est à l’origine de la maxime fremen : « De Shaitan vient la vitesse. » En effet : Pour chaque centaine de calories produites par l’exercice [la vitesse] le corps dégage six onces de sueur. Le mot fremen pour la sueur est bakka, assimilé à larmes, et se définit par : « L’essence de vie que Shaitan extrait de votre âme. »)

L’arrivée de Muad’Dib est qualifiée de « religieusement opportune » par Koneywell. Comme Muad’Dib le dit lui-même : « Je suis ici ; donc…»

Cependant, pour comprendre l’impact religieux de Muad’Dib, il est absolument nécessaire de ne jamais perdre de vue un fait : les Fremen étaient un peuple qui habitait le désert et qui, depuis longtemps, s’était habitué à un site hostile. Le mysticisme apparaît facilement lorsque chaque seconde de vie est gagnée en luttant. « Vous êtes là ; donc…»

Avec une telle tradition, la souffrance est acceptée, peut-être comme un châtiment inconscient, mais acceptée tout de même. Et il faut noter que les rites fremen libèrent presque complètement des sentiments de culpabilité. Ce n’était pas seulement parce que la loi et la religion ne faisaient qu’un, confondant désobéissance et péché. Il serait plus vrai de dire que les Fremen se purifiaient eux-mêmes de toute culpabilité parce que leur existence quotidienne nécessitait des jugements brutaux, voire radicaux qui, dans un milieu plus favorable, auraient chargé ceux qui les appliquaient d’un sentiment de culpabilité intolérable.