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« Je connais bien des choses. Je sais que tu as donné le jour à des enfants, que tu as perdu ceux que tu aimais, que tu t’es caché dans la crainte,que tu as pratiqué la violence et que tu la pratiqueras encore. Je connais bien des choses. »

A voix basse, Mapes répondit : « Je ne voulais pas vous offenser, Ma Dame. »

« Tu parles de la légende et tu cherches des réponses. Prends garde à celles que tu pourrais trouver. Je sais que tu es venue dans un but de violence avec une arme dans ton corsage. »

« Ma Dame, je… »

« Il existe une faible chance pour que tu parviennes à répandre mon sang, mais ce faisant tu amènerais plus de malheur que tu n’en peux concevoir dans tes plus folles craintes. Il est des choses pires que la mort, sais-tu. Même pour un peuple tout entier. »

« Ma Dame ! s’exclama Mapes qui semblait près de s’agenouiller. Cette arme était un présent pour vous si vous vous révéliez être Elle. »

« Et l’instrument de ma mort si je ne l’étais pas », acheva Jessica. Et elle attendit dans le calme apparent qui faisait des Bene Gesserit de terrifiants adversaires dans le combat. Et elle pensa : Maintenant, nous pouvons voir de quel côté penche la décision.

Lentement, Mapes porta la main à son col et en sortit un sombre fourreau. Une roire poignée en émergeait, gravée de creux profonds pour la prise. D’une main, Mapes prit le fourreau et, de l’autre, elle brandit une lame d’une blancheur laiteuse qui semblait briller d’une lueur propre. Elle était à double tranchant, comme un kindjal, longue d’environ vingt centimètres.

« Connaissez-vous cela, Ma Dame ? »

Ce ne pouvait être qu’une chose, pour Jessica. Le fabuleux krys d’Arrakis que nul n’avait jamais vu en dehors de ce londe et que l’on ne connaissait guère que par de vagues rumeurs.

« Un krys », dit-elle.

« Ne prononcez pas ce nom avec légèreté. En connaissez-vous le sens ? »

Cette question, songea Jessica, c’est la raison même de la présence de cette femme fremen auprès de moi. Elle devait me la poser et ma réponse peut précipiter la violence ou… ou quoi ? Elle veut une réponse. Elle l’attend de moi. Ce que signifie ce couteau. On la nomme la Shadout en langage chakobsa. En chakobsa, le couteau est le « faiseur de mort ». Elle s’impatiente. Il me faut répondre maintenant. Tout retard serait aussi dangereux qu’une réponse fausse.

« C’est un faiseur… », dit-elle.

« Aiiii ! » cria la Fremen et c’était comme si elle exprimait autant de chagrin que de soulagement. Elle tremblait si violemment que la lame du couteau projetait des reflets par toute la salle.

Jessica attendait, immobile. Elle avait été sur le point de dire que le couteau était un faiseur de mort et d’ajouter ensuite l’ancien mot, mais maintenant tous ses sens l’avertissaient, aiguisés par un entraînement qui révélait la signification du moindre frémissement musculaire.

Le mot clé était… Faiseur.

Faiseur ? Faiseur.

Pourtant, Mapes brandissait toujours la couteau comme si elle s’apprêtait à s’en servir.

« Crois-tu donc, dit Jessica, que connaissant les mystères de la Grande Mère, je pourrais ignorer le Faiseur ? »

Mapes abaissa le couteau. « Ma Dame, lorsque l’on a vécu pendant si longtemps avec la prophétie, l’instant de la révélation crée un choc. »

La prophétie… Le Shari-a et toute la panoplia propheticus. Une Bene Gesserit de la Missionaria Protectiva envoyée sur ce monde combien de siècles auparavant, morte depuis longtemps, sans aucun doute, mais ayant atteint son but : les légendes protectrices étaient maintenant fermement implantées dans ce peuple dans l’attente du jour où une Bene Gesserit en aurait besoin.

Et ce jour était venu.

Mapes remit le couteau dans son étui et dit : « Cette lame n’est pas fixée, Ma Dame. Gardez-la sur vous. Si elle venait à être éloignée de la chair pendant plus d’une semaine, elle commencerait à se désintégrer. Elle est à vous, aussi longtemps que vous vivrez. C’est une dent de shai-hulud. »

Jessica tendit la main droite et déclara, prenant un risque : « Mapes, tu as remis cette lame dans son étui sans qu’elle fût marquée par le sang. »

Avec une exclamation étouffée, Mapes ressortit le couteau, le posa dans la main de Jessica et déchira son corsage brun en implorant : « Prenez l’eau de ma vie ! »

Jessica brandit la lame (comme elle scintillait !) et la pointa vers la femme. Et elle put lire dans ses yeux quelque chose de plus fort que la peur de la mort. Du poison au bout de la lame ? D’un geste rapide, elle traça une infime égratignure dans le sein gauche de Mapes. Un filet de sang apparut puis, très vote, se tarit. Coagulation ultra-rapide, se dit Jessica. Une mutation pour la préservation de l’humidité ?

Elle remit le couteau dans son étui. « Boutonne-toi, Mapes. »

La Fremen obéit en tremblant. Ses yeux entièrement bleus se fixèrent sur Jessica. « Vous êtes des nôtres, murmura-t-elle. Vous êtes Elle. »

A nouveau s’éleva le bruit d’un nouveau déchargement de colis sur le seuil. D’un geste rapide, Mapes s’empara de l’arme dans son étui et la glissa dans le corsage de Jessica. « Celui qui voit cette lame, dit-elle, doit être purifié ou tué ! Vous savez cela, Ma Dame, n’est-ce pas ? »

Maintenant, je le sais, songea Jessica.

Les manœuvres, au dehors, s’éloignèrent.

Mapes reprit son calme et déclara : « Mais celui qui n’est point purifié et qui a vu le couteau ne peut quitter vivant Arrakis. N’oubliez jamais cela, Ma Dame. Vous avez le krys, désormais. (Elle prit une profonde aspiration.) A présent, cela doit suivre son cours. On ne peut rien hâter. Et (son regard courut sur les colis empilés autour d’elle) il y a en cet instant beaucoup de travail pour nous. »

Jessica hésita. Cela doit suivre son cours. Une phrase typique qui provenait des incantations de la Missionaria Protectiva. La venue de la Révérende Mère qui vous libérera… Mais je ne suis pas une Révérende Mère, pensa Jessica. Puis la révélation lui vint : Grande Mère ! Ce monde doit être atroce pour qu’ils aient implanté CA !

« Que voulez-vous que je fasse tout d’abord, Ma Dame ? » Le ton de Mapes était placide. Et son instinct avertit Jessica de calquer son attitude sur celle de la servante. « Ce portrait du Vieux Duc, là, dit-elle. Il faudrait l’accrocher dans la salle à manger. Et la tête de taureau est à placer sur la paroi opposée. »

Mapes s’approcha du trophée. « Ce devait être grand animal pour avoir une pareille tête, dit-elle. (Elle se pencha et ajouta) : Il faut que je la nettoie, d’abord, Ma Dame ? »

« Non. »

« Mais la saleté s’est agglomérée sur les cornes. »

« Ce n’est pas de la saleté, Mapes. C’est le sang du père de notre Duc. Ces cornes ont été enduites d’un fixatif transparent quelques heures à peine après que cette bête eut tué le Vieux Duc. »

La Fremen se redressa, « Quoi ? »

« Ce n’est que du sang, Mapes. Et du sang ancien. Aide-moi à accrocher tout cela. Ces satanés objets sont lourds. »

« Croyez-vous que le sang m’effraie ? demanda Mapes. Je suis du désert et j’en ai déjà vu beaucoup. »

« Je… le pense », dit Jessica.

« Et parfois ce sang était le mien. Plus de sang que n’en a répandu votre petite égratignure. »