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« Vous ignoriez que ma femme, ma Wanna… », dit-il. Puis il haussa les épaules. Sa gorge s’était serrée, tout à coup. Il tenta de reprendre : « Je… » Mais les mots ne venaient pas. La panique l’envahit. Il ferma les yeux. Dans sa poitrine, il ressentit comme une douleur et même un peu plus jusqu’à ce qu’une main vînt toucher doucement son bras.

« Pardonnez-moi, dit Jessica. Je n’avais pas l’intention de rouvrir quelque blessure ancienne. » Et elle songea : Animaux qu’ils sont ! Sa femme était Bene Gesserit. Il en porte tous les signes. Et ik est évident que les Harkonnens l’ont tuée. Il n’est qu’une autre victime, attachée aux Atréides par la haine commune.

« Je suis navré, reprit Yueh. Je suis incapable d’en parler. » Il rouvrit les yeux, s’abandonnant à cette souffrance qu’il ressentait en lui. Et, en fait, ce n’était que la vérité.

Le regard de Jessica étudiait son visage, ses pommettes aigües, les reflets d’or sombre dans ses yeux amande, sa peau jaune et cette fine moustache qui pendait de part et d’autre des lèvres si rouges et du fin menton. Les rides qui marquaient les joues et le front, nota-t-elle, provenaient du chagrin aussi bien que de l’âge. Et elle ressentit une affection profonde pour cet homme.

« Wellington, je suis désolée que nous vous ayons amené en des lieux aussi dangereux », dit-elle.

« Je suis venu de mon plein gré », répondit-il. Et cela, également, n’était que vérité.

« Mais ce monde tout entier n’est qu’un piège des Harkonnens, vous devez savoir cela. »

« Il faudrait plus qu’un piège pour attraper le Duc Leto », dit encore Yueh. Et cela, encore, n’était que vérité.

« Peut-être devrais-je avoir plus de confiance en lui, dit Jessica. C’est un brillant tacticien. »

« nous avons été déracinés. C’est pour cela que nous ne sommes pas à notre aise. »

« Et combien il est facile de tuer une plante déracinée. Surtout lorsqu’on la replante en un sol hostile. »

« Sommes-nous certains que ce sol soit hostile ? »

« On s’est battu pour l’eau lorsque l’on a appris combien de gens la venue du duc leto ajouterai à la population, dit Jessica. Les combats n’ont cessé que lorsque les gens ont vu que nous installions de nouveaux condensateurs et pièges à vent afin d’absorber cette surcharge. »

« Il y a juste assez d’eau pour entretenir la vie humaine ici, dit Yueh. Les gens savent très bien que si de nouveaux éléments arrivent qui boiront une certaine quantité d’eau, les prix monteront et les pauvres périront. Mais le Duc a résolu cela. Ces troubles n’indiquent nullement une hostilité permanente à son égard. »

« Et les gardes, dit alors Jessica. Des gardes partout. Et des écrans. Ils troublent votre regard où que vous portiez vos yeux. Nous ne vivions pas ainsi sur Caladan. »

« Laissez une chance à cette planète », dit Yueh.

Mais l’éclat des yeux de Jessica était toujours aussi dur tandis qu’elle semblait regarder au-delà de la fenêtre. « Je sens la mort en ces lieux, dit-elle. Hawat a envoyé ici un bataillon de ses agents en avant-garde. Ces gardes, là-dehors, sont à lui. Et les hommes de manœuvres au débarquement également. Il y a eu récemment des prélèvements importants et inexpliqués dans le trésor. Ils ne peuvent signifier qu’une chose : la corruption aux échelons élevés. (Elle secoua la tête.) Là où va Hawat, la mort et la trahison le suivent. »

« Vous le noircissez. »

« Le noircir ? J’exalte ses mérites, plutôt. La mort et la trahison sont nos seuls espoirs désormais. Simplement, je ne me fais pas d’illusions sur ses méthodes. »

« Vous devriez… trouver quelque occupation. Ne pas vous accorder le moindre instant pour d’aussi morbides…

« M’occuper ! Mais qu’est-ce donc qui me prend la plus grande partie de mon temps, Wellington ? Je suis la secrétaire du Duc. Et je suis à tel point occupée que chaque jour j’apprends à redouter de nouvelles choses… des choses qu’il ne me soupçonne même pas de connaître. (Elle serra les lèvres et sa voix se fit ténue.) parfois, je me demande en quelle façon mon éducation Bene Gesserit s’intègre dans mon choix. »

« Que voulez-vous dire ? » Yueh était fasciné par le ton cynique de Jessica, par cette amertume que jamais encore elle ne lui avait révélée.

« Wellington, ne pensez-vous pas qu’une secrétaire attachée par l’amour soit infiniment plus sûre ?

« Cette pensée n’est pas juste, Jessica », dit-il.

Les mots étaient venus spontanément à ses lèvres. Nul ne pouvait avoir le moindre doute quant au sentiment que le Duc nourrissait à l’égard de sa concubine ; il suffisait de l’observer lorsqu’il la suivait des yeux.

Jessica soupira. « Vous avez raison Ce n’est pas juste. »

Et, à nouveau, elle referma les bras sur sa poitrine, sentit le contact du krys dans son étui contre sa chair et songea à l’œuvre inachevée qu’il représentait.

« Bientôt, dit-elle, le sang sera répandu. Les Harkonnens n’auront point de repos jusqu’à ce que mon Duc soit détruit ou qu’ils aient trouvé la mort. L e Baron ne saurait oublier que Leto est un cousin de la ignée royale _ peu importe à quelle distance_ alors que les titres des Harkonnens ne proviennent que de leurs intérêts dans la CHOM. Mais le véritable poison, celui qui est instillé profondément dans son esprit, c’est de savoir qu’un Atréide fit bannir un Harkonnen pour couardise après la Bataille de Corrin. »

« La vieille canaille », murmura Yueh. Et, durant un instant, il sentit l’aiguillon acide de la haine. Le vieille canaille l’avait pris dans sa toile, elle avait tué sa Wanna _ ou pis_ l’avait livrée aux tortures harkonnens jusqu’à ce que son époux eût rempli sa tâche. La vieille canaille l’avait pris au piège et tous ces gens, autour de lui, faisaient partie du piège. Il était ironique que tout ce drame fatal dû se dérouler ici, sur Arrakis, source unique, dans l’univers connu, du Mélange, le prolongateur de vie, la drogue de santé.

« A quoi pensez-vous ? »

« Je pense que l’épice rapporte xis cent vingt solaris par décagramme sur le marché, actuellement. Ce qui représente une richesse susceptible d’acheter bien des choses. »

« La cupidité vous toucherait-elle vous aussi, Wellington ? »

« Non. Pas la culpabilité. »

« Quoi, alors ? »

Il haussa les épaules. « La futilité. ( Il la regarda.) Vous souvenez-vous du goût de l’épice, la première fois ? »

« C’était comme de la cannelle. »

« Mais le goût n’est jamais le même. C’est comme la vie. Chaque fois un visage différent. Certains prétendent que l’épice engendre une réaction induite. Le corps, apprenant qu’une chose est bonne pour lui, interpréte favorablement le parfum. Et cette chose, tout comme la vie, ne peut être vraiment synthétisée. »

« Je pense qu’il eût été plus sage pour nous de devenir des renégats, de fuir loin de l’Empire », dit Jessica.

Il comprit qu’elle ne l’avait pas écouté et il réfléchit à ce qu’elle venait de dire. Oui, pourquoi ne l’a-t-elle pas conduit à cela ? Elle pourrait l’obliger à n’importe quoi.

Il parla rapidement, parce qu’il changeait de sujet et parce que c’était encore la vérité. « Me jugeriez-vous audacieux, Jessica… si je vous posais une question personnelle ? »

Prise d’un sentiment d’inquiétude inexplicable, elle s’appuya contre les montants de la fenêtre et dit : « Non, bien sûr. Vous… vous êtes mon ami. »