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« Pourquoi ne vous êtes-vous pas fait épouser par le Duc ? »

Elle se retourna soudain, le regard flamboyant. « Me faire épouser ? Mais… »

« Je n’aurais pas dû poser cette question », dit Yueh.

« Non. (Elle haussa les épaules.) il y a à cela une bonne raison politique ; Aussi longtemps que mon Duc reste célibataire, certaines Grandes Maisons peuvent encore espérer une alliance. Et… (Elle soupira.)… motiver les gens, les obliger à embrasser votre volonté tend à vous amener à une attitude cynique envers l’humanité. Tout ce qui est touché par cela s’en trouve dégradé. Si je l’amenais à… cet acte, ce ne serait pas de son fait. »

« C’est là une chose que ma Wanna aurait pu dire », murmura Yueh. Et ceci aussi n’était que vérité. Et il porta une main à sa bouche et avala convulsivement. Jamais encore il n’avait été aussi près de parler, de révéler son rôle clandestin.

Mais Jessica reprit la parole et le moment fut brisé. « De plus, Wellington, il y a réellement deux hommes dans le Duc. J’aime profondément l’un de ces hommes. Il est plaisant, tendre, spirituel, prévenant… Tout ce qu’une femme peut désirer. Mais l’autre homme est… froid, dur, égoïste, exigeant, cruel comme le vent d’hiver. Cet homme a été façonné par le père. (Le visage de Jessica se durcit.) Si seulement le vieil homme était mort à la naissance du Duc ! »

Dans le silence retombé, ils purent entendre le cliquetis des lamelles des stores dans la brise d’un ventilateur. Jessica prit une inspiration profonde. « Leto a raison. Ces appartements sont bien plus agréables que ceux des autres secteurs. (Elle se détourna et son regard courut par toute la pièce.) Si vous voulez bien m’excuser, Wellington, j’aimerais visiter à nouveau cette aile avant d’attribuer les différents appartements. »

Il acquiesça. « Bien sûr. » Et il pensa : Si seulement il existait un moyen de ne pas accomplir ma tâche.

Jessica laissa retomber ses bras au long de son corps. Puis elle gagna la porte donnant sur le hall et s’immobilisa un instant sur le seuil, hésitant à quitter la pièce. Tout au long de notre conversation, songeait-elle, il n’a cessé de cacher quelque chose. Sans doute pour épargner mes sentiments. Il est bon. Elle hésita encore. Elle était sur le point de retourner auprès de Yueh pour tenter de lui arracher son secret. Mais cela ne pourrait que faire naître la honte en lui. Il s’effraierait d’avoir été si aisément deviné. Je devrais accorder un peu plus de confiance à mes amis.

On a bien souvent évoqué la rapidité avec laquelle Muad’Dib apprit les nécessités d’Arrakis. Les Bene Gesserit, bien sûr, en connaissant la raison. A l’intention des autres, nous pouvons dire ici que Muad’Dib apprit aussi rapidement parce que le premier enseignement qu’il eût reçu était de savoir apprendre. Et la leçon première de cet enseignement était la certitude qu’il pouvait apprendre. Il est troublant de découvrir combien de gens pensent qu’ils ne peuvent apprendre et combien plus encore croient que c’est là chose difficile. Muad’Dib savait que chaque expérience porte en elle sa leçon.

(extrait de L’humanité de Muad’Dib, par la Princesse Irulan.)

Dans son lit, Paul feignait de dormir. Il lui avait été facile d’escamoter le somnifère du docteur Yueh et de faire semblent de l’avaler. Il avait envie de rire, en cet instant. Sa mère elle-même l’avait cru endormi. Il avait été sur le point de se lever et de lui demander la permission d’explorer la maison, puis il avait songé qu’elle ne la lui aurait pas accordée. Tout était encore trop incertain. Non, il avait une meilleure idée.

Si je me glisse dehors sans l’avoir demandé, je n’aurai désobéi à aucun ordre. Et je serai en sécurité dans la maison.

Il entendait sa mère et Il entendait sa mère et Yueh qui parlaient dans la pièce voisine. Leurs paroles ne lui parvenaient qu’indistinctement. Il était question de l’épice… des Harkonnens. Par instant, il y avait des silences.

Paul reporta son attention sur les sculptures qui ornaient la tête de son lit. Tête fausse, d’ailleurs, puisqu’elle était fixée au mur et dissimulait les différents contrôles de la chambre. Un poisson sautant hors de l’eau avait été gravé dans le bois. Il y avait de petites vagues brunes et profondes sous lui. Paul savait qu’en appuyant sur un des yeux du poisson, il pouvait éclairer les lampes à suspenseurs et qu’en faisant pivoter l’une des vagues, il pouvait régler la ventilation. Une autre commandait la température de la chambre.

Doucement, Paul s’assit. A sa gauche, une haute bibliothèque se dressait contre la paroi. Elle pouvait pivoter sur le côté. Derrière, il y avait un placard avec des tiroirs sur le côté. La poignée de la porte qui ouvrait sur le hall avait la forme d’une barre de commande d’ornithoptère.

La chambre semblait avoir été conçue pour le séduire.

La chambre et la planète tout entière.

Il repensa à la bobine que lui avait montré Yueh : « Arrakis, Station Expérimentale de Botanique du Désert de a Majesté Impériale. » Une ancienne bobine qui datait d’avant la découverte de l’épice. Des noms vinrent flotter dans son esprit et chacun d’eux recelait l’image qui avait été imprimée par l’impulsion mémorielle du film : saguaro, buisson-baudet, palmier-dattier, verveine des sables, primevère du soir, cactus-tonneau, buisson d’encens, arbre-fumée, buisson créosote… renard à poche, faucon du désert, souris-kangourous…

Des noms et des images, surgis du passé terrestre de l’homme. Des noms et des images que l’on ne pouvait désormais trouver que sur Arrakis.

Et tant de choses nouvelles à apprendre sur… l’épice.

Et les vers des sables.

Une porte se ferma dans l’autre pièce. Paul entendit les pas de sa mère qui s’éloignaient vars le hall. Il savait que le docteur Yueh, resté seul, allait trouver quelque chose à lire et qu’il ne quitterait pas la pièce.

Le moment était venu de partir en exploration.

Paul se glissa hors du lit et se dirigea vers la bibliothèque qui dissimulait la porte accédant au hall. Il y eut un bruit derrière lui et il s’arrêta. La tête sculptée du lit se rabattit en avant. Paul s’était figé sur place et ce fut son immobilité qui le sauva.

De la tête du lit, maintenant rabattue surgit un minuscule tueur-chercheur qui ne faisait pas plus de cinq centimètres. Paul l’identifia immédiatement. C’était là un instrument de mort que tout enfant de sang royal apprenait à connaître dès son plus jeune âge. Une dangereuse aiguille de métal guidée à distance qui se fichait dans la chair vivante et remontait ensuite le réseau nerveux jusqu’au plus proche organe vital.

Le chercheur s’éleva en l’air et se mit à osciller.

Les limitations du tueur-chercheur. La connaissance jaillit dans l’esprit de Pual. Le champ réduit de suspension troublait la vision de l’œil-émetteur du tueur-chercheur. Sans autre source de clarté que la lumière ambiante, l’opérateur devrait se fier entièrement au mouvement et attaquer tout ce qui se déplaçait. Un bouclier pouvait ralentir un tueur-chercheur et l’on pouvait ainsi trouver le moyen de le détruire. Mais Paul avait laissé le sien sur le lit. Les lasers pouvaient abattre un tueur-chercheur, mais ils étaient coûteux et fragiles et si leur rayon venait à rencontrer un bouclier activé, il existait un risque d’explosion. Les Atréides ne se fiaient qu’a leurs boucliers corporels et à leur habileté.

L’habileté. En cet instant, figé dans une immobilité cataleptique, Paul comprit qu’il ne lui restait que son habileté pour affronter cette menace.