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« Y a-t-il de la végétation au-dessous de nous ? » demanda-t-il.

« Un peu, répondit Kynes. La vie, à cette latitude, est surtout représentée par ce que nous appelons les petits voleurs d’eau. Ils s’attaquent les uns les autres pour l’humidité, ils se repaissent des traces de rosée. Certains endroits du désert sont grouillants de vie. Mais toutes les créatures doivent apprendre à survivre dans les conditions rigoureuses du désert. Si vous vous retrouviez là en bas, il vous faudrait imiter ces créatures ou mourir. »

« Vous voulez dire que je devrais voler l’eau des autres ? » demanda Paul. Cette idée l’outrageait et sa voix révélait son émotion.

« C’est bien ainsi que cela se passe, mais ce n’est pas exactement ce que je voulais dire. Voyez-vous, mon climat exige une attitude particulière envers l’eau. Vous ne pensez qu’à l’eau, à chaque instant. Et vous ne gaspillez rien qui puisse receler de l’humidité. »

Mon climat !… pensa le Duc.

« Deux degrés plus au sud, Mon Seigneur, dit kynes. Un grain arrive de l’ouest. »

Le Duc acquiesça. Il avait aperçu la vague de sable orangé. Il fit pivoter l’orni et remarqua le reflet orange de la poussière sur les ailes des appareils d’escorte qui épousaient sa manœuvre.

« Cela devrait nous permettre de passer au large de la tempête », dit kynes.

« Voler au milieu de ce sable doit être dangereux, remarqua Paul. Est-ce qu’il peut vraiment entamer les métaux les plus durs ? »

« A cette altitude, ce n’est pas du sable mais seulement de la poussière. Les seuls dangers sont l’absence de visibilité, la turbulence et l’encrassage des commandes. »

« Est-ce que nous verrons des mines d’épice aujourd’hui ? »

« Très probablement. »

Paul se tut. Il avait utilisé ses questions et son hyper-perception pour se livrer à ce que sa mère appelait un « enregistrement » de la personne. Il avait Kynes, maintenant. Il avait sa voix et chaque détail de son visage, de ses gestes. Un pli anormal dans la manche gauche de sa robe révélait en outre la présence d’un couteau. La taille était bizarrement renflée. On lui avait appris que les hommes du désert portaient une bourse de ceinture dans laquelle ils mettaient divers petits objets. Peut-être cela expliquait-il ce renflement qui ne pouvait être dû à une ceinture-bouclier. Une aiguille de cuivre portant l’image gravée d’un lièvre était piquée dans la robe de Kynes, près du cou. Une autre, plus petite, mais portant le même dessin, était visible sur le bord du capuchon rabattu sur les épaules.

A côté de Paul, Halleck se pencha vers le compartiment arrière et y prit sa balisette. Kynes le regarda un instant tandis qu’il accordait l’instrument, puis il reporta son attention sur le paysage.

« Qu’aimeriez-vous entendre, Jeune Maître ? » demanda Gurney Halleck.

« Choisis pour moi, Gurney. »

Halleck se pencha sur l’instrument, pinça une corde et se mit à chanter doucement :

« Nos pères vivaient de la manne du désert, En un pays brûlant où hurlaient les vents. Seigneur, sauvez-nous de cette affreuse terre ! Sauvez-nous… oh, oui, sauvez-nous De la soif et du vent du désert. »

Kynes se tourna vers le Duc. « Vous voyagez avec bien peu de gardes, Mon Seigneur. Sont-ils tous doués de si nombreux talents ? »

« Comme Gurney ? (le Duc sourit.) Gurney est un cas particulier. Je l’apprécie pour ses yeux. Peu de choses leur échappent. »

Le planétologiste se rembrunit.

Sans marquer une mesure, Halleck reprit :

« Car je suis comme un hibou sur cette terre ! Oh oui ! Comme un hibou sur cette te-erre ! »

Le Duc tendit brusquement la main vers le tableau de bord, s’empara d’un micro, l’ouvrit d’un coup de pouce et lança : « Escorte Gemma ! Escorte Gemma ! Objet volant à neuf heures dans le secteur B. L’identifiez-vous ? »

« Ce n’est qu’un oiseau », dit Kynes. Et il ajouta : « Vous avez un regard perçant. »

Le haut-parleur craqua puis une voix répondit : « Escorte Gemma. Objet examiné avec grossissement maximal. C’est un grand oiseau. »

Paul regarda dans la direction indiquée et distingua la minuscule tache lointaine qui bougeait par instants. Il prit conscience que tous les sens de son père étaient éveillés, en état d’alerte.

« J’ignorais qu’il existait des oiseaux de cette taille aussi loin dans le désert », dit le Duc.

« C’est probablement un aigle, fit Kynes. De nombreuses créatures se sont adaptées à ces régions. »

L’ornithoptère survolait à présent une plaine de rocher dénudé. Paul, deux mille mètres plus bas, discernait les ombres brisées des deux appareils. Le sol, vu de cette altitude, semblait plat mais les ombres brisées disaient le contraire.

« Quelqu’un a-t-il jamais réussi à échapper au désert, » demanda le Duc.

Halleck cessa de jouer. Il se pencha en avant pour mieux saisir la réponse.

« Jamais au désert profond, dit Kynes. Mais, plusieurs fois, des hommes ont réussi à s’échapper de la zone secondaire. Ils n’ont réussi que parce qu’ils ont traversé les zones rocheuses où les vers s’aventurent rarement. »

Le timbre de la voix de Kynes retint l’attention de Paul. Il sentit ses sens s’éveiller ainsi qu’il s’y était entraîné.

« Ah, les vers, dit le Duc. Il faudrait que j’en voie un. »

« Vous en verrez peut-être un aujourd’hui même. Là où il y a de l’épice, il y a les vers. »

« Toujours ? » demanda Halleck.

« Toujours. »

« Existe-t-il une relation entre le ver et l’épice ? » demanda le Duc.

Dans le mouvement que fit Kynes, Paul découvrit le pli de ses lèvres.

« Les vers défendent les sables à épice. Chacun d’eux a un… territoire. Quant à l’épice… Qui sait ? Les spécimens de vers que nous avons pu examiner jusqu’ici nous amènent à supposer l’existence d’échanges chimiques complexes entre eux. Des traces d’acide chlorhydrique ont été relevées dans les vaisseaux et, ailleurs, on a détecté des acides plus complexes. Je puis vous confier la monographie que j’ai rédigée à ce sujet. »

« Et les boucliers sont impuissants ? » demanda le Duc.

« Les boucliers ! (Kynes grimaça un sourire.) Il suffit d’activer un bouclier dans la zone où opère le ver pour sceller votre destin. Les vers alentour ignorent les délimitations de territoire et ils viendront de très loin pour affronter le bouclier. Aucun homme muni d’un bouclier n’a jamais survécu à ce genre d’attaque. »

« Comment se comportent donc les vers capturés ? »

« Le choc électrique à haut voltage appliqué à chaque anneau séparément est la seule façon que l’on connaisse de tuer un ver, dit Kynes. Il est possible de les étourdir et de les blesser par explosifs mais chaque anneau conserve en ce cas une vie propre. En dehors des atomiques, je ne connais aucun moyen de détruire un ver tout entier. Ils sont d’une résistance incroyable. »

« Pourquoi n’a-t-on fait aucun effort pour les éliminer ? » demanda Paul.

« Cela coûterait trop cher, dit Kynes. Il y a trop de territoire à couvrir. »

Paul se renfonça dans son coin. Son sens de la vérité, sa perception des tonalités lui disaient que Kynes mentait ou ne disait que des demi-vérités. Il pensa : S’il existe un rapport entre l’épice et les vers, en ce cas tuer les vers pourrait signifier la destruction de l’épice.