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« Bientôt, dit le Duc, nul n’aura plus à se risquer dans le désert. Il suffira de porter ces petits émetteurs autour du cou et les secours arriveront dès qu’on les appellera. Tous nos hommes en seront équipés d’ici quelque temps. Nous mettons sur pied une équipe de secours spéciale. »

« Très ingénieux », dit Kynes.

« Votre ton me laisse entendre que vous n’êtes pas d’accord. »

« Pas d’accord ? Mais si, bien sûr. Mais cela ne sera pas de très grande utilité. L’électricité statique des vers de sable brouille la plupart des signaux. Les transmissions sont interrompues. On a déjà essayé cela, voyez-vous. Arrakis consomme beaucoup de matériel. Si un ver est à vos trousses, vous ne disposez que de bien peu de temps. En général, pas plus de quinze ou vingt minutes. »

« Et que conseilleriez-vous ? » demanda le Duc.

« Vous me demandez conseil, à moi ? »

« Oui. En tant que planétologiste. »

« Et vous suivriez mon conseil ? »

« Si je le jugeais sensé. »

« Très bien, Mon Seigneur. Alors, ne voyagez jamais seul. »

Le Duc détourna son attention des commandes. « Est-ce tout ? »

« C’est tout. Ne voyagez jamais seul. »

« Et si l’on se trouve isolé par une tempête et obligé de se poser ? demanda Halleck. N’y a-t-il vraiment rien à faire ? »

« Rien recouvre un territoire immense. »

« Mais vous ? Que feriez-vous ? » demanda Paul.

Kynes lui décocha un regard acéré. « Je me souviendrais de protéger avant tout mon distille. Dans une zone sans vers, dans des rochers, je resterais à proximité de mon appareil. Dans le sable, par contre, je m’en éloignerais aussi vite que possible. Une distance de mille mètres est suffisante. Puis je me cacherais sous ma robe. Et le ver aurait l’appareil mais pas moi. »

« Ensuite ? » demanda Halleck.

Kynes haussa les épaules. « Ensuite, j’attendrais que le ver se décide à s’éloigner. »

« C’est tout ? » s’exclama Paul.

« Quand un ver s’est éloigné, on peut essayer de s’enfuir. Pour cela, il faut marcher doucement, éviter les sables-tambours, les marées de poussière et se diriger droit vers la zone rocheuse la plus proche. Il y en a beaucoup. Il est possible de s’en sortir, comme cela. »

« Les ables-tambours ? » dit Halleck.

« C’est un des effets de la compression du sable. Le moindre pas les fait résonner et cela attire tous les vers alentour. »

« Et les marées de poussière ? » demanda le Duc.

« Depuis des siècles, la poussière s’accumule dans les cuvettes et certaines sont si vastes qu’elles connaissent des courants et des marées qui engloutissent les imprudents. »

Halleck se rassit, reprit sa balisette et chanta :

« Au désert chassent les bêtes sauvages, Guettant l’audacieux solitaire Qui défie les dieux du désert Et recherche les périls… »

Il s’interrompit net, se pencha en avant : « Nuage de poussière droit devant, Sire ! »

« Je le vois, Gurney. »

« C’est ce que nous cherchions », dit Kynes.

Paul se redressa et aperçut le nuage jaune qui roulait à la surface du désert, à quelque trente kilomètres devant eux.

« C’est une des chenilles de votre usine, reprit Kynes. Elle est en surface, ce qui signifie qu’elle travaille sur l’épice. Ce nuage est formé par le sable qu’elle rejette après l’avoir centrifugé pour en extraire l’épice. Il n’existe pas de nuage semblable. »

« J’aperçois un engin aérien au-dessus », dit le Duc.

« Il y en a deux… trois… quatre, fit Kynes. Ce sont des guetteurs. Ils attendent le signe du ver. »

« Le signe du ver ? »

« En s’avançant sur la chenille, le ver crée une vague de sable en surface. Mais il arrive aussi qu’il se déplace trop profondément pour que la vague soit visible. C’est pour cela que les guetteurs sont munis de sondes sismiques. (Kynes examina le ciel.) Je ne vois pas l’aile portante qui devrait être à proximité. »

« Et le ver finit toujours par arriver ? » demanda Halleck.

« Toujours. »

Paul toucha l’épaule de Kynes. « Quelle est l’étendue du territoire de chaque ver ? »

Le planétologiste fronça les sourcils. Ce jeune garçon ne cessait de poser des questions d’adulte.

« Cela dépend de sa taille. »

« Dans quel rapport ? » demanda le Duc.

« Les plus grands peuvent parfois contrôler un territoire de trois ou quatre cents kilomètres carrés. Les petits… »Il se tut brusquement comme le Duc lançait les fusées de freinage. L’orni se cabra tandis que mourait le chuchotement des fusées de queue. Les ailes creuses se déployèrent et commencèrent à brasser l’air. L’appareil prit toute son envergure véritable d’ornithoptère. Le Duc le redressa tout en maintenant le battement des ailes à un rythme lent. Il tendit la main gauche vers l’est, au-delà de la chenille.

« Est-ce le signe du ver ? »

Kynes se pencha et regarda au loin dans la direction indiquée. Paul et Halleck l’imitèrent. Paul remarqua que les appareils d’escorte, surpris par la manœuvre, avaient poursuivi leur route. Maintenant seulement ils revenaient vers eux. La chenille était encore à trois kilomètres.

Dans la direction que désignait le Duc, entre les croissants d’ombres des dunes qui couraient vers l’horizon, se déplaçait une sorte de monticule, une crête mouvante de sable. Cela rappelait à Paul l’onde, le sillage, que produisent les gros poissons en frôlant la surface de l’eau calme des rivières.

« Un ver, dit kynes. Un gros. » il se retourna, saisit le micro sur le tableau de commandes et le régla sur une nouvelle fréquence. Les yeux fixés sur les cartes, au-dessus d’eux, il lança : « J’appelle chenille en Delta Ajax Neuf. Signe du ver. Chenille en Delta Ajax Neuf. Signe du ver. Répondez, s’il vous plaît. » Il attendit.

Le haut-parleur grésilla puis une voix retentit : « Qui appelle Delta Ajax Neuf, Terminé ? »

« Ils semblent prendre cela plutôt calmement », dit Halleck.

« Vol non enregistré, répondit Kynes dans le micro ? Nord-est par rapport à vous. Distance environ trois kilomètres. Signe du ver en interception. Contact dans vingt-cinq minutes environ. »

Une voix nouvelle se fit entendre dans le haut-parleur. « Ici Contrôle Guetteur. Observation confirmée. Prêt au contact. (Un silence, puis : ) Contact dans vingt-six minutes. Le calcul était précis. Qui se trouve à bord de l’appareil non enregistré ? Terminé. »

Halleck fit sauter son harnachement et s’interposa entre Kynes et le Duc. « Kynes, ect-ce la fréquence normale de travail ? »

« Mais oui. Pourquoi ? »

« Qui pouvait nous entendre ? »

« Les équipes de travail, c’est tout. Cela limite les interférences. »

A nouveau, le haut-parleur grésilla avant que la première voix reprenne : « Ici Delta Ajax Neuf. Qui a droit à la prime ? Terminé. »

Halleck regarda le Duc.

« Celui qui donne le premier l’alerte a droit à une prime proportionnelle à la récolte d’épice. Ils veulent savoir… »

« Dites-leur qui a vu le premier ce ver », dit Halleck.

Le Duc acquiesça.