Le Duc accrocha le micro au tableau de commandes et surgit au-dehors. Debout sur l’aile, il ordonna : « Deux hommes par guetteur ! »
Le grand personnage en robe de travail se mit alors à presser les hommes les plus proches, les entraînant vers l’appareil qui attendait de l’autre côté.
« Quatre ici ! cria le Duc. Et quatre là-bas ! (Il désigna l’orni de l’escorte qui se trouvait immédiatement derrière et dont les hommes évacuaient le générateur de bouclier.) Quatre autres hommes dans cet appareil-là ! Et trois dans les autres ! Courez donc, espèces de chiens de sable ! »
L’homme en robe de travail, ayant achevé l’évacuation de l’équipage, s’avança, suivi de trois de ses compagnons.
« J’entends le ver, mais je n’arrive pas à le voir », dit Kynes.
Ils l’entendirent alors, tous. C’était comme un frottement, un crissement, qui se faisait de plus en plus fort.
« Quel gachis ! » grommela le Duc.
Puis les ailes de l’orni commencèrent à soulever des gerbes de sable. Et le Duc revit soudain l’image des jungles de sa planète natale. Une clairière révélée, l’envol des oiseaux charognards surpris sur la carcasse d’un bœuf sauvage.
Les hommes des sables se pressèrent contre l’appareil et commencèrent à monter à bord avec l’aide de Halleck.
« Allez, les gars ! Plus vite ! »
Paul se retrouva dans un coin, entre ces hommes dont la sueur sentait la peur. Deux d’entre eux avaient des distilles mal ajustés au cou et il classa ce renseignement dans sa mémoire pour une future utilisation. Il faudrait que son père soit plus dur quant à la discipline du distille. Les hommes avaient tendance à se relâcher si l’on ne se montrait pas vigilant pour de telles choses.
En haletant, le dernier monta à bord : « Le ver ! Il est presque sur nous ! Décollez ! »
Le Duc se glissa dans son siège, fronça les sourcils et dit : « Il nous reste encore trois minutes selon l’estimation de contact. Est-ce vrai, Kynes ? » Il ferma sa porte et en vérifia le verrouillage.
« Exactement, Mon Seigneur », dit Kynes, en songeant : Il a du cran, ce Duc.
« Tout est paré, Sire ! » lança Halleck.
Le Duc acquiesça et vérifia que les appareils d’escorte avaient déjà décollé. Puis il mit le contact, jeta un ultime coup d’œil sur les ailes puis sur les commandes et appuya sur la commande des fusées.
La pression du décollage l’écrasa dans son siège, de même que Kynes, Halleck, Paul et les hommes à l’arrière. Kynes observait la façon dont le Duc manipulait les commandes de l’orni : doucement, sûrement. L’appareil était maintenant en altitude mais le Duc ne quittait pas ses instruments du regard, vérifiant parfois les ailes, d’un coup d’œil à droite, puis à gauche.
« Nous sommes chargés, Sire », dit Halleck.
« Dans les limites de tolérance de l’orni, dit le Duc. Tu ne crois pas que je risquerais la vie de mes passagers, Gurney ? »
Halleck sourit : « Oh non, certainement pas, Sire. »
Le Duc lança l’orni dans une longue courbe ascendante. Paul, coincé dans un coin, contemplait la chenille immobile dans le sable, tout en bas. Le signe du ver avait disparu soudain à quatre cents mètres et, à présent, une sorte de turbulence commençait à se manifester dans le sable, autour de la chenille.
« Il est dessous, maintenant, dit Kynes. Ce que vous allez voir, peu d’hommes l’ont vu. »
Tout autour de la chenille, à présent, des gerbes de poussière se mêlaient au sable. La gigantesque machine s’inclina sur la droite. A cet endroit, un grand tourbillon de sable se formait. Il tournait de plus en plus rapidement. A quatre cents mètres à la ronde, l’air était saturé de poussière et de sable.
Et ils virent !
Un large trou apparut dans le désert. Le soleil étincela sur des barres blanches et lisses. Le trou, estima Paul, était à peu près deux fois plus grand que la chenille. Et sous ses yeux, la machine tout entière glissait maintenant dans ce gouffre ouvert dans le sable. Et le trou se résorba.
« Dieux, quel monstre ! » murmura un homme.
« Tout notre épice ! » gronda un autre.
« Quelqu’un paiera pour cela, dit le Duc. Je vous le promets. »
La voix de son père était sans expression et Paul perçut toute la fureur qui l’habitait. Et il prit conscience qu’il la partageait. Un tel gâchis était criminel !
Dans le silence qui suivit, ils entendirent Kynes qui murmurait : « Béni soit le Créateur et Son eau. Bénis soient Sa venue et Son départ. Son passage lave le monde. Qu’il garde le monde pour Son peuple. »
« Que dîtes-vous là ? » demanda le Duc.
Mais Kynes garda le silence.
Paul regarda les hommes groupés autour de lui. Leurs yeux étaient tous fixés sur la nuque de Kynes et tous étaient emplis de frayeur. « Liet », murmura l’un d’eux.
Kynes se retourna et fronça les sourcils. L’homme recula.
Un autre fut pris d’une quinte de toux, sèche, déchirante. Il haleta : « Maudit soit ce trou infernal ! »
L’homme de haute taille qui était sorti le dernier de la chenille lança : « Silence, Coss ! Tu ne vaux guère mieux que ta toux. » Il bougea de façon à pouvoir fixer son regard sur la nuque de Leto. « Vous êtes le Duc Leto, je le sais, dit-il alors. C’est à vous que nous devons des remerciements pour nos vies. Avant votre venue, nous étions prêts à les achever ici. »
« Silence, homme ! Laisse le Duc piloter en paix », grommela Halleck.
Paul le regarda. Lui aussi avait remarqué les plis qui s’étaient formés sur les mâchoires de son père. Lorsque la rage habitait le Duc, il fallait agir tout doux.
L’ornithoptère, brisant le vaste cercle qu’il avait suivi jusqu’ici commençait à s’éloigner de l’endroit où la chenille avait été engloutie. A ce moment, le Duc décela un nouveau mouvement dans le sable et il stoppa l’appareil. Le ver avait disparu dans les profondeurs du désert mais quelque chose bougeait à l’endroit où avait été la chenille. Deux silhouettes apparurent et d’éloignèrent de la dépression en direction du nord. Elles semblaient glisser sur la surface, soulevant à peine un léger sillage de sable.
« Qui est-ce ? » aboya le Duc.
« Deux types qui s’étaient joints à nous, Sire », dit l’homme de Dune.
« Pourquoi n’en a-t-on rien dit ? »
« Ils connaissent les risques, Sire », dit l’homme de Dune.
« Mon Seigneur, intervint Kynes, ils savent bien qu’il n’y a pas grand-chose à faire pour des hommes perdus sur le territoire d’un ver. »
« Nous enverrons un appareil de la base ! »
« Comme vous le désirez, Mon Seigneur. Mais il est probable que, lorsqu’il arrivera, il n’aura personne à sauver. »
« Nous l’enverrons quand même », dit le Duc.
« Ils étaient là quand le ver a surgi, dit Paul. Comment ont-ils pu lui échapper ? »
« Les distances sont trompeuses, dit Kynes. A cause des parois du trou qui sont inclinées. »
« Mon Seigneur, intervint Halleck, nous brûlons du carburant. »
« Vu, Halleck ! »
Le Duc fit pivoter l’orni en direction du Bouclier. Les appareils d’escorte quittèrent leurs positions d’attente et se placèrent à la verticale et sur les flancs de l’appareil ducal.
Paul réfléchit à ce que venaient de dire Kynes et l’homme de Dune. Il avait perçu les demi-vérités, les mensonges. Et ces hommes ; là, en bas, s’étaient enfuis avec une telle assurance… Ils savaient évidemment comment ne pas attirer de nouveau le ver hors des profondeurs !