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Paul avait décelé la fausseté dans la voix de sa compagne, il avait vu que sa mère suivait la conversation avec une intensité Bene Gesserit. Mû par une impulsion, il décida de contrer, de repousser l’adversaire et il s’adressa au banquier :

« Voulez-vous dire, monsieur, que ces oiseaux sont cannibales ? »

« C’est une étrange question, Jeune Maître. Je dis tout simplement que ces oiseaux boivent du sang. Il n’est pas nécessaire que ce soit le sang de leurs semblables, non ? »

« Ma question n’était pas étrange. (Jessica remarqua la qualité cassante de la riposte de son fils, qui révélait toute son éducation, qui lui venait d’elle.) Les gens instruits savent pour la plupart que c’est dans sa propre espèce qu’un jeune organisme rencontre le potentiel de compétition le plus élevé. Délibérément, il planta sa fourchette dans l’assiette de son voisin et ajouta : Ils mangent au même plat. Ils ont les mêmes nécessités vitales. »

Le banquier se raidit et se tourna vers le Duc.

« Ne commettez pas l’erreur de considérer mon fils comme un enfant », dit celui-ci avec un sourire.

Le regard de Jessica courut sur la table. Elle remarqua que Bewt avait abandonné son air sombre et que Kynes souriait, de même que le contrebandier, Tuek.

« C’est une règle d’écologie que le Jeune Maître semble très bien connaître, dit Kynes. La lutte entre les éléments de vie est la lutte pour l’énergie disponible d’un système. Le sang est une source d’énergie efficiente. »

Le banquier posa sa fourchette et, lorsqu’il parla, ce fut d’un ton furieux : « On dit que la racaille Fremens boit le sang de ses morts. »

Kynes secoua la tête et dit, d’un ton docte : « Non, pas le sang, monsieur. Mais l’eau d’un homme, à son dernier instant, appartient aux siens, à sa tribu. C’est une nécessité lorsque vous quittez la Grande plaine. Ici, toute eau est précieuse et le corps d’un homme se compose d’eau à soixante-dix pour cent. Celui qui est mort n’en a certainement plus aucun besoin. »

Le banquier posa les mains sur la table, de part et d’autre de son assiette, et Jessica pensa qu’il allait, dans un geste de rage, se rejeter violemment en arrière.

A cet instant, Kynes la regarda. « Pardonnez-moi, Ma Dame, d’évoquer une question si déplaisante à cette table mais vous aviez entendu de fausses paroles et il était nécessaire de vous éclairer. »

« Vous êtes depuis si longtemps aves les Fremens que vous en avez perdu tout sentiment ! » lança le banquier.

« Me défiez-vous, monsieur ? » Kynes braquait un regard calme sur le visage pâle et tremblant.

Le banquier se figea. Il déglutit et prit un ton sec : « Bien sûr que non. Je ne me permettrais pas d’insulter ainsi notre hôte et notre hôtesse. »

Jessica perçut la peur dans sa voix, dans son visage, dans son souffle, dans le fremissement d’une veine sur sa tempe. L’homme était terrifié par Kynes !

« Notre hôte et notre hôtesse sont très capables de décider d’eux-mêmes s’ils ont été insultés, reprit Kynes. Ce sont des gens braves qui connaissent la défense de l’honneu. Nous pouvons tous attester de leur courage par le fait qu’ils sont ici… maintenant… sur Arrakis. »

Jessica vit que Leto savourait cet instant. Au contraire de la plupart des convives. Tout autour de la table, ceux-ci semblaient prêts à fuir. Les mains étaient dissimulées. Les deux exceptions notables étaient Bewt, qui souriait ouvertement de la déconfiture du banquier, et Tuek, le contrebandier, qui semblait guetter quelque réaction de Kynes. Quant à Paul, il regardait Kynes avec admiration.

« Eh bien ? » fit le planétologiste.

« Je ne voulais pas vous offenser, murmura le banquier. Mais si vous l’avez cru, veuillez accepter mes excuses. »

« Librement donné, librement accepté. » Et Kynes sourit à Jessica tout en se remettant à manger comme si rien ne s’était passé.

Jessica vit que le contrebandier, lui aussi, se détendait. Elle en prit bonne note : cet homme, à chaque seconde, avait paru prêt à voler au secours de Kynes. Il existait entre lui et le planétologiste une sorte d’accord.

Leto jouait avec sa fourchette tout en examinant Kynes d’un œil spéculatif. Les façons du planétologiste révélaient un changement d’attitude envers la Maison des Atréides. Durant leur voyage dans le désert, il avait semblé nettement plus hostile.

Jessica donna l’ordre d’amener de nouveaux plats et de nouvelles boissons. Les serviteurs firent leur apparition avec les langues de garenne accompagnées de sauce au vin et aux champignons.

Lentement, les conversations reprenaient mais Jessica continuait de déceler dans le murmure des voix une certaine agitation, une certaine âpreté. Le banquier, pour sa part, poursuivait son repas en silence. Kynes l’aurait tué sans hésiter, songea-t-elle. Et elle comprit tout à coup que les façons de Kynes révélaient une prédisposition au meurtre. Il pouvait tuer facilement et elle devinait que c’était là un trait marquant des Fremens.

Elle se tourna vers le confectionneur de distilles assis à sa gauche. « Je ne cesse d’être stupéfaite par l’importance de l’eau sur Arrakis », dit-elle.

« Une importance énorme. Dites-moi : quel est ce plat ? C’est délicieux. »

« Ce sont des langues de lapins sauvages avec une sauce spéciale. Une très ancienne recette. »

« Il me la faut. »

Elle acquiesça. « J’y veillerai. »

Kynes ka regarda et dit : « Il est fréquent que les nouveaux venus sur Arrakis sous-estiment l’importance de l’eau. Comme vous le comprenez sans doute, vous affrontez la loi du Minimum. »

Elle décela dans sa voix l’intention de sondage et répondit : « La croissance est limitée par l’élément nécessaire qui se trouve être le plus rare. Et, naturellement, la condition la moins favorable détermine le taux de croissance. »

« Il est rare de trouver des membres des Grandes Maisons qui soient au fait des problèmes de planétologie. L’eau est la condition la moins favorable à la vie sur Arrakis. Et souvenez-vous bien que la croissance elle-même peut introduire des conditions défavorables si on ne la traite pas avec beaucoup de prudence. »

Il y avait un message caché dans ces paroles mais Jessica dut admettre qu’elle ne le comprenait pas. « La croissance, dit-elle. Voulez-vous dire qu’Arrakis peut jouir d’un cycle d’eau organisé afin de permettre l’existence des humains dans des conditions plus favorables ? »

« Impossible ! » lança le magnat de l’eau.

Jessica se tourna vers lui. « Impossible ? »

« Impossible sur Arrakis. N’écoutez pas ce rêveur. Toutes les évidences scientifiques sont contre lui. »

Kynes le regarda et Jessica s’aperçut qu’une fois encore, toutes les autres conversations s’étaient interrompues.

« Les évidences scientifiques nous cachent un fait très simple, dit Kynes. Et c’est le suivant : Nous affrontons ici des problèmes qui sont apparus et perdurent à l’extérieur, où les plantes et les animaux poursuivent normalement leur existence. »

« Normalement ! s’écria Bewt. Mais rien n’est normal sur Arrakis ! »

« Bien au contraire. On pourrait ici développer certaines harmonies qui s’entretiendraient elles-mêmes. Pour cela, il faut comprendre quelles sont les limitations de cette planète et les pressions qui s’y exercent. »

« Cela ne sera jamais », dit Bewt.

Le Duc, tout à coup, venait de découvrir à partir de quel point l’attitude de Kynes s’était modifiée.

C’était lorsque Jessica avait parlé de conserver les serres pour le bien d’Arrakis.