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Yueh se tenait sur le seuil de la pièce du générateur. Son visage était jaune dans la clarté d’un suspenseur flottant au-dessus de la porte. Derrière lui, il n’y avait que le silence. Aucun bruit de générateur.

Yueh ! pensa le Duc. Il a tout saboté ! Nous sommes à découvert !

Yueh s’avança vers lui tout en remettant son pistolet à aiguilles dans sa poche.

Leto découvrit qu’il lui était encore possible de parler et il dit, haletant : « Yueh ! Comment ? » Puis la paralysie gagna ses jambes et il glissa sur le sol, le dos appuyé au mur.

Yueh se pencha sur lui et son visage avait une expression de tristesse. Il lui toucha le front et Leton nr perçut qu’à peine le contact de ce doigt.

« Le poison de cette aiguille est sélectif. Vous pouvez parler, mais je vous conseille de ne pas le faire. » Un instant, il leva la tête et son regard fouilla la pénombre puis il se pencha de nouveau sur Leto. Il arracha l’aiguille de son bras et la jeta. Elle fit sur le sol de pierre un bruit qui parut au Duc très lointain, étouffé.

Cela ne peut-être Yueh, songeait-il. Il est conditionné.

« Comment ? » chuchota-t-il.

« Je suis désolé, mon cher Duc, mais il est des choses plus importantes que cela. (Il porta la main au tatouage en diamant qui ornait son front.) Moi-même, je trouve cela très étrange (une manifestation de ma conscience pyrétique, sans doute) mais je veux tuer un homme. Pui, je le veux vraiment. Et rien ne m’arrêtera. »

Il contempla le Duc.

« Oh, non, pas vous, mon cher Duc. Le baron Harkonnen. C’est le Baron que je veux tuer. »

« Le Bar… »

« Du calme, je vous en prie, mon pauvre Duc. Il ne vous reste que peu de temps. Cette dent que je vous ai implantée après votre chute à Narcal. Cette dent… il faut que je la remplace. Dans un instant, je vais vous rendre inconscient et je la remplacerai. (Il ouvrit la main et contempla quelque chose, au creux de sa paume) Une copie fidèle. Le nerf, au centre, semble authentique. Cela devrait échapper à tous les détecteurs habituels et même à un examen profond. Si vous claquez violemment la mâchoire, la surface craque et, en soufflant très fort, vous rejetez un gaz mortel… absolument mortel. »

Leto regarda Yueh et il lut la folie dans ses yeux, il vit la sueur qui perlait sur ses sourcils et son menton.

« Vous êtes condamné, de toute façon, mon pauvre Duc. Mais, avant de mourir, vous approcherez le Baron. Il croira que vous êtes sous l’influence de drogues si puissantes que toute attaque de votre part est impossible. Et vous serez effectivement drogué et neutralisé. Mais une attaque peut prendre bien des formes étranges. Et vous n’oublierez pas la dent. La dent, duc Leto Atréides. Vous n’oublierez pas la dent. »

Le vieux docteur se pencha un peu plus et sa moustache emplit tout le champ de vision défaillante du Duc.

« La dent », murmura Yueh.

« Pourquoi ?é souffla Leto.

Yueh mit un genou en terre. « J’ai conclu un Pacte de Shaitan avec le Baron. Et il faut que je m’assure qu’il a bien rempli ses engagements. En le voyant, je le saurai. Lorsque je regarderai le Baron, je saurai. Mais je ne puis être mis en sa présence sans en payer le prix. Et vous êtes ce prix, mon pauvre Duc. Et quand je le verrai, je saurai. Ma malheureuse Wanna m’a appris bien des choses et l’une d’elles est la certitude de la vérité lorsque la tension est forte. Je ne réussis pas cela constamment mais, quand je verrai le Baron, alors… je saurai. »

Leto essaya de voir la dent dans la paume de Yueh. Tout cela se passait dans un cauchemar. Ce ne pouvait être réellement.

Les lèvres rouges du docteur dessinèrent une grimace. « Je ne serai pas assez proche du Baron, autrement j’aurais fait cela moi-même. Non, il restera à prudente distance. Mais vous… Ah, vous, mon arme adorée ! Il voudra vous voir de près. Pour rire sur vous, pour jouir de vous, un peu. »

Leto était presque hypnotisé par le muscle qui se contractait sans cesse sur la joue gauche de Yueh tandis qu’il parlait.

Le docteur se rapprocha encore. « Et vous, mon cher, mon précieux Duc, vous n’oublierez pas la dent. (Il la lui montra, entre le pouce et l’index.) Elle sera tout ce qui restera de vous. »

La bouche de Leto s’ouvrit sans émettre le moindre son, puis il parvint à souffle : « … refuse. »

« Mais non ! Vous ne pouvez refuser. Parce que, pour ce petit service, je vais faire quelque chose pour vous à mon tour. Je vais sauver votre fils et votre femme. Nul autre que moi ne le peut. Ils seront conduits en un lieu où aucun Harkonnen ne pourra les atteindre. »

« Comment… les … sauver ? » souffla Leto.

« En faisant croire à leur mort, en les entourant de gens qui tirent leur couteau au seul nom d’Harkonnen, qui brûlent les sièges où les Harkonnens se sont assis, qui lavent le sol que les Harkonnens ont foulé. (Il toucha la mâchoire de Leto.) Sentez-vous quelque chose ? »

Le Duc s’aperçut qu’il ne pouvait répondre. Il sentit un mouvement, une pression et il vit l’anneau ducal dans la main de Yueh.

« Pour Paul, dit le docteur. Maintenant, vous allez être inconscient. Au revoir, mon pauvre duc. Lorsque nous nous reverrons, nous n’aurons pas le temps de converser. »

Le froid montait dans la tête de Leto, de sa mâchoire il gagnait ses joues. L’ombre parut se resserrer tout autour des lèvres rouges de Yueh qui chuchotait : « La dent ! N’oubliez pas la dent ! La dent ! »

Il devrait exister une science de la contrariété. Les gens ont besoin d’épreuves difficiles et d’oppression pour développer leurs muscles psychiques.

(extrait de Les dits de Muad’dib, par la princesse Irulan.)

Jessica s’éveilla dans l’obscurité et le silence fit naître en elle une prémonition. Elle ne comprenait pas pour quelle raison son corps et son esprit étaient si lents. La peur courut au long de ses nerfs. Elle pensa qu’il lui fallait s’asseoir, allumer, mais quelque chose s’opposait à cette décision. Sa bouche était… bizarre.

Doum-doum-doum-doum !

Le son était étouffé. Il venait de nulle part, du fond de l’obscurité.

Un moment d’attente, lourd de temps, empli de mouvements, de buissements.

Elle commença à percevoir son corps, les pressions sur ses chevilles, ses poignets. Un bâillon sur sa bouche. Elle était étendue sur le côté, les mains liées dans le dos. Elle tira sur les liens. De la fibre de krimskell. Leur étreinte ne refait que se resserrer à chacun de ses mouvements.

Maintenant, elle se souvenait.

Dans l’obscurité de sa chambre, il y avait eu un mouvement. Quelque chose d’humide et de mou avait été pressé contre son visage, jusqu’à lui emplir la bouche. Elle avait tendu les mains, essayé d’arracher la chose. Elle avait aspiré, une fois, et décelé le narcotique. Sa conscience avait diminué, très vite, la plongeant dans un bain noir de terreur.

C’est arrivé, pensa-t-elle. Comme il lui a été simple de venir à bout d’une Bene Gesserit ! La trahison a suffi. Hawat avait raison.

Elle lutta pour ne pas tirer sur ses liens.

Ce n’est pas ma chambre, pensa-t-elle. Ils m’ont emmenée ailleurs.

Lentement, elle rétablit le calme en elle-même.

Elle prit conscience de l’odeur de sa propre sueur, de l’émanation chimique de la peur.

Où est Paul ? Mon fils… que lui ont-ils fait ?