Il lui accorda un dernier regard, puis se dirigea vers la porte. En le suivant des yeux, elle pensa : La Révérende Mère m’avait avertie : c’est un adversaire trop puissant.
Deux soldats harkonnens firent leur entrée. Un troisième se plaça sur le seuil. Il brandissait un laser et son visage n’était qu’un masque de cicatrices.
Celui qui est sourd, pensa Jessica. Le Baron sait que je pourrais utiliser la Voix.
Le soldat aux cicatrices regarda le Mentat. « Le garçon est sur une litière, dehors. Quels sont vos ordres ? »
Piter s’adressa à Jessica : « Je pensais vous neutraliser en menaçant votre fils, mais je commence à comprendre que cela n’aurait pas été efficace. Je laisse l’émotion prendre le pas sur la raison. Attitude néfaste pour un Mentat. (Il se tourna vers les deux premiers soldats mais le troisième, le sourd, pouvait lire sur les lèvres.) Emmenez-les dans le désert ainsi que le suggérait le traître pour le garçon. Son plan est habile. Les vers détruiront toute trace. On ne retrouvera jamais leurs corps. »
« Vous ne souhaitez pas les liquider vous-même ? » demanda l’homme aux cicatrices.
Il lit bien sur les lèvres, se dit Jessica.
« Je suis l’exemple de mon Baron, dit le Mentat. Conduisez-les là où le traître disait de les conduire. »
Jessica décela le sévère contrôle Mentat dans sa voix et elle songea : Lui aussi craint une Diseuse.
Piter haussa les épaules, se retourna et gagna le seuil. Là, il hésita et elle crut qu’il allait se retourner pour la regarder une ultime fois. Mais il partit.
« Moi, je ne voudrais pas affronter cette Diseuse de Vérité après cette nuit », dit l’homme aux cicatrices.
« T’as aucune chance de tomber sur la vielle sorcière, dit l’un des soldats en contournant la tête de Jessica et en se penchant sur elle. On ne risque pas de faire notre travail en restant là à bavarder. Prends-la par les pieds et… »
« Pourquoi on les tue pas ici ? » demanda le sourd.
« Ce serait du sale travail. A moins que tu ne veuilles les étrangler. Moi, j’aime les choses bien nettes. On va les larguer dans le désert comme l’a dit le traître, on les frappera une fois ou deux et on laissera faire les vers. Après, il n’y aura rien à nettoyer. »
« Oui… Oui, je pense que t’as raison. »
Jessica écoutait, observait, enregistrait. Mais la bâillon lui interdisait toujours d’utiliser la Voix. Et puis, il y avait le sourd.
Le balafré rengaina son laser et la saisit par les pieds. Les deux hommes la soulevèrent comme un sac de grains, lui firent franchir le seuil et la posèrent sur une litière à suspenseurs où se trouvait déjà une autre forme ligotée. En se tournant pour s’adapter à la forme de la litière, elle découvrit le visage de Paul. Il était attaché comme elle mais n’avait pas de bâillon. Il n’était pas à plus de dix centimètres d’elle. Ses yeux étaient clos et son souffle irrégulier.
Est-il drogué ? se demanda-t-elle.
Les soldats soulevèrent la litière et les paupières de Paul s’entrouvrirent pendant une ultime fraction de seconde. Deux fentes noires la regardèrent.
Il ne faut pas qu’il utilise la Voix ! supplia-t-elle intérieurement. Pas la Voix ! Il y a le garde sourd !
Paul avait refermé les paupières.
Il avait utilisé le souffle contrôlé, calmé son esprit sans cesser d’écouter leurs ravisseurs. Celui qui était sourd posait un problème mais Paul réprimait son désarroi. Le régime d’apaisement mental Bene Gesserit que lui avait enseigné sa mère le maintenait parfaitement éveillé, prêt à utiliser la moindre occasion.
Une nouvelle fois, il entrouvrit rapidement les paupières pour examiner le visage de sa mère. Elle ne paraissait pas blessée. Mais elle était bâillonnée.
Il se demanda qui l’avait capturée, elle. Pour lui, c’était parfaitement clair. Il s’était couché avec une capsule prescrite par le docteur Yueh et il s’était réveillé sur cette litière. Peut-être cela s’était-il passé à peu près ainsi pour sa mère ? La logique disait que le traître était Yueh mais il ne s’était pas encore définitivement prononcé sur ce point. Il ne pouvait comprendre. Un docteur Suk, un traître…
La litière s’inclina légèrement au passage d’une porte, puis ils se retrouvèrent dans la nuit étoilée. Une bouée de suspension frotta la paroi. Puis les pas des soldats craquèrent dans le sable. L’aile noire d’un orni apparut, occultant les étoiles. La litière fut déposée sur le sol.
Paul ajusta sa vision à la faible clarté. Il vit que c’était le soldat sourd qui ouvrait la porte. Il se penchait à l’intérieur, dans la pénombre colorée de vert par le tableau de commandes.
« C’est celui que nous devons utiliser ? » demanda-t-il en se retournant pour observer les lèvres de son compagnon.
« Le traître a dit qu’il était prévu pour le désert. »
Le sourd acquiesça. « Mais c’est un orni réservé aux proches liaisons. On ne pourra pas monter à plus de deux là-dedans. »
« Deux c’est assez, dit le troisième soldat. (Il s’avança à son tour afin que le sourd pût lire sur ses lèvres.) On peut s’en charger tout seuls à partir de maintenant, Kinet. »
« Le Baron m’a dit de m’assurer de leur sort », dit l’homme aux cicatrices.
« Pourquoi t’en faire comme ça ? »
« C’est une sorcière Bene Gesserit. Elle a des pouvoirs. »
« Ah… (L’homme leva le poing près de son oreille.) C’en est une, vraiment ? J’vois c’ que tu veux dire. »
L’autre soldat grommela. « Elle servira de repas aux vers, bientôt. Vous ne croyez quand même pas qu’une sorcière Bene Gesserit peut venir à bout d’un de ces gros vers, non ? Hein, Czigo ? »
« Ouais. (L’homme revint près de la litière et prit Jessica sous les épaules.) Viens, Kinet. Tu peux faire le voyage si tu tiens vraiment à voir comment ça se passe. »
« Gentil de ta part de m’inviter, Czigo », dit le sourd.
Jessica fut soulevée. Elle vit tournoyer l’aile, les étoiles. On la poussa à l’arrière de l’orni et ses liens de krimskell furent soigneusement examinés, puis on fixa ses courroies. Paul la rejoignit. Il fut harnaché à son tour et elle s’aperçut alors que ses liens étaient faits de corde ordinaire.
L’homme aux cicatrices, celui qui était sourd et portait le nom de Kinet, prit place devant. Celui qui s’appelait Czigo prit l’autre siège. Kinet ferma la porte et se pencha sur les commandes. L’ornithoptère s’éleva brusquement et se dirigea vers le sud, vers le Bouclier. Czigo tapota sur l’épaule de son compagnon et dit : « Pourquoi ne jettes-tu pas un œil sur eux ? »
« Tu connais la route ? » répliqua Kinet sans quitter ses lèvres des yeux.
« J’ai entendu ce qu’a dit le traître, comme toi. »
Kinet fit pivoter son siège. Jessica vit le reflet des étoiles sur le pistolet laser qu’il tenait. Ses yeux s’accoutumaient à la pâle clarté qui régnait dans l’orni dont les minces parois semblaient pourtant laisser filtrer un peu de la lumière extérieure. Le visage du soldat sourd, pourtant, restait indistinct. Jessica tira sur la ceinture de son siège et découvrit qu’elle était lâche. La courroie, sur son bras gauche, avait été presque sectionnée et elle céderait au premier mouvement brusque.
Quelqu’un est-il venu auparavant dans cet orni pour le préparer pour nous ? se demanda-t-elle. Qui ? Lentement, elle éloigna ses pieds entravés de ceux de Paul.