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Les mains de Jessica étaient rivées à sa bouche.

Grande Mère ! Le Kwisatz Haderach.

Elle comprenait maintenant que peu de choses échappaient à son regard. Elle était nue devant lui. Complètement ouverte. Et elle savait que c’était là la base même de sa peur.

« Vous pensez que je suis le Kwisatz Haderach. Mais ôtez cette idée de votre esprit. Je suis quelque chose d’inattendu. »

Il faut que j’avertisse l’une de nos Ecoles, se dit-elle. L’index des accouplements révélera ce qui s’est produit.

« Il sera trop tard lorsqu’ils apprendront mon existence », dit Paul.

Elle tenta une diversion, baissa les mains et demanda : « Nous trouverons refude parmi les Fremens ? »

« Les Fremens ont une maxime qu’ils attribuent à Shai-hulud, le Vieux Père Eternité, et qui dit : « Sois prêt à apprécier ce que tu rencontres. »

Il pensa : Oui, ma mère… parmi les Fremens. Vous aurez les yeux bleus et une callosité sous votre joli nez, là où sera fixé le tube de votre distille… et vous porterez ma sœur : Sainte Alia du Couteau.

« Si tu n’es pas le Kwisatz Haderach, dit Jessica, qui… »

« Il n’est pas possible que vous le sachiez. Vous ne le croirez que lorsque vous le verrez. »

Et il pensa : Je suis une graine.

Et il vit soudainement combien fertile était le terrain où il était tombé. Dans le même temps, cette sensation d’un but terrible revenait, l’envahissait, remplissait cette région vide, quelque part en lui. Le chagrin l’étouffa.

Sur le chemin qui les attendait, i avait vu deux embranchements importants. Le premier conduisait à un vieux Baron empli de mal auquel il disait : « Bonjour, grand-père. » Il détestait cet embranchement, vomissait ce à quoi il conduisait.

Le second sentier, lui, était plein de zones grisâtres et d’éminences violentes. Il portait une religion guerrière, un feu qui se répandait dans l’univers, la bannière verte et noire des Atréides flottant à la tête de légions de fanatiques abreuvés de liqueur d’épice. Il y avait là Gurney Halleck et quelques autres hommes de son père, mais si peu, tous arborant le signe du faucon, inspiré de la châsse du crâne de son père.

« Je ne peux pas le prendre, murmura Paul. C’est ce que voudraient les vieilles sorcières de vos Ecoles. »

« Paul, je ne te comprends pas », dit Jessica.

Il demeura silencieux. Graine, il pensait avec cette conscience raciale qu’il avait d’abord ressentie comme un but terrible. Il comprenait qu’il ne pouvait plus haïr le Bene Gesserit, l’Empereur ou même les Harkonnens. Tous, ils obéissaient au besoin de leur race de renouveler son héritage dispersé, de croiser, de mêler les lignées en un immense et nouveau bouillon de gènes. Pour cela, la race ne connaissait qu’une manière, l’ancienne manière, celle qui avait été éprouvée, qui était sûre et qui écrasait tout sur son chemin : le jihad.

Je ne peux pas choisir cela, pensa-t-il.

Mais, à nouveau, au fond de son esprit, il vit la châsse du Crâne de son père, la violence et la bannière noire et verte.

Jessica, inquiète de son silence, demanda : « Ainsi… les Fremens vont nous recueillir ? »

Il leva les yeux et, dans la pénombre verte de la tente, regarda son visage aux traits affinés, patriciens. « Oui, c’est l’un des chemins, dit-il en hochant la tête. Oui… Ils m’appelleront… Muad’Dib, « Celui Qui Montre le Chemin ». Oui… ils m’appelleront ainsi. »

Et il ferma les yeux et pensa : Maintenant, mon père, je peux te pleurer. Et les larmes roulèrent sur ses joues.

Livre second

Muad’Dib

Lorsque mon père, l’Empereur Padishah, apprit la mort du Duc Leto et ses circonstances, il entra dans une fureur que jamais nous ne lui avions connue. Il s’en prit à ma mère et au complot qui l’avait forcé à placer une Bene Gesserit sur le trône. Il s’en prit à la Guilde et au cruel Baron. Il s’en prit à tous ceux qui se trouvaient là, sans même m’épargner, disant que j’étais une sorcière comme les autres. Comme je tentais de l’apaiser en lui disant que tout cela avait été fait pour obéir à une vieille loi de sécurité à laquelle les plus anciens gouvernants s’étaient toujours soumis, il réagit en me demandant si je le prenais pour un faible. Je compris alors qu’il avait été touché non par la mort du Duc mais par ce qu’elle impliquait pour toute la royauté. En y repensant, je crois que mon père lui aussi avait quelque don de prescience car il est certain que sa lignée et celle de Muad’Dib avaient des ancêtres communs.

Dans la Maison de Mon Père,
par la Princesse Irulan.

« À présent, Harkonnen va tuer Harkonnen », murmura Paul.

Il s’était éveillé peu après la venue de la nuit et s’était redressé dans l’ombre de la tente. Comme il parlait, il entendit les mouvements de sa mère qui dormait près de la paroi opposée.

Il se pencha sur les écrans du détecteur de proximité illuminés par les tubes au phosphore.

« Bientôt la nuit sera totale, dit Jessica. Pourquoi ne relèves-tu pas les parois ? »

Il comprit alors qu’elle était éveillée depuis un moment. Elle était demeurée immobile, silencieuse, jusqu’à ce qu’elle fût certaine qu’il était éveillé.

« Ça ne servirait à rien, dit-il. Il y a eu une tempête. La tente est couverte de sable ; il va falloir que je la dégage. »

« Aucun signe de Duncan ? »

« Non. »

D’un geste absent, il toucha l’anneau ducal à son pouce puis se mit à trembler sous l’effet d’une rage soudain à l’égard de cette planète qui avait aidé à l’assassinat de son père.

« J’ai entendu la tempête arriver », dit Jessica.

Ces mots vides, inutiles, l’aidèrent à retrouver un peu de calme. Son esprit se tourna vers le souvenir de la tempête telle qu’il l’avait vue par la paroi transparente de l’abri. Froides coulées de sable à travers le bassin, puis écharpes et ruisseaux dans le ciel. A un moment, sous ses yeux, une spire de rocher avait changé de forme. Dans le souffle du sable, elle était devenue une simple excroissance orangée. Puis le sable avait empli tout le ciel qui était devenu comme un plafond d’épice avant de recouvrir la tente.

Sous la pression, les tendeurs de l’abri avaient craqué une seule fois puis le silence s’était définitivement établi, habité seulement des faibles plaintes du snork qui, à travers le sable, pompait l’air à la surface.

« Essaye à nouveau le récepteur », dit Jessica.

« Inutile », dit Paul.

Il prit le tube à eau de son distille fixé à son cou et aspira une gorgée tiède, songeant qu’ainsi il commençait véritablement son existence arrakeen, vivant de l’humidité de son propre corps, de sa propre respiration. L’eau était douceâtre mais elle calmait le feu de sa gorge.

Jessica l’avait entendu boire. Son distille était moite sur son corps mais pourtant, elle refusait d’écouter sa soif. L’eût-elle fait, elle se serait dans le même temps éveillée pleinement aux nécessités terribles d’Arrakis, ce monde où la moindre trace d’humidité devait être récupérée, où chaque goutte qui se formait dans les poches de l’abri-distille était précieuse, où l’on se retenait de respirer à l’air libre.

Il était tellement plus facile de se laisser glisser à nouveau dans le sommeil.

Mais elle avait eu un rêve et à ce seul souvenir elle frissonna. Un rêve où ses mains étaient plongées dans le sable. Et sur le sable un nom avait été inscrit : Duc Leto Atréides. Un nom que le sable effaçait, qu’elle essayait de reformer, de préserver, mais dont les lettres s’effaçaient tandis qu’elle les retraçait.