« Nous le savons ! Ce n’est pas ce…»
« Paix, ami, dit le Fremen. Que disent vos blessés ? En est-il parmi eux qui peuvent comprendre le besoin d’eau de votre tribu ? »
« Nous n’avons pas parlé de l’eau, dit Hawat. Nous…»
« Je peux comprendre votre répugnance. Ce sont vos amis, les hommes de votre tribu. Avez-vous de l’eau ? »
« Pas assez. »
Le Fremen désigna la tunique de Hawat, sa peau nue qui apparaissait par les déchirures. « Vous avez été surpris dans votre sietch, sans vos habits. Vous devez prendre une décision d’eau, mon ami. »
« Pouvons-nous vous demander votre aide ? »
Le Fremen haussa les épaules. « Vous n’avez pas d’eau. (Ses yeux se portèrent sur le groupe des hommes.) Combien de vos blessés pouvez-vous perdre ? »
Hawat demeura silencieux, les yeux fixés sur l’homme. Son esprit de Mentat lui révélait que leur conversation était déphasée. Les sons-mots n’étaient pas reliés normalement.
« Je suis Thufir Hawat, dit-il. Je peux parler au nom de mon Duc. Je suis prêt à m’engager pour obtenir votre aide. Je ne désire qu’une aide limitée afin de préserver mes moyens pour tuer une traîtresse qui se croit à l’abri de toute vengeance. »
« Vous voulez que nous nous joignions à une vendetta ? »
« Je me chargerai moi-même de la vendetta. Je désire seulement que l’on m’ôte la responsabilité de mes blessés. »
Le Fremen fronça les sourcils. « Comment pourriez-vous être responsable de vos blessés ? Ils sont responsables d’eux-mêmes. C’est l’eau qui importe, Thufir Hawat. Me laisserez-vous prendre cette décision ? »
Il mit la main sur l’arme dissimulée sous sa robe et Hawat, soudain tendu, se demanda : Une trahison ?
« Que craignez-vous ? » dit le Fremen.
Ces gens déroutants, si directs !
« Ma tête est mise à prix », répondit prudemment Hawat.
« Ah… (Le Fremen ôta sa main de l’arme.) Vous nous croyez corrompus comme des Byzantins. Vous ne nous connaissez pas. Les Harkonnens n’ont pas assez d’eau pour acheter le plus petit de nos enfants. »
Mais ils étaient capables de payer à la Guilde le prix du passage de plus de deux mille vaisseaux, songea Hawat. Il était toujours abasourdi par la somme que cela représentait.
« Nous combattons tous deux les Harkonnens. Ne pourrions-nous partager nos problèmes et les moyens de triompher ? »
« Nous partageons, dit le Fremen. Je vous ai vu combattre les Harkonnens. Vous vous battez bien. A certains moments, j’aurais apprécié la présence de votre bras à mes côtés. »
« Quand vous le désirerez », dit Hawat.
« Qui sait ? Les forces d’Harkonnen sont de tous côtés. Mais vous n’avez toujours pas pris la décision d’eau. Vous ne l’avez pas soumise à vos blessés. »
Prudence, se dit Hawat. Il y a là quelque chose que je ne comprends pas.
« M’apprendrez-vous les règles arrakeen ? »
« Pensée étrangère, dit le Fremen avec du mépris dans la voix. (Il désigna le nord-ouest, au-delà de la colline.) Nous vous avons observés, cette nuit, comme vous approchiez. (Il baissa le bras.) Vous restiez sur le versant friable des dunes. Mauvais. Vous n’avez pas de distilles, pas d’eau. Vous ne résisterez pas longtemps. »
« On ne s’accoutume pas vite à Arrakis », dit Hawat.
« Vérité. Mais nous avons tué des Harkonnens. »
« Que faites-vous pour vos propres blessés ? »
« Un homme ne sait-il pas lorsqu’il vaut d’être sauvé ? demanda le Fremen. Vos blessés savent que vous n’avez pas d’eau. (Il pencha la tête.) Il est clair que le moment est venu de prendre la décision d’eau. Blessés et non blessés doivent regarder l’avenir de la tribu. »
L’avenir de la tribu, pensa Hawat. La tribu des Atréides. Cela a un sens. Et il fit un effort pour poser la question qu’il avait évitée jusque-là.
« Savez-vous quelque chose de mon Duc ou de son fils ? »
« Savoir ? » Les yeux bleus restaient insondables.
« Quel a été leur sort ! » lança Hawat.
« Le sort est le même pour chacun. Votre Duc, à ce que l’on dit, a connu le sien. Quant à celui du Lisan al-Gaib, son fils, il est entre les mains de Liet. Et Liet n’a rien dit. »
Je connaissais la réponse avant d’avoir posé la question, se dit Hawat.
Il regarda de nouveau ses hommes. Tous étaient éveillés, à présent. Ils avaient entendu. Ils regardaient le sable, et leurs visages révélaient les mêmes pensées : ils ne reverraient jamais Caladan et, à présent, Arrakis était perdue.
« Avez-vous entendu parler de Duncan Idaho ? » demanda Hawat.
« Il se trouvait dans la grande maison quand le bouclier a été abattu. J’ai entendu dire cela… rien de plus. »
Elle a désactivé le bouclier et fait entrer les Harkonnens. Cette fois, c’était moi qui tournais le dos à la porte. Mais comment a-t-elle pu faire cela ? Agir contre son propre fils ? Qui sait ce que pense une sorcière Bene Gesserit ?… Si l’on peut appeler cela penser…
La gorge sèche, il lutta pour avaler sa salive. « Quand saurez-vous, pour le garçon ? »
« Nous ne savons que peu de choses d’Arrakeen, dit le Fremen. (Il haussa les épaules.) Qui sait ? »
« Vous avez un moyen de savoir ? »
« Peut-être. (A nouveau, il gratta l’escarre sous son nez.) Dites-moi, Thufir Hawat, connaissez-vous ces lourdes armes dont se sont servis les Harkonnens ? »
L’artillerie, songea Hawat avec amertume. Qui aurait pensé qu’ils utiliseraient l’artillerie de nos jours, face à des boucliers ?
« Vous pensez à l’artillerie qu’ils ont utilisée pour enterrer les nôtres dans les grottes, dit-il. J’ai… une connaissance théorique de ces armes à explosifs. »
« Tout homme qui se réfugie dans une grotte n’ayant qu’une seule issue mérite la mort », dit le Fremen.
« Pourquoi m’avez-vous posé cette question, à propos des armes ? »
« Liet désirait savoir. »
Est-ce donc là ce qu’il attend de nous ?
« Êtes-vous venu pour obtenir des renseignements sur ces gros canons ? » demanda Hawat.
« Liet désirait examiner l’une de ces armes. »
« En ce cas, vous n’avez qu’à aller en prendre une. »
« Oui, dit le Fremen. Nous en avons pris une. Nous l’avons cachée là où Stilgar pourra l’étudier pour Liet et où Liet pourra l’examiner par lui-même s’il le désire. Mais je doute qu’il le fasse : cette arme n’est pas très bonne. Médiocre pour Arrakis. »
« Vous… vous avez pris un canon ? » demanda Hawat.
« C’était un beau combat. Nous n’avons perdu que deux hommes et répandu l’eau de plus de cent des leurs. »
Il y avait des Sardaukar à chaque pièce, songea Hawat. Et ce fou prétend n’avoir perdu que deux hommes contre des Sardaukar !
« Nous n’aurions pas perdu ces deux hommes s’il n’y avait eu ceux qui se battaient aux côtés des Harkonnens, reprit le Fremen. Certains de ceux-là sont de bons guerriers. »
Le lieutenant de Hawat s’approcha en trébuchant et se pencha vers le Fremen. « Est-ce que vous parlez des Sardaukar ? »
« Il parle des Sardaukar », dit Hawat.
« Les Sardaukar ! s’exclama le Fremen avec une sorte de joie. Ainsi, ce sont des Sardaukar ! Excellente nuit. Des Sardaukar ! De quelle légion ? Le savez-vous ? »