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« Il nous faut retourner auprès des autres, reprit Stilgar. Autrement, mes gens pourraient croire que je vous séduis. Déjà, certains son jaloux de ce que mes mains aient goûté à votre beauté cette nuit, quand nous avons lutté dans le bassin de Tuono. »

« Cela suffit ! » s’exclama Jessica.

« N’y voyez pas d’offense, dit Stilgar, et sa voix était douce. Chez nous, nous ne prenons pas les femmes contre leur volonté… et avec vous… (Il haussa les épaules.) Même cette convention est inutile. »

« N’oubliez pas que j’étais l’épouse d’un duc », dit-elle encore, mais d’une voix plus calme.

« Comme vous le désirerez, dit-il. Mais il est temps de sceller cette ouverture, afin de relâcher la discipline du distille. Mes gens ont besoin de se reposer dans le confort, aujourd’hui. Demain, leurs familles ne leur accorderont que peu de répit. »

Le silence s’établit entre eux.

Le regard de Jessica revint au paysage dans le soleil. Dans la voix de Stilgar, elle avait lu plus que l’offre d’une protection. Avait-il besoin d’une femme ? Elle pourrait remplir ce rôle. Ce serait une façon de résoudre le conflit pour l’autorité, la femelle s’alignant sur le mâle.

Mais Paul, en ce cas ? Qui pouvait savoir quelles étaient les règles de parenté qui prévalaient ici ? Et qu’en serait-il de cette fille qu’elle portait en elle depuis des semaines ? De cette fille d’un Duc défunt ? Il lui fallait admettre la signification véritable de cette conception qu’elle acceptait. Elle la connaissait. Elle avait succombé à cette pulsion profonde qui est commune à toutes les créatures placées devant la mort, cette pulsion qui vise l’immortalité par la procréation. La pulsion de fertilité des espèces avait triomphé d’eux.

Elle regarda Stilgar et vit qu’il attendait, qu’il l’étudiait. Une fille née ici d’une femme mariée à un tel homme… Quel serait son sort ? L’homme tenterait-il de contrarier les obligations auxquelles toute Bene Gesserit est promise ?

Stilgar s’éclaircit la gorge. « Ce qui importe pour un chef, c’est ce qui fait de lui un chef. Ce sont les besoins de son peuple. Si vous m’enseignez vos pouvoirs, un jour viendra où l’un de nous devra défier l’autre. Je préférerais une autre solution. »

« Il en existe ? » demanda-t-elle.

« La Sayyadina, Notre Révérende Mère, est vieille. »

Leur Révérende Mère !

Avant qu’elle ait pu réfléchir, il ajouta : « Je ne me propose pas nécessairement comme compagnon. Ce n’est nullement personnel, car vous êtes belle et désirable. Mais si vous deviez faire partie de mes femmes, cela pourrait amener certains de mes plus jeunes hommes à penser que je me préoccupe par trop des plaisirs de la chair et pas assez des besoins de la tribu. En ce moment même, ils nous écoutent et nous épient. »

Voilà un homme qui pèse ses décisions et qui pense aux conséquences, se dit-elle.

« Parmi mes jeunes gens, il en est qui ont atteint l’âge des pensées sauvages. Il faut les calmer durant cette période. Je ne dois pas leur laisser de raisons valables pour me défier. Parce que, alors, il me faudrait frapper et tuer. Pour un chef, s’il peut l’éviter dans l’honneur, ce n’est pas une façon raisonnable d’agir. Un chef, voyez-vous, est ce qui fait la différence entre un troupeau et un peuple. C’est le chef qui maintient le statut des individus. Trop peu d’individus, et le peuple redevient un troupeau. »

Ces paroles, la profonde compréhension qu’elles révélaient, en plus du fait qu’il parlait aussi bien pour ceux qui écoutaient, contraignirent Jessica à le reconsidérer.

Il est digne de sa position, pensa-t-elle. Où a-t-il acquis cet équilibre intérieur ?

« La loi qui engendre une telle façon de choisir un chef est une loi juste, dit Stilgar. Mais il ne s’ensuit pas qu’une justice est ce dont un peuple a constamment besoin. Ce dont nous avons vraiment besoin maintenant, c’est de croître et de prospérer afin de couvrir un plus vaste territoire. »

Quels sont ses ancêtres ? se demanda-t-elle. Comment obtient-on semblable race ?

« Stilgar, dit-elle, je vous ai sous-estimé. »

« Je le soupçonnais. »

« Apparemment, chacun de nous a sous-estimé l’autre. »

« J’aimerais mettre un terme à cela, dit-il. J’aimerais que l’amitié existe entre nous… avec la confiance. J’aimerais que naisse ce respect mutuel qui croît dans la poitrine sans exiger le mélange des sexes. »

« Je comprends. »

« Avez-vous confiance en moi ? »

« Je perçois votre sincérité. »

« Parmi nous, les Sayyadina, lorsqu’elles ne représentent pas l’autorité consacrée, conservent une place d’honneur. Elles enseignent. Elles maintiennent la puissance de Dieu en nous. » Il toucha sa poitrine.

C’est le moment d’éclaircir ce mystère de la Révérende Mère, se dit Jessica. Et elle déclara : « Vous parliez de votre Révérende Mère… Et j’ai entendu des allusions à une légende, à une prophétie. »

« Il est dit qu’une Bene Gesserit et son enfant détiennent la clé de notre avenir. »

« Croyez-vous que je sois cette Bene Gesserit ? »

Et elle observa son visage, songeant : La jeune pousse meurt si facilement. Les débuts sont toujours des moments de grand péril.

« Nous ne le savons pas », dit Stilgar.

Elle hocha la tête. C’est un homme honorable. Il veut un signe mais il n’influencera pas le destin en me le révélant.

Elle tourna la tête et regarda les ombres dorées, les ombres violettes, là-bas, dans le bassin, le frémissement de l’air chargé de poussière devant l’ouverture. Tout soudain, il y avait en son esprit une prudence de félin. Elle connaissait la phrase clé de la Missionaria Protectiva, elle savait comment adapter les techniques de la légende et de la peur à ses exigences immédiates, mais elle percevait des modifications profondes… Comme si quelqu’un était venu parmi les Fremen et avait joué sur l’empreinte laissée par la Missionaria Protectiva.

Stilgar toussota. Elle comprit qu’il était impatient, que le jour s’avançait et que les hommes attendaient que cette ouverture fût scellée. Le moment était venu de faire preuve d’audace et elle eut conscience de ce qu’il lui manquait quelque al-hikman, quelque école de traduction qui lui eût donné…

« Adab », murmura-t-elle.

Et il lui sembla que son esprit s’était soudain roulé sur lui-même. Elle reconnut la sensation et son pouls s’accéléra. Dans l’éducation bene gesserit, rien ne s’accompagnait d’un tel signe si ce n’était l’adab, la mémoire qui se déversait en vous d’elle-même. Elle s’y abandonna et laissa les mots s’échapper d’elle :

« Ibn qirtaiba, dit-elle, aussi loin que le lieu où finit la poussière. (Elle éleva un bras et vit s’agrandir les yeux de Stilgar, entendit le froissement des robes, plus loin.) Je vois un… Fremen avec le livre des exemples. Il le lit à al-Lat, le soleil qu’il défie et domine. Il le lit au Sadus du Jugement et voici ce qu’il lit :

“Mes ennemis sont comme feuilles vertes et dévorées,

Croissant sur le chemin de la tempête.

N’avez-vous point vu ce qu’a fait notre Seigneur ?

Il a, sur nous, lancé la pestilence,

Qui répand ses complots.