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Elle se souvint avec quelle hâte ils avaient ajusté leurs distilles au moment de l’ouverture.

Loin dans la caverne, une voix entonna :

« Ima trava okolo !

I korenka okolo ! »

Elle traduisit : « Voici les cendres ! Et voici les racines ! »

La cérémonie funèbre commençait.

Le regard de Jessica se posa sur le couchant, sur les strates de couleurs déployées dans le ciel. Les ombres qui, là-bas, s’étendaient sur les dunes et les rochers étaient celles de la nuit.

Pourtant, la chaleur ne mourait pas.

La chaleur la forçait à penser à l’eau et à ces gens qui avaient été entraînés à n’avoir soif qu’à des moments précis.

La soif.

Elle se souvenait des vagues sous le clair de lune de Caladan, de la robe blanche de l’écume sur les récifs, du vent chargé d’embruns. À présent, la brise qui venait du désert desséchait la peau nue de ses joues et de son menton. Les nouveaux embouts, dans ses narines, l’irritaient et elle avait une conscience aiguë de la présence du tube qui plongeait dans le distille et récupérait l’humidité de sa respiration.

Le distille lui-même était une étuve.

« Votre vêtement sera plus confortable lorsque votre corps aura moins d’eau », avait dit Stilgar.

Elle savait qu’il avait raison mais elle ne se sentait pas pour autant à l’aise en ce moment précis. Inconsciemment, l’eau la préoccupait et cela pesait sur son esprit. Non, corrigea-t-elle aussitôt. C’est l’humidité qui me préoccupe.

Et c’était là un problème plus profond et plus subtil.

Elle entendit des pas qui s’approchaient et se retourna pour voir Paul surgir des profondeurs de la caverne, suivi de Chani.

Autre chose encore, songea-t-elle. Il faut que je l’avertisse quant à leurs femmes. Ce n’est pas parmi elles qu’il peut trouver une épouse digne d’un Duc. Une concubine, oui, mais pas une épouse.

Puis elle pensa à elle-même. M’a-t-il gagné à ses projets ? Elle avait été si bien conditionnée. Je peux penser aux nécessités matrimoniales de la royauté sans évoquer mon propre concubinage. Pourtant… j’étais plus qu’une concubine.

« Mère. »

Paul était devant elle, Chani à ses côtés.

« Mère, savez-vous ce qu’ils font là-bas ? »

Elle leva les yeux et rencontra son regard sombre sous le capuchon.

« Je crois le savoir. »

« Chani m’a montré… parce que je suis censé assister à cela et donner mon… accord pour la mesure de l’eau. »

Jessica regarda Chani.

« Ils récupèrent l’eau de Jamis », dit Chani. Sa voix aiguë était rendue nasillarde par les embouts de ses narines. « Telle est la règle. La chair d’un homme lui appartient, mais son eau revient à sa tribu, sauf dans le combat. »

« Ils disent que cette eau est à moi », dit Paul.

Jessica se demanda pourquoi cela éveillait soudain sa méfiance.

« L’eau du combat appartient au vainqueur, reprit Chani. Parce qu’il faut se battre sans distille. Le vainqueur a le droit de récupérer l’eau qu’il a perdue durant le combat. »

« Je ne veux pas de cette eau », grommela Paul. Il sentait qu’il appartenait à de multiples images qui se déplaçaient simultanément de façon heurtée, déconcertante pour la vision intérieure. Il n’était pas sûr de ce qu’il ferait mais il avait une certitude : il ne voulait pas de l’eau distillée à partir du corps de Jamis.

« Mais, dit Chani, c’est… de l’eau. »

Jessica s’émerveilla du ton qu’elle avait employé pour prononcer ce simple mot. « Eau. » Elle y avait mis tant de significations. Il existait un axiome bene gesserit qui disait ; « La survie est la capacité de nager en des eaux étranges. » Et Jessica songea : En ces eaux étranges, Paul et moi devons trouver les courants favorables… si nous voulons survivre.

« Accepte cette eau », dit-elle.

Il reconnut ce ton. Elle l’avait déjà employé avec son père lorsqu’elle lui avait dit d’accepter la somme importante qu’on lui offrait en échange de sa participation à une entreprise risquée, simplement parce que l’argent maintenait la puissance des Atréides.

Sur Arrakis, l’eau était de l’argent. Elle l’avait compris.

Paul demeura silencieux. Il savait qu’il ferait ce qu’elle lui avait dit de faire, non parce que c’était un ordre mais parce que le ton qu’elle avait employé le forçait à réfléchir. Refuser l’eau serait refuser les pratiques fremen.

Il retrouva les mots du Kalima 467 de la Bible Catholique Orange de Yueh et dit : « De l’eau vient toute vie. »

Jessica le regarda. Où a-t-il appris cela ? se demanda-t-elle. Il n’a jamais étudié les mystères.

« Ainsi est-il dit, fit Chani. Giuduchar mantene : il est écrit dans le Shah-Nama que l’eau fut la première chose créée. »

Jessica eut un frisson soudain dont elle ignorait la raison et ceci, plus que sa réaction, l’inquiétait. Elle se détourna pour dissimuler son trouble à l’instant même où se couchait le soleil. Un orage de couleurs s’enfla dans le ciel.

« C’est le moment ! lança la voix de Stilgar de la caverne. L’arme de Jamis a été tuée. Jamis a été appelé par Lui, le Shai-hulud qui a ordonné les phases des lunes qui chaque jour passent pour n’être plus à la fin que des brindilles desséchées. (Stilgar baissa la voix.) Ainsi en est-il de Jamis. »

Le silence s’établit dans la caverne.

Dans l’ombre, Jessica distinguait Stilgar comme une fantomatique silhouette grise. À nouveau, son regard revint sur le bassin. Elle sentit monter la fraîcheur vers son visage.

« Les amis de Jamis vont approcher », dit Stilgar.

Derrière Jessica, des hommes se mirent en mouvement, tendirent un rideau devant l’entrée. Un unique brilleur fut allumé au fond de la caverne. Sa clarté jaune esquissa les contours des visages. Jessica prêta l’oreille au lent froissement des robes.

Chani fit un pas en avant, comme attirée par la lumière.

Jessica se pencha vers Paul et murmura à son oreille, dans le code familial : « Suis-les. Fais ce qu’ils font. Ce ne sera qu’une simple cérémonie pour l’apaisement de l’âme de Jamis. »

Ce sera plus que cela, songea Paul. Il éprouvait une sensation de torsion, comme s’il essayait au fond de sa conscience de saisir quelque chose qui bougeait pour l’immobiliser.

Chani se glissa à côté de Jessica et lui prit la main. « Venez, Sayyadina. Nous devons prendre place à l’écart. »

Paul les regarda disparaître entre les ombres, le laissant seul. Il se sentit abandonné.

Les hommes qui avaient mis le rideau en place l’encadrèrent.

« Viens, Usul. »

Il les laissa le guider, le pousser à l’intérieur du cercle qui s’était formé autour de Stilgar, immobile sous le brilleur, auprès d’un amas aux formes anguleuses que recouvrait une robe.

Sur un geste de Stilgar, l’assistance s’accroupit dans un bruissement de robes. Paul fit de même, sans quitter Stilgar des yeux. Sous le brilleur, ses yeux devenaient deux puits noirs. Près de son cou, l’étoffe verte brillait. Puis, Paul baissa le regard sur ce qui se trouvait aux pieds de Stilgar et il reconnut le manche d’une balisette.

« L’esprit quitte l’eau du corps lorsque se lève la première lune, dit Stilgar. Ainsi est-il dit. Lorsque se lèvera la première lune, cette nuit, qui appellera-t-elle ? »

« Jamis », psalmodia l’assistance.

Stilgar pivota sur un talon et son regard glissa de visage en visage. « J’étais un ami de Jamis, dit-il. Au Trou-dans-le-Rocher, lorsque l’avion-faucon a fondu sur nous, c’est Jamis qui m’a poussé à l’abri. »