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« Un trésor », dit-elle.

Il éleva le brilleur et regarda droit dans ses yeux. « Plus qu’un trésor. Et nous avons des milliers de réserves semblables. Seuls quelques-uns d’entre nous les connaissent toutes. (Il pencha la tête. La lumière jaune accentuait ses traits, le dessin noir de sa barbe.) Vous entendez cela ? »

Ils prêtèrent l’oreille.

Le bruit de l’eau qui s’écoulait goutte à goutte du piège à vent parut emplir toute la salle. La troupe demeurait immobile, fascinée. Seul Paul restait détaché.

Pour lui, chaque goutte qui tombait était un moment qui mourait. Il sentait le temps s’écouler en lui. Les instants qui passaient, jamais il ne les retrouverait. Il lui fallait prendre une décision, mais il n’avait pas la force de se mettre en mouvement.

« Tout a été calculé avec précision, reprit Stilgar, dans un chuchotement. À un million de décalitres près, nous savons quels sont nos besoins. Lorsque nous aurons atteint la quantité suffisante, nous serons en mesure de changer le visage d’Arrakis. »

La réponse monta dans un chuchotement de la troupe sombre : « Bi-la kaifa. »

« Nous prendrons les dunes au piège entre des plantations d’herbe, dit Stilgar d’une voix plus forte. Nous maintiendrons l’eau dans le sol par des arbres et des réseaux de racines. »

« Bi-la kaifa », psalmodia la troupe.

« Chaque année, la glace polaire recule. »

« Bi-la kaifa. »

« Nous referons d’Arrakis un monde habitable, avec des lacs dans les zones tempérées, avec des lentilles pour fondre les glaces aux pôles, avec le désert profond pour le seul faiseur et son épice. »

« Bi-la kaifa. »

Jessica décela le sens rituel des mots et prit conscience d’avoir répondu elle-même. Et elle songea : Ils ont conclu une alliance avec l’avenir. Il leur faut escalader leur montagne. C’est le rêve scientifique… Il domine ces gens simples, ces paysans.

Ses pensées se tournèrent alors vers Liet-Kynes, l’écologiste planétaire de l’Empereur, l’homme qui avait fini par devenir un indigène. Ce rêve était propre à capturer les esprits des hommes et elle pouvait sentir en cela la main de l’écologiste. Pour un tel rêve, les hommes étaient prêts à mourir. C’était là, elle le sentait, un autre des éléments essentiels dont Paul avait besoin : un peuple avec un but. Il serait facile de faire naître de la ferveur, du fanatisme au sein d’un tel peuple. Ces gens pourraient être façonnés, affûtés comme une épée et, comme une épée, redonner à Paul son pouvoir.

« Nous devons partir, maintenant, dit Stilgar, et attendre le lever de la lune. Quand Jamis sera sur la bonne route, nous nous mettrons en marche. »

Avec des murmures de réticence, les hommes lui emboîtèrent le pas, s’éloignant de l’eau.

Paul, en suivant Chani, sentit qu’un moment vital pour lui venait de s’enfuir, qu’il avait manqué l’occasion d’une décision essentielle et qu’il était pris désormais dans son propre mythe. Il savait qu’il avait déjà vu cet endroit dans un rêve prescient, sur la lointaine Caladan. Mais à présent, de nouveaux détails étaient survenus qu’il n’avait jamais connus. À nouveau, il était troublé par les limitations de son pouvoir. C’était comme s’il descendait le cours du temps en passant du creux d’une vague à une crête. Parfois les vagues voisines lui révélaient ce qu’elles portaient, parfois, comme il descendait, elles le lui cachaient.

Mais sans cesse, le sauvage Jihad courait loin devant, dans la violence, le massacre, dominant le courant comme un récif.

Par la dernière porte, la troupe regagna la caverne principale. L’entrée fut de nouveau masquée. Quand le brilleur s’éteignit et que les orifices furent ouverts sur le désert, ils virent la nuit et les étoiles.

Jessica s’avança sur le rebord desséché, au-delà du seuil de la caverne et leva les yeux vers les étoiles. Elles étaient brillantes, nettes et proches. Derrière elle, elle percevait les pas des Fremen. Puis un accord de balisette résonna et Paul chantonna. Elle perçut dans sa voix une mélancolie qu’elle n’aimait pas.

« Parle-moi des eaux de ton monde natal, Paul-Muad’Dib », dit la voix d’enfant de Chani, quelque part dans l’ombre de la caverne.

« Une autre fois, Chani, je te le promets », répondit Paul.

Sa voix était si triste.

« C’est une bonne balisette », reprit Chani.

« Très bonne, dit Paul. Tu crois que Jamis m’en voudrait d’en jouer ? »

Il parle du mort comme d’un homme vivant, songea Jessica. Ce que cela impliquait la troublait profondément.

« Jamis aimait la musique à cette heure », intervint une voix d’homme.

« Alors chante-moi une de tes chansons », demanda Chani.

Il y a tant de féminité dans la voix de cette enfant, se dit Jessica. Il faut que je mette Paul en garde… très vite.

« C’est une chanson que chantait un ami, dit Paul. Je crois qu’il est mort, maintenant, Gurney. Il l’appelait la chanson du soir. »

Le silence se fit comme la douce voix de Paul s’élevait sur les accords de la balisette :

« En ce moment criblé de cendres,

Un soleil d’or se perd à la plage du soir.

Quels sens fous, quel parfum de désespoir

Sont compagnons du souvenir… »

Dans sa poitrine, Jessica ressentit la musique des mots, païenne, chargée de sons qui, soudain, lui faisaient prendre conscience d’elle-même intensément, de son corps, de ses désirs. Elle écoutait en un silence tendu.

« Les perles pâles du requiem de la nuit

Sont pour nous…

Quelle joie, alors, s’allume et luit

Dans tes yeux…

Quelles amours striées de fleurs

Attirent nos cœurs…

Quelles amours striées de fleurs

Apaisent nos désirs. »

Après la dernière note, le silence se prolongea. Pourquoi mon fils a-t-il chanté une chanson d’amour à cette enfant ? se demanda Jessica. Elle ressentit une peur brutale. La vie ruisselait tout autour d’elle et il lui était impossible de la retenir. Pourquoi a-t-il chanté cela ? Parfois, les instincts sont vrais. Pourquoi a-t-il fait cela ?

Dans l’ombre, Paul demeurait silencieux, immobile, avec une unique pensée. Ma mère est mon ennemie. Elle ne le sait pas, mais elle l’est vraiment. Elle a le Jihad en elle. Elle m’a porté, m’a entraîné. Elle est mon ennemie.

Le concept de progrès agit comme un mécanisme de protection destiné à nous isoler des terreurs de l’avenir.

Extrait de Les Dits de Muad’Dib,

par la Princesse Irulan.

Aux jeux familiaux, pour son dix-septième anniversaire, Feyd-Rautha Harkonnen tua son centième esclave-gladiateur. Les observateurs de la Cour impériale, le Comte et Dame Fenring, se trouvaient alors sur Giedi Prime, le monde des Harkonnen, et ils avaient pris place avec la famille de Feyd-Rautha dans la loge dorée, au-dessus de l’arène triangulaire.