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Pour l’anniversaire du na-Baron et afin de rappeler à tous les Harkonnen et à leurs sujets que Feyd-Rautha était l’héritier du nom, ce jour avait été décidé férié. Le vieux Baron avait décrété que d’un méridien à l’autre le labeur cesserait et dans la cité familiale d’Harko, on avait fait des efforts pour donner l’illusion de la gaieté. Des drapeaux flottaient sur les édifices et, au long de la Grand-Rue, les murs avaient été repeints.

Mais, entre les demeures, le comte Fenring et sa dame remarquaient les tas de détritus, les murs brunâtres qui se reflétaient dans les mares d’eau sale, la démarche furtive des gens.

Entre les murs bleus de la retraite du Baron, régnaient la perfection et la crainte, mais le Comte et sa Dame devinèrent le prix que cela supposait : il y avait des gardes de toutes parts et les armes avaient cet éclat particulier qui disait à l’œil averti qu’elles étaient régulièrement utilisées. Dans la demeure, les postes de contrôle se succédaient. La démarche des serviteurs révélait leur formation militaire autant que le port de leurs épaules et leur regard vigilant qui, sans cesse, fouillait, fouillait…

« La pression monte, murmura le Comte à sa dame dans leur langage secret. Le Baron commence seulement à comprendre vraiment le prix qu’il doit payer pour s’être débarrassé du duc Leto. »

« Il faudra que je vous raconte une fois la légende du phénix », dit-elle.

Ils se trouvaient dans le hall de réception de la demeure, attendant de se rendre aux jeux familiaux. Le hall n’était pas très grand. (Il faisait peut-être quarante mètres de long sur vingt de large.) Mais les faux piliers, sur les côtés, avaient un angle abrupt qui, s’ajoutant à l’arche subtile du plafond, donnait une illusion d’espace.

« Aahh, voici venir le Baron », dit le Comte.

Le Baron s’avançait au long du hall avec cette allure flottante qui s’expliquait par les suspenseurs qu’il devait guider tout en marchant. Ses bajoues tressautaient et, sous sa robe orange, les suspenseurs allaient et venaient en cadence. Des bagues scintillaient à ses doigts et les opaflammes brasillaient sur sa robe.

Auprès de lui s’avançait Feyd-Rautha. Ses cheveux sombres étaient peignés en bouclettes serrées. Cette coiffure gaie offrait un contraste incongru avec ses yeux tristes. Il portait une tunique noire et ajustée et des pantalons étroits légèrement évasés dans le bas. Ses petits pieds étaient chaussés de pantoufles.

Dame Fenring remarqua le port du jeune homme et la fermeté des muscles qui jouaient sous sa tunique et elle pensa : Celui-ci ne se laissera pas grossir.

Le Baron s’arrêta devant ses visiteurs, saisit le bras de Feyd-Rautha en un geste possessif et dit : « Mon neveu, le na-Baron Feyd-Rautha Harkonnen. (Et, tournant son visage de gros bébé vers Feyd-Rautha, il ajouta :) Le Comte et Dame Fenring dont je t’ai parlé. »

Feyd-Rautha inclina la tête comme le voulait l’usage. Il regarda Dame Fenring. Sa silhouette parfaite était rehaussée par une simple robe de toile sans aucun ornement. Ses cheveux dorés et légers étaient comme une pluie figée. Ses yeux gris-vert répondirent au regard du jeune homme. Il y avait en elle ce calme et cette sûreté bene gesserit qui troublaient vaguement Feyd-Rautha.

« Hummmmm, fit le Comte en posant les yeux sur Feyd-Rautha. C’est… Mmmm… ce jeune homme-là… Mmm… Ma chère ? (Il regarda le Baron.) Mon cher Baron, vous disiez que vous aviez parlé de nous à ce jeune homme ? Que lui avez-vous donc dit ? »

« J’ai fait part à mon neveu de la grande estime en laquelle vous tenait l’Empereur, Comte Fenring », dit le Baron. Et il pensa : Repère-le bien, Feyd ! C’est un tueur avec des façons de lapin… L’espèce la plus dangereuse.

« Bien sûr », dit le Comte, et il sourit à sa dame.

L’attitude et les paroles de cet homme semblaient presque insultantes à Feyd-Rautha. Elles restaient juste en deçà de la limite de l’affront. Le jeune homme concentra toute son attention sur le Comte : le petit homme avait une allure fragile. Ses yeux sombres étaient trop grands dans son visage de fouine. Des cheveux gris apparaissaient à ses tempes. Quant à ses gestes… Il bougeait la main, tournait la tête d’une façon… et parlait d’une autre. Il était difficile de le suivre.

« Vous… Mmm… êtes rarement aussi précis, dit le Comte comme s’il s’adressait à l’épaule du Baron. Je vous… Mmm… félicite pour la… Mmmm… perfection de votre neveu. Il profite de… Mmm… la lumière des aînés, peut-on dire. »

« Vous êtes trop bon », dit le Baron en s’inclinant. Mais Feyd-Rautha n’avait pas lu la moindre courtoisie dans le regard de son oncle.

« Lorsque vous, Mmmm… êtes ironique… cela laisse accroire que vous… Mmmm… nourrissez des pensées plus profondes », dit le Comte.

Il recommence, songea Feyd-Rautha. Il s’exprime de façon insultante sans nous offrir la satisfaction de pouvoir le défier.

En écoutant le Comte, il lui semblait qu’on lui enfonçait la tête dans de la bouillie… Mmmmmm… Il reporta son attention sur Dame Fenring.

« Je crois que nous retenons par trop ce jeune homme, dit-elle. Je sais qu’il doit paraître dans l’arène aujourd’hui. »

Par toutes les houris du harem impérial, se dit Feyd-Rautha. Mais elle est adorable !

« Aujourd’hui, Ma Dame, dit-il, je tuerai pour vous. Avec votre permission, je le proclamerai dans l’arène. »

Elle le regarda avec sérénité mais sa voix était comme la lanière d’un fouet quand elle répondit : « Vous n’avez pas ma permission ! »

« Feyd ! » s’exclama le Baron. Et il songea : Jeune démon ! Est-ce qu’il veut que le Comte le défie ?

Mais le Comte se contenta de sourire : « Hhmmmm. »

« Tu dois te préparer pour l’arène, maintenant, reprit le Baron. Il faut te reposer et ne pas prendre de risques. »

Feyd-Rautha s’inclina. Le ressentiment assombrissait ses traits.

« Je suis certain qu’il en sera selon vos désirs, Oncle », dit-il. Il s’inclina devant le Comte : « Monsieur ! » Puis devant sa dame : « Ma Dame. » Et il s’éloigna, accordant à peine un regard aux membres des familles des Maisons Mineures rassemblés près de la double porte.

« Il est si jeune », soupira le Baron.

« Hhmmm, oui, mmm », fit le Comte.

Et sa dame pensa : Est-ce lui que désignait la Révérende Mère ? Est-ce donc vraiment cette lignée qu’il nous faut préserver ?

« Il nous reste encore plus d’une heure avant de nous rendre à l’arène, dit le Baron. Peut-être pourrions-nous avoir ce petit entretien dès maintenant, Comte Fenring ? (Il pencha son énorme tête sur la droite.) Il nous faut discuter encore de bien des points. »

Il songeait : Voyons donc comment s’y prendra le valet de l’Empereur pour me faire part de la teneur d’un message sans pousser la grossièreté jusqu’à me la répéter à haute voix.

Le Comte se tourna vers sa dame. « Hhmm… Ma chère… nous excuserez-vous ? »

« Chaque jour, et parfois chaque heure, apporte son changement, dit-elle. Mmmm. » Et, avec un gracieux sourire à l’adresse du Baron, elle se détourna et s’éloigna vers l’extrémité du hall dans le bruissement de ses longues jupes. Elle se tenait très droite et sa démarche était royale.

Le Baron remarqua que, à son approche, les conversations se tarissaient dans le groupe des Maisons Mineures et que tous les yeux la suivaient. Les Bene Gesserit ! se dit-il. L’univers ferait mieux de s’en débarrasser !

« Entre ces deux piliers, là-bas, à gauche, il y a un cône de silence, dit le Baron. Nous pourrons discuter sans craindre d’être entendus. » Il précéda le Comte de sa démarche ballottante et pénétra dans le champ isolant. Les bruits du hall devinrent étouffés, lointains.