Le Comte vint se placer à côté de lui et ils firent face au mur afin que nul ne pût lire sur leurs lèvres.
« La façon dont vous avez chassé les Sardaukars d’Arrakis ne nous satisfait pas », dit le Comte.
Tout net ! songea le Baron.
« Les Sardaukars ne pouvaient rester plus longtemps sans que nous courions le risque que d’autres découvrent de quelle façon l’Empereur m’avait apporté son aide », dit le Baron.
« Mais votre neveu Rabban ne semble pas se diriger assez vite vers une solution du problème fremen. »
« Que souhaite donc l’Empereur ? demanda le Baron. Il ne doit guère rester plus d’une poignée de Fremen sur Arrakis. Le désert du Sud est inhabitable et nos patrouilles fouillent sans cesse ceux du Nord. »
« Qui a dit que le désert du Sud était inhabitable ? »
« Votre propre planétologiste, mon cher Comte. »
« Mais le docteur Kynes est mort. »
« Oui, c’est vrai… C’est bien regrettable. »
« Les territoires du Sud ont été survolés, dit le Comte. Il a été prouvé que la vie végétale y existe. »
« La Guilde a-t-elle reçu l’autorisation d’observer Arrakis depuis l’espace ? »
« Vous savez bien que non, Baron. L’Empereur ne peut légalement faire surveiller Arrakis. »
« Et moi non plus, dit le Baron. Qui a donc effectué cette observation ? »
« Un… un contrebandier. »
« Quelqu’un vous aura menti, Comte, dit le Baron. Les contrebandiers, pas plus que les hommes de Rabban, ne peuvent explorer les régions du Sud. Il y a des tempêtes, des orages de sable… Les repères de navigation sont détruits plus vite qu’ils ne sont installés. »
« Nous discuterons une autre fois des différents types de tempêtes. »
Aahaa, songea le Baron. « Auriez-vous relevé quelque erreur dans ce que j’ai dit ? » demanda-t-il.
« Si vous imaginez des erreurs, je ne puis me défendre », dit le Comte.
Il essaye délibérément d’éveiller ma colère, pensa le Baron. Afin de se calmer, il prit deux profondes inspirations. Il sentit sa propre sueur et les harnais de ses suspenseurs, sous sa robe, le gênaient, le grattaient.
« L’Empereur ne peut prendre ombrage de la mort de la concubine et du garçon, dit-il. Ils se sont enfuis dans le désert. Il y avait une tempête. »
« Oui, il y a eu bien des accidents opportuns », dit le Comte.
« Je n’aime pas votre ton. »
« La colère est une chose, la violence en est une autre, dit le Comte. Laissez-moi vous donner un avertissement : si un accident malheureux m’arrivait ici, toutes les Grandes Maisons apprendraient ce que vous avez fait sur Arrakis. Il y a bien longtemps qu’elles soupçonnent les méthodes dont vous usez. »
« La seule dont je puisse me souvenir, dit le Baron, consistait à transporter sur Arrakis des légions de Sardaukars. »
« Croyez-vous vraiment que vous pourriez menacer l’Empereur avec cela ? »
« J’y songerai ! »
Le Comte eut un sourire. « Nous trouverions toujours des commandants de Sardaukars prêts à avouer qu’ils ont agi sans ordre parce qu’ils désiraient affronter votre racaille fremen. »
« Nombreux seraient ceux qui pourraient douter d’un tel aveu », dit le Baron. Mais cette menace l’avait ébranlé. Les Sardaukars sont-ils vraiment aussi disciplinés ? se demandait-il.
« L’Empereur, dit le Comte, aimerait prendre connaissance de vos livres. »
« Quand il le voudra. »
« Vous… Euh… n’avez aucune objection ? »
« Aucune. Mon administration dans le CHOM résisterait à l’examen le plus poussé. » Il pensa : Laissons-le porter une fausse accusation à mon encontre. Qu’il la révèle au grand jour. Pour ma part, je pourrai proclamer à tous que je suis victime d’une erreur. Alors qu’il vienne donc ensuite m’accuser une seconde fois, même à juste titre. Jamais les Grandes. Maisons ne le croiront après sa fausse accusation.
« Il ne fait aucun doute que vos livres résistent à un examen attentif », murmura le Comte.
« Pourquoi l’Empereur tient-il tant à exterminer les Fremen ? » demanda le Baron.
« Vous désirez changer de sujet, n’est-ce pas ? (Le Comte haussa les épaules.) Les Sardaukars le désirent, non l’Empereur. Ils aiment tuer et détestent laisser une tâche inachevée. »
Essaye-t-il de m’effrayer en me rappelant qu’il a de son côté ces tueurs assoiffés de sang ? se demanda le Baron.
« Le meurtre a toujours fait partie des affaires dans une certaine mesure, dit-il, mais il faut bien fixer une limite quelque part. Quelqu’un doit s’occuper de l’épice. »
Le Comte eut un rire bref, sec. « Croyez-vous pouvoir venir à bout des Fremen ? »
« Ils n’ont jamais été assez nombreux pour cela. Mais le massacre a mis le reste de la population mal à l’aise. C’est au point, mon cher Fenring, que j’en viens à considérer une autre solution au problème arrakeen. Et je dois avouer que c’est à l’Empereur que je dois cette inspiration qui m’est venue. »
« Ah ? »
« Voyez-vous, Comte, je dispose de la planète-prison de l’Empereur, Salusa Secundus, pour m’inspirer. »
Le Comte fixa sur lui des yeux brillants. « Quel rapport peut-il y avoir entre Salusa Secundus et Arrakis ? »
Le Baron décela l’inquiétude dans le regard de son interlocuteur et dit : « Aucun, encore. »
« Encore ? »
« Vous admettrez avec moi que le fait d’utiliser Arrakis comme planète-prison permettrait de développer le travail de façon substantielle. »
« Vous vous attendez à une augmentation du nombre des prisonniers ? »
« Il y avait de l’agitation. Il m’a fallu prendre des mesures plutôt sévères, Fenring. Après tout, vous connaissez le prix que j’ai dû payer à cette maudite Guilde pour le transport de nos forces communes. Il faut bien que je prenne cette somme quelque part. »
« Je vous suggère de ne pas utiliser Arrakis comme planète-prison sans la permission de l’Empereur, Baron. »
« Bien sûr que non », dit le Baron, et il se demanda pourquoi il y avait eu ce frisson soudain dans la voix de Fenring.
« Autre question, reprit le Comte. Nous avons appris que le Mentat du Duc Leto, Thufir Hawat, n’était pas mort mais qu’il vous servait. »
« Je n’ai pu me résoudre à le supprimer. »
« Lorsque vous avez dit à notre commandant des Sardaukars qu’il était mort, vous mentiez donc. »
« Pour la bonne cause, mon cher Comte. Je n’étais pas d’humeur à me disputer avec cet homme. »
« Hawat était-il réellement le traître ? »
« Oh, Dieu, non ! C’était le faux docteur. (Le Baron porta la main à son cou, effaça les traînées de transpiration.) Il faut me comprendre, Fenring. Je n’avais plus de Mentat. Vous le savez bien. Jamais cela ne m’était arrivé. J’étais tout à fait désemparé. »
« Comment avez-vous pu amener Hawat à changer d’allégeance ? »
« Son Duc était mort. (Le Baron s’efforça de sourire.) Il n’y avait rien à craindre de Hawat, mon cher Comte. Sa chair de Mentat a été imprégnée d’un poison lent. L’antidote lui est administré dans sa nourriture. Sans lui, il mourrait en quelques jours. »
« Cessez de le lui administrer », dit le Comte.
« Mais il m’est utile ! »
« Il sait trop de choses qu’aucun homme vivant ne doit savoir. »
« Vous m’avez dit que l’Empereur ne craignait pas les révélations. »
« Ne jouez pas à ce jeu avec moi, Baron ! »
« Lorsqu’un tel ordre me sera présenté sous le sceau impérial, j’obéirai, dit le Baron. Mais je refuse de me soumettre à votre caprice. »